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3,72

sur 175 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Un roman fort, encore une fois, de Siri Hustvedt, fort et tourmenté, bien plus que tous ceux que j'ai pu lire d'elle, comme si elle y avait mis sa part plus sombre, sa part de femme révoltée; Un roman cynique, puissant, et tragique.
Difficile de dire que j'ai pris plaisir à la lecture, chaque reprise a été accompagnée d'un peu d'appréhension car ce n'est pas un roman agréable. Ce qui y est dit peut toucher, gratter un peu trop. Un peu comme les romans de Nancy Huston en fait. Mais, en insistant au début, on se retrouve finalement pris dans ces multiples narrations et regards portés sur Harry.
Harry, c'est Harriett, la veuve du célèbre collectionneur d'art Felix Lord. Elle était une femme dévouée, mère de deux enfants. Harry, c'était aussi une femme de grande taille, au physique atypique. Une femme brillante, intelligente et très cultivée, tout ça bien au-delà de la moyenne de ceux qui l'entouraient. Harry, enfin, ou surtout, était une artiste innovatrice, percutante, qui n'a jamais été reconnue en tant que telle.
A la mort de son mari, Harry a bien conscience d'être avant tout la femme de. La révolte monte peu à peu en elle, et elle met en place une farce pour se jouer des critiques et amateurs d'art en choisissant trois hommes, artistes en devenir, pour se faire passer pour elle et revendiquer son oeuvre et observe, amusée, puis impuissante, les critiques s'emballer pour ces créations qu'ils ne savent pas être les siennes.
Un peu comme un portrait de Picasso, Harry est présentée sous diverses facettes par son entourage, ce qui rend la lecture, ainsi que l'érudition de Siri Hustvedt (sous couvert de Harry) à la fois exigeante et fascinante.
Ce qu'écrit Hustvedt sur cette représentation de la femme est révoltant de vérité, j'ai eu une boule au ventre presque jusqu'à la fin qui m'a beaucoup touchée, et apaisée. Je pense avoir ressenti cette colère de l'autrice et l'aspect autobiographique qu'il y a derrière ce récit.
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Etre artiste, mais naître femme, les parts de masculinité et de féminité en chacun, les jeux de masque…
C'est un portrait complexe de femme que Siri Hustvedt dresse, sans complaisance, avec une grande exigence, dans ce roman. Ou alors c'est le portrait d'une femme complexe…. Les deux, je crois. Il me semble qu'on est rarement allé aussi loin en littérature dans la mise en vie d'un être, dans la tentative de sa compréhension, comme s'il s'agissait réellement d'un être autonome qui échappe à son auteur.

Harriet Burden, Harry pour ses proches, et on devine déjà son ambiguïté, a été l'épouse d'un galeriste new-yorkais célèbre, mère de deux enfants, un talent d'artiste relégué aux oubliettes. Jusqu'à son défi, après la mort du mari : créer, et à travers trois hommes prête-nom, montrer par cette supercherie que l'oeuvre d'une femme n'a aucune chance de reconnaissance si elle n'est pas présentée comme masculine.

La lecture est exigeante. Harriet Burden a laissé des écrits, des journaux intimes utilisés par un chercheur qui lui consacre une étude. Ce sont ces extraits de journaux intimes, mais aussi des témoignages des enfants, amis, critiques d'art, qui dressent progressivement en un kaléidoscope vertigineux le portrait d'une personnalité riche et tourmentée. Grande belle femme élégante pour les uns, affabulatrice pour les autres, grosse et moche pour elle-même quand la vie se fait trop lourde et injuste, extraordinairement intellectuelle et cultivée, magicienne – de la magie ordinaire des mères-, amoureuse et sensuelle, révoltée, créatrice ! Créatrice dont l'oeuvre se révèle sous nos yeux subjugués en une explosion de couleurs magiques grâce au regard de Sweet Autumn Pinkney… Ce faisant, nous naviguons dans le milieu de l'art, pas franchement attirant, avec tout son côté factice et cruel, d'un New York d'avant et d'après le 11 septembre.

Avec une écriture ample et généreuse, d'une intelligence palpable, Madame Hustvedt emmène son lecteur à travers ce chant choral dans des réflexions profondes sur le processus de la création, sur le révisionnisme du souvenir qui modifie ou travestit le passé, ou bien encore sur les jeux de rôle dont on ne sort pas indemne, car cela ressemble à des pactes avec le diable. Harriet Burden crée, des prête-noms exposent, elle attend la fin de ces trois événements pour se déclarer, mais à passer ce qui ressemble à un pacte avec le diable, peut-elle avoir la certitude de ne pas se trouver victime du jeu de plus pervers que soi ? « Chambres de suffocation », « Boîte d'empathie », « le monde flamboyant », quels titres d'oeuvres, n'est-ce pas ?!

Siri Hustvedt crée, elle, un personnage troublant, émouvant, d'une telle authenticité qu'on le croirait vrai avec ses ombres, ses failles, ses facettes multiples, un personnage de créatrice à l'oeuvre dont le lecteur visualise ces surprenantes installations qui auraient dû lui apporter, enfin, cette reconnaissance tant attendue, pour elle, elle, Harriet Burden.
Lien : http://blogs.lexpress.fr/les..
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"Un monde flamboyant" est un roman autour de l'art contemporain , des femmes artistes et de leur difficulté à se faire une place dans ce monde , et un récit flamboyant pour le coup, de Siri Hustvedt , inventant autour de questions qui lui importent, liées à la philosophie, des personnages, tous, ce qui pourrait paraître banal pour une romancière mais ne l'est pas tant que ça :
Je m'explique : Enfin je vais essayer ! Tout d'abord je vous livre le résumé de l'éditeur : "Après sa disparition, une artiste plasticienne, Harriet Burden (dite "Harry"), méconnue de son vivant, fait l'objet d'une enquête menée par un professeur d'esthétique auprès de tous ceux qui, de près ou de loin, l'ont côtoyée de son vivant.Cet envoûtant thriller intellectuel qui a pour théâtre les milieux de l'art redistribue avec brio les thèmes chers à Siri Hustvedt dans son oeuvre de fiction comme dans ses essais, et constitue une inoubliable plongée dans les arcanes de la création comme de l'âme humaine, explorées ici par une romancière sans conteste au sommet de son art." le roman s'ouvre avec une préface qui fait partie intégrante du roman, c'est un des personnage du roman , dont on ne connait d'ailleurs pas l'identité sexuelle, celui ou celle qui écrit sur Harry ( Harriet Burden) après sa mort
Le roman sera donc constitué du travail de cette personne qui va chercher à recueillir le plus de textes et de témoignages possibles autour de cette artiste plasticienne.
On va passer des témoignages de ses enfants, de son compagnon, des artistes avec qui elle va monter en trois parties, une supercherie en exposant son travail en nom de trois artistes hommes, et des extraits de ses nombreux journaux intimes etc ...

Ce roman de 400 pages est incroyable ! Siri Hustvedt , invente y compris l'oeuvre plastique de son héroïne, (Bravo ! ) même si les références à Louise Bourgeois sont bien présentes, cette oeuvre est bien double : celle littéraire de Siri Hustvedt et presque plastique via l'écriture. Chapeau bas !


Le personnage principal est veuve de son riche marchand d'art qui l'a mise de côté en tant qu'artiste plasticienne durant toute leur vie commune...


Harry aura été mère attentive, femme polie , mais terriblement frustrée et mise de côté en tant qu'artiste.


J'allais oublier : tout ceci se déroule à New-york, je ne sais pas si l'autrice a déjà écrit sur des personnages non new-yorkais, ce n'est que le 3ème roman que je lis d'elle, mais elle-même est très New-yorkaise...

Ceci dit, la problématique de départ, existe un peu partout : Oui, il est plus difficile pour une artiste de faire voir et comprendre son travail , car et c'est là ce qui va être disséqué dans le roman, nous ne percevons pas les oeuvres d'art sans tenir compte de ce que nous savons de l'artiste, dont en premier lieu son sexe et genre.
Il y aura donc des pages et notes de bas de page ( fort intéressantes !) sur la notion de perception entre autres !


C'est un roman brillant, profondément intellectuel, dans le bon sens du terme, impossible de le lire sans réfléchir plus avant, sans chercher au-delà, sans lire sur certains termes évoqués...Ceci rend plus intelligente, peut-être ? je ne sais pas , mais j'aime bien cette stimulation !

Nous ne sommes dans l'émotion avant tout, qui m'est familière, mais justement cela m'intéresse de passer à un autre niveau, à une réflexion plus poussée , dans un récit choral, absolument fascinant et pas toujours " charmant"


Oui car l'histoire de Harry, va au -delà de la question des artistes-femmes et leur statut/s actuel/s dans le maelstrom qu'est le mélange entre milieu/ marché/ de l'art visuel et contemporain ! On pourrait très bien en France considérer le travail artistique décrit par l'autrice dans le roman comme de l'art singulier actuellement, me semble-t-il...
Mais elle veut elle, être vue, visible, reconnue, comprise ! Et c'est bien ça le pire, le plus âpre et difficile : Que le travail soit visible, c'est déjà bien compliqué, qu'il soit reconnu...Ouh là , mais compris ? .... !! Je ne suis pas certaine que ce soit toujours possible !
Il y a des pages écrites par des critiques d'art ( inventés oui bien sûr ! ) où je me suis dit que Siri Hustvedt avait dû bien s'amuser...
Que puis-je écrire pour vous donner envie de le lire? le personnage de Harry est fantastique ! On voudrait l'avoir connue... Elle est tellement pleine de vie, de variété, d'élans, de contradictions oui, mais aussi d'ouverture et ... Elle est tellement intéressante !
Oui elle choisira trois artistes hommes pour la représenter dans des galeries qui vont montrer son travail en leur nom , pour tenter bien naïvement de prouver ensuite que c'était le sien et que les succès sont siens : Mais enfin, pourquoi ne pas avoir signé de contrats ...? Toujours est-il qu'à part le second artiste qui lui est gay et métisse , donc opprimé aussi, les deux autres ne se comporteront pas bien avec elle, jusqu'au dernier qui sera immonde.
Et j'ai eu du mal avec cette partie, c'était pénible de la voir presque s'avilir en acceptant de se faire du mal.
J'ai aimé tout le reste... Les créations artistiques, la relation avec ses enfants, leurs écrits, son compagnon de la fin, ses emportements et sa porte ouverte, son originalité; les notes de bas de page , et tous les questionnements qui ont accompagné cette lecture bien féconde !


J'ai aimé Harry aussi , et ma curiosité envers Siri Hustvedt a été attisée , cette femme est si brillante , c'est une chance de pouvoir la lire !


Lien : https://lautremagda.hoibian...
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Si "Un été sans les hommes",qui fut une première excursion dans l'univers de Siri Hustevdt ,ne m'a laissé qu'un sentiment mitigé , il m'a fallu poursuivre immédiatement dans cette découverte pour parvenir à me situer plus précisémment et mettre quelques mots sur une impression nébuleuse , indéfinie , à peine palpable .
Et si les préjugés ont la vie dure et ne se laissent pas déloger si facilement comme nous le démontre brillamment l'auteure , ils peuvent s'évanouir comme neige au soleil dès lors que le cerveau veuille bien s'assouplir .
Siri Hustvedt n'a rien d'aimable , ni dans ses interwiews , ni dans son écriture . Engoncée dans un intellectualisme que d'aucuns pourraient qualifier d'ostentatoire , et une hauteur de vue en apparence condescendante , le tout enveloppé dans une enveloppe charnelle effrayante de beauté froide , avouons que ça fait un fait" un peu beaucoup" pour une seule et même personne , dieu est injuste !
Alors , forte et faible de tous ses attributs , Siri Hustvedt s'affirme à travers l'écriture nourrie par de solides formations universitaires en littérature , neuroscience , psychanalyse , philosophie , des centres d'intérêts aussi pointus que l'art ,la philosophie de l'esthétique , l'histoire de la femme dans nos sociétés et tant encore .
Et quand elle se déploie miss Siri Hustvedt , ce n'est bien évidemment pas dans la facilité , la bien-pensance , et une forme enjôleuse ou pour le moins préhensible par un lectorat dès lors acquis .
La coquine d'ailleurs : avec ses titres trompe-l'oeil "Un été sans les hommes " , Un monde flamboyant" ...il y a fort à parier que certains ouvrages ont du se retrouver incongrûment dans un sac de plage et que , s'il est vrai que le livre n'a de vie que dans l'interaction avec son lecteur , celui-ci risque d'être voué à une mort prématuré . Avis aux amateurs donc : ne pas se fier à l'emballage ! Siri Hustvedt , non contente de brouiller les certitudes de son lecteur dans sa perception du monde , semble se jouer de celui-ci avant même de lui donner du fil à retordre !


Il aura fallu La grande librairie récemment avec à l'honneur le grand , l'incontournable , le sexy boy de la Littérature , le conteur inégalable , avec son grand retour à travers ce monument 4321 , j'ai nommé bien sûr le PAUL AUSTER, et pour l'occasion à ses côtés ce jour là , sa femme l'évanescente Siri Hustvedt qui vient de sortir un dernier essai , pour avoir envie de dépasser mes préjugés solidement ancrés je croyais .
Irritée par ce que je percevais comme un certain pédantisme , je fulminais derrière mon écran , épidermique face à cette poupée décidément trop belle pour se permettre autant de psychorigidité affiché , revendiqué (non mais laissez ça aux moches ) . Pas même un faux semblant et un sourire de blonde potiche qui nous la rendrait plus humaine . Et Paul Auster en admiration devant sa muse . Enfin que je pensais .

Au final je décidai un jour de me soumettre à la lecture de Siri Hustvedt . Consciente que celle-ci n'aurait rien de confortable avec ma position actuelle à son égard .

Avec Un été sans les hommes nous faisions la rencontre d'une femme plus très jeune en reconstruction psychique suite à "La pause " de son mari , vous savez celle que les hommes s'accordent lors du fameux passage du démon de midi ! Dit comme ça , sujet vu et revu jusqu'à devenir usé jusqu'à la moelle , ce serait plutôt répulsif , autant que le titre faussement racoleur et la couverture du livre , on aurait envie de vite passer son chemin .
A part que , loin d'une forme larmoyante romanesque dégoulinante ou arrimée à une psychologie féministe primaire et manichéenne , cet ouvrage se définirait plutôt comme un petit éclatement de lambeaux psychiques en train de chercher des outils pour retrouver son unité . Et le chemin est tout sauf convenu : Siri Hustvedt ne se départ pas d'une cérébralité un peu crispante par moment mais infiltrée pudiquement par une sensibilité masquée et désarmante .

Un monde flamboyant , et déjà les petites associations d'idées qui fusent à mon insu pour me conduire dans un univers que j'imagine " paillettes et rouge carmin "et d'entendre les rires de gorges de dindes , euh de femmes , femmes des années 80 jusqu'au bout des seins .
Mais je retrouve dans Un monde flamboyant le même flux de pensée que celui d'Un été sans les hommes et lus successivement , ils se mélangent un peu dans mon cerveau un peu embrumé . Peu importe , au contraire puisque ce n'est pas la trame romanesque qui dirige ma lecture la plupart du temps mais la houle de fond .
Là encore le personnage principal est une femme , artiste de l'ombre , qui tentera de démontrer que "l'art vit uniquement dans sa perception" à travers un subterfuge aussi ingénieux que machiavélique : dissimuler derrière trois artistes différents , trois hommes qui s'appropieront momentanément la paternité de ses oeuvres plastiques , afin d'étudier l'accueil de la presse , du public et du monde de l'art et inclure cette dernière partie à l'intérieur même de sa créativité , comme des prolongements de sa création . Et d'en tirer des conclusions bien plus subtiles qu'une seule démonstration féministe .
Afin de laisser toute subjectivité exclusive , Siri construit son roman à partir de témoignages de ces proches et de carnets intimes réunis à titre posthume par une journaliste qui tente de démêler le vrai du faux de ce jeu d'imposture . C'est donc une narration kaléidoscopique savamment orchestrée pour brouiller le lecteur pour mieux le ramener à s'interroger sur la vérité et les jeux de miroirs . Et par ce procédé ludique et teinté de perversité assumée , en multipliant les prismes , en jouant dangereusement avec les masques et la réalité , en transgressant les lois communément admises , en fracturant les frontières de genre , en vivant l'art dans la réalité et vice-versa , jalonnant son récit de références clés pour éclairer le lecteur (ou mieux l'obscurcir ) , mystificatrice dans la jouissance douloureuse , provocatrice , mise en abyme à travers cette panoplie de personnages insaisissables , se superposant les uns aux autres , réels ou imaginaires ou les deux à la fois , Siri Hustvedt propose une aventure intérieure unique , inconfortable , addictive , subversive , laissant son lecteur en flottement , le temps qu'il se ressaisisse pour porter un regard ouvert sur des contrées jusqu'alors ignorées .
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Je n'ai jamais lu quelque chose d'aussi juste sur l'ambivalence, la dualité de l'identité féminine. Sur l'exercice schizophrénique d'être à la fois femme et humaine, le tour de force pour une femme d'acquérir cette neutralité de l'humain, de l'homme, d'être non pas masculine mais simplement être sans porter le poids de son genre, exister "neutre" comme peut exister n'importe quel humain de sexe masculin. Ou encore: faire l'expérience de l'universel.

Harry tente de s'injecter, d'injecter son être dans trois avatars masculins successifs. le seul pour qui l'expérience de l'usurpation d'identité fonctionne est Phinéas - l'homosexuel, le travelo, le métisse. Celui qui, dans sa chair, fait déjà l'expérience du double contre l'unique, du particulier contre l'universel. le seul qui est prêt à se laisser habiter, posséder par un autre, sans y laisser des plumes. Anton, lui, est dépersonnalisé par cette expérience. Façonné par Harry, faisant siennes ses oeuvres, il se perd de vue, ne parvient plus à se dissocier d'elle, laisse son être se dissoudre dans cette transformation. Rune, quand à lui, fera entrer Harry dans le labyrinthe de sa propre personnalité mythomane - labyrinthe qui deviendra leur oeuvre comune. Il la fait, malgré elle, entrer en symbiose organique avec lui, puis il ferme la porte et jette la clé. Il tente d'enfermer Harry en refusant de révéler son rôle dans la création de leur oeuvre, mais il s'enferme du même coup avec elle, et finira par laisser le mécanisme s'effondrer sur lui, faute d'avoir pu s'en dépétrer.

Harry l'apprentie sorcière a voulu jouer aux masques, aux doubles avec des êtres figés dans leur identité unique, et, en se dépossédant de son travail à leur profit, les a empoisonné. de ce cercle sans fin où chacun est victime de l'autre, seul se sortira celui qui revendique l'entre-deux.
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«Toutes les entreprises intellectuelles et artistiques, plaisanteries, ironies et parodies comprises, regoivent un meilleur accueil dans l'esprit de la foule lorsque la foule sait qu'elle peut, derrière l'oeuvre ou le canular grandioses, distinguer quelque part une queue et une paire de couilles. » Ainsi s'exprime Richard Brickman, critique d'art inconnu, en 2003. Il relate dans un article de quelques pages la très longue lettre de Harriet Burden, veuve de Félix Lord, un fameux marchand d'art. Après avoir exposé quelques oeuvres sans succès dans sa jeunesse, celle-ci prétend avoir produit des expositions reconnues sous trois identités masculines différentes. Trois doubles, trois collaborateurs, dont le dernier, Rune, est devenu la coqueluche du New-York arty.
Quel est le sens, la véracité et la leçon d'un tel travestissement ? I. V. Hess, le double de Siri Hustvedt, mène l'enquête auprès des proches de Harriet - dite Harry, ainsi que de ses trois « masques ». Elle a également accès aux carnets de cette femme à la culture immense et au physique peu féminin.
La reconnaissance et la diffusion de l'art, le rôle des critiques (hommes et femmes), la tentation de l'essentialisme comme racine de la production artistique, les rapports de couple dans le cadre de cette dernière sont brillamment explorés sous couvert d'une fiction plus vraie que nature. La mystification de Harriet Burden ne montre pas seulement que le patriarcat est un rempart puissant contre la diffusion des oeuvres féminines (encore aujourd'hui moins de 20% des oeuvres exposées), mais expérimente les conséquences internes et externes d'un pseudonyme masculin, non seulement sur la réception de l'oeuvre, mais aussi sur sa création.
Enfin, ce roman flamboyant ne l'est pas seulement sur le plan intellectuel. C'est aussi une magnifique saga familiale et une cruelle et tendre galerie de portraits du microcosme artistique.
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A la mort d'Harriet, artiste plasticienne, un universitaire se penche sur sa vie et son oeuvre. Dans ce roman choral, interviennent son mari, ses enfants mais également ses assistants, ses galeristes, ses critiques.
Méconnue de son vivant, Harriet attribue son insuccès au fait qu'elle est une femme. le monde de l'art contemporain aurait-il un train de retard? L'artiste organise donc deux expositions en faisant appel à des prête-noms, deux jeunes hommes charismatiques bien dans l'air du temps.
Grand succès. Sans illusions mais portée par la foi, elle poursuit son oeuvre jusqu'à ses derniers jours. Harriet est complexe, humaine et colérique, instinctive et très intello.
Elle se passionne pour l'histoire de la condition féminine mais aussi pour la neurobiologie. On lit ses spéculations érudites dans ses carnets et c'est un régal.
Les personnages secondaires, tout aussi complexes, nous plongent dans l'ambigüité des relations humaines.
La fin du roman est une apothéose et offre un éclairage inédit, à la fois sur Harriet et sur ce que son oeuvre provoque en nous.
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Harriet Burden en a bavé. On peut même dire qu'elle a tout donné. Pour réussir, pour s'exprimer, se faire connaître, se battre contre les limites posées par ses proches, son environnement et ses contemporains, faire triompher d'une façon ou d'une autre ses idées et la forme qu'elle leur donne.
A sa mort, le constat semble clair : elle a tout l'air d'avoir échoué. Sa production artistique est restée particulièrement méconnue tout au long de sa vie, on s'est en général intéressé à elle plus pour son mari que pour elle-même, et ses deux enfants mènent des vies tout à fait détachées de la sienne sans fusion remarquable.

Mais voilà, une étude universitaire ambitieuse s'empare alors de l'artiste disparue, à la lumière de révélations particulièrement croustillantes : Harriet (autosurnommée Harry dans une tentative assumée de brouiller les frontières du genre et de s'inventer au-delà des limites qu'on voudrait lui imposer) aurait eu recours à trois hommes pour se faire passer pour les créateurs d'oeuvres à elle, dans une sorte d'expérience sociale visant à prouver l'existence d'un biais genré et sexiste empêchant les femmes d'accéder à la notoriété aussi facilement que les hommes. La tentative d'Harriet semble avoir été fructueuse, puisque les trois séries d'oeuvres ont connu un succès critique et un accueil bien supérieurs à tout ce qu'elle a pu connaître en son nom propre. Seulement, comme on le découvre petit à petit, la combine d'Harry n'est pas allée sans encombres, notamment lorsque l'un des trois hommes de paille a cessé de jouer le jeu de son éminence grise.

Le roman revient donc, au moyen d'un ensemble de documents divers et variés datant d'époques encore plus diverses et variées, sur la mise en place, le déroulement et l'héritage de la supercherie d'Harry, avec un talent, une inventivité et une tension de tous les instants. On obtient ainsi une sorte d'enquête constituée d'entretiens, d'extraits de journaux et de témoignages, format très bien exploité qui parvient à maintenir en éveil la curiosité du lecteur tout au long de l'intrigue. de plus, le roman ne s'arrête pas à l'histoire d'Harriet et de ses trois complices (au demeurant très intéressante et bien menée), mais pousse encore au-delà, évoque l'art, sa définition et son utilité, la critique, les jugements qu'on formule et ceux qu'on ferait mieux de garder, la transmission, l'héritage et toutes ces traces qu'on a si souvent très très très envie de laisser.

Harry surtout constitue le coeur du récit, personnage fascinant aux facettes multiples et incandescantes, parfaitement acariâtre, parfaitement ambitieuse et parfaitement touchante, pétrie d'ambition, d'impatience et de théories à prouver. On la découvre sous ses moindres visages, de son érudition limite arrogante à son besoin désarmant d'obtenir l'amour et la reconnaissance de son milieu (un peu, rien qu'un peu), et si on se dit dans les premiers instants qu'on va vraiment avoir du mal à s'y attacher, on se retrouve trois cents pages plus tard, en dépit de sa condescendance, de son surintellectualisme, de son intransigeance et de son côté sacrément obtenu, sincèrement attaché à cette figure fascinante, décrite avec une telle justesse, une telle précision et une telle variété de points de vue par Siri Hustvedt qu'on serait tenté de croire Harriet réelle ou inspirée d'une figure historique (et pourtant non, elle reste fictive).

L'oeuvre est dense, exigeante, construite sur un solide bagage théorique, parcourue de références artistiques, critiques, psychanalytiques, offre un panel de personnages d'une exhaustivité folle, des bizarres, des génies, des méchants, des sincères, des naïfs et des grands curieux, parvient à recréer de façon plus que saisissante le milieu artistique new-yorkais et le soumet à une analyse captivante au prisme du genre, de la classe, de l'origine ethnique et du politique. L'autrice parvient de façon à la fois très poussée mais malgré tout accessible à suggérer l'immense, ineffable complexité des intrications entre la famille, l'intimité, la carrière, l'image publique, la sexualité, la créativité, les peurs, les talents et les lubies de tous ses personnages, avec un équilibre certain, facilité par la succession des formats, voix et points de vue qu'offre l'ouvrage.

Le tout est très complexe, ne nous y trompons pas, et il ne s'agit vraiment pas d'un roman qu'on peut dégainer comme ça dans le métro pour en grapiller les pages deux par deux, mais il n'a rien non plus de prétentieux ou d'arrogant : peu importe qu'on ne saisisse pas la moitié des références brandies par son héroïne à la lisière du ridicule, on est quand même inclus, élevé et inspiré par cette histoire, ébloui par le talent, la force, l'intelligence et la rouerie d'Harriet, qui arrive tout de même à se jouer de tout son monde sans jamais le révéler de son vivant (n'est-ce pas la victoire ultime ?), et se bat contre la société et le système qui l'ont invisibilisée en lui retournant ses propres armes. On se retrouve à aimer plus que tout cette femme qu'on avait commencé par trouver imbue d'elle-même et assez vaine, ses enfants qu'on trouvait faibles devenant de plus en plus humains et pertinents, et son objectif en apparence assez simpliste voire immature touchant carrément au génie, avec ces doubles et triples manipulations particulièrement jouissives à voir se dérouler. Un roman rare, après lequel on a du mal à passer à d'autres textes, tant il parvient à créer son univers propre, sa grammaire unique et son atmosphère électrisante. C'est un sacré incendie que The Blazing World, une oeuvre puissamment féministe, érudite et concrète, galvanisante à plus d'un trait. Brillant !
Lien : https://mademoisellebouquine..
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« Bien que le nombre d'artistes femmes ait explosé » écrit Siri Hustvedt, « le fait que les galeries new-yorkaises exposent nettement moins de femmes que d'hommes n'est pas un secret. Les chiffres hésitent aux environs de vingt pour cent des expositions personnelles dans la ville, en dépit du fait que près de la moitié de ces mêmes galeries est gérée par des femmes. Les musées qui exposent de l'art contemporain ne font guère mieux, pas plus que les revues qui en parlent. Toute artiste femme est confrontée à l'insidieuse propagation d'un statu quo masculin. »

Tout est dit. L'argument de ce livre va donc tenir en quelques mots : Femme du célèbre collectionneur Félix Lord, décédé trop jeune, Harriet Burden, devenue Harry, a l'idée de trouver un jeune artiste masculin, un certain Anton Tisch, et de lui confier ses travaux pour les exposer au grand jour, et connaître un certain succès.

Pour raconter cette histoire, Siri Hustvedt aurait pu concevoir une biographie classique, linéaire. Mais rien de tel dans Un monde flamboyant. Pour restituer la vie artistique de Harry, et pour rendre compte du morcellement de nos vies émiettées, l'auteure américaine fait parler des témoins, des proches, ses enfants : Maisie, devenue cinéaste, et Ethan, son fils prodige, Rachel Briefman, son amie psychanalyste, mais aussi les carnets qu'Harriet Burden auraient tenus.

Et l'histoire ne va pas s'arrêter là.
Après avoir « vampirisé » Anton Tisch, Harriet va procéder à d'autres mystifications. D'abord avec un certain Phineas Q. Eldridge, artiste « gay et noir » avec qui elle va exposer ses Chambres de suffocation Ensuite, avec un troisième personnage, dénommé Rune, qui va lui permettre de travailler sur le thème des masques, dans une exposition intitulée Au-dessous, et qui va marquer la fin de l'aventure des prête-noms. Chacun connaissant une gloire éphémère qui semble donner raison à Harriet / Harry : avec une identité masculine, son travail est enfin reconnu.

Siri Hustvedt est un fin connaisseur – une fine connaisseuse ? – d'art contemporain, mais aussi de neurosciences. le personnage de Rachel Briefman le dit bien : Harriet n'est pas du tout psychotique, simplement névrosée, et elle sublime ses névroses à travers ses créations.

Cependant, la vengeance à laquelle elle aspire, en démystifiant la réalité et en révélant qui se cache derrière ses « trois masques masculins vivants » fait un flop : non seulement, personne ne prête attention à l'article paru sous le pseudonyme de Richard Brickman (sans doute encore Harriet) paru dans une obscure revue d'art, The Open Eye, mais encore, Rune dément cette version, en s'appuyant sur la dépression de Harriet Lord : il lui redonne aussi le nom de son mari Félix, ce qui lui permet de nier d'autant plus facilement l'existence même de Harriet Burden.

La fin ne sera pas des plus tendres : Rune mourra d'un accident cardiaque à l'intérieur de l'une de ses oeuvres (celle-ci bien à lui) et Harriet, que la mort de Rune ne console pas, va être confrontée à la maladie.

L'essentiel n'est pas là pourtant. Siri Hustvedt réussit, en effet, la prouesse de restituer l'univers d'une artiste vue de l'intérieur, en la faisant surgir, comme une mosaïque impressionniste, à travers les faisceaux de différents témoignages.

Le mot de la fin revient peut-être à Harriet, filmée par sa fille Maisie :

« J'ai regardé je ne sais combien de fois le film que j'ai tourné d'elle juste un an avant sa mort. Assise dans son atelier à côté de la Boîte d'empathie, elle s'adresse à la caméra. A un moment donné elle me parle à moi, directement. Elle dit mon nom et, quand je l'entends, je sens toujours en moi comme une accélération.
« Nous vivons à l'intérieur de nos catégories, Maisie, et nous croyons en elles, mais souvent elles se débrouillent. C'est le brouillage qui m'intéresse. le désordre. »
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Un livre unique, étonnant, émouvant, qui nourrit la réflexion sur la place des femmes dans le monde de l'art et qui met en scène des personnages aux identités mouvantes à travers un assemblage de textes à plusieurs voix : carnets intimes d'Harriet, artiste new-yorkaise à la recherche de reconnaissance qui réfléchit, enrage, crée, se bat contre le conformisme social et intellectuel, témoignages de sa fille et son fils, articles de journaux spécialisés en art actuel, récits de son amie psy, son amie medium, entrevues d'artistes iconoclastes, d'amis, d'amants...L'exploit de cette somme qui se lit comme un roman est de réussir un tout cohérent avec ce qui anime cette femme : un monde flamboyant tiraillé de tous bords par le désir de reconnaissance et la liberté de créer alors que le passage du temps fait son oeuvre. Un chef-d'oeuvre par sa composition littéraire hors catégorie qui n'est avare ni d'autocritique ni d'humour.
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Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

10 questions
563 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

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