Ce livre a pour auteur un spécialiste reconnu dans le domaine de l'art qui fut aussi fort controversé en raison de ses engagements politiques . Il aborde dans cet ouvrage abondamment illustré (en noir et blanc) , les rapports entre art et psychologie.
Première partie :l'art (En quête d'une voie /L'art et la réalité/L'art et la beauté/De la compostion à l'expression ) 2ème partie : La psychologie (Le vocabulaire de l'âme /L'univers des peintres/La lecture de l'homme/L'inconscient et les instincts obscurs /La lutte et la montée de l'esprit//De l'irrationnel au dépassement) 3ème partie (Le passé et la psychologie collective/Les temps modernes et la psychologie individuelle) 4ème Partie (L'art entre le moi et l'univers) . Interessant même si je ne partage pas cette vision essentiellement spiritualiste.
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C'est que, en dépit de la place prise par les intellectuels au premier plan de la scène contemporaine, nous ne sommes plus des hommes de pensée, des hommes dont la vie intérieure se nourrisse dans les textes. Les chocs sensoriels nous mènent et nous dominent ; la vie moderne nous assaille par les sens, par les yeux, par les oreilles. (...) Un prurit auditif et optique obsède, submerge nos contemporains. Il a entraîné le triomphe des images. (page 7)
Cette poussée ascensionnelle, le baroque l’a comprise et s’en est fait l’instrument.
On ne veut souvent voir en lui que le déploiement d’un faste d’opéra, le recours au luxe vain et trompeur des décors de théâtre.
C’est se laisser prendre aux apparences, méconnaître ce qui, en lui, conjure les limites de l’acquis.
Le baroque, avec une ampleur moindre que l’art moderne, s’est posé comme un refus de l’étouffement qu’entraînait le respect borné, la répétition stérile des principes classiques ramenés à l’état d’un simple formulaire.
Il a compris que cette sécurité de l’intelligence, prônée par l’art de la Renaissance, entraînait à étendre les méthodes de celle-ci à tous les domaines, à réprimer et à exclure les forces organiques qui ne se prêtaient pas à son règne et qu’il y avait là une menace d’arrêt et d’étouffement.
Lui aussi, il a voulu faire craquer des cadres qui, dans leur fixité acceptée, ne permettaient plus aucune croissance.
Il s’est donc retourné vers les forces de la vie, dans leur jet initial et non encore canalisé ; il a voulu faire place à nouveau au dépassement.
Littéralement, il a cherché à « crever le plafond ».
L’expression acquiert toute sa force quand on constate l’importance prise à ce moment par le décor des voûtes des églises et le caractère nouveau qu’on leur donne.
(page 263)
L’artiste manie une autre langue, où se mêlent étroitement et se confondent les intentions lucides et les impulsions méconnues.
Dans son œuvre il livre, obscurément, beaucoup plus qu’il ne croit dire et même bien plus qu’il ne sait de lui-même.
Elle est un témoignage total, non plus l’écho interprété de la conscience, mais une empreinte directe, un sillage resté apparent, un visage toujours vivant.
Le peintre est et reste présent dans son tableau.
(page 167)
Tintoret - La Cène
Dans la grande Cène de Tintoret, la perspective de la table tend le même piège affolant.
À peine, au long de la nappe blafarde, la scène a-t-elle été mise en place, qu’elle est aspirée vers le fond où l’ombre l’attend.
La lumière et ses fantasme arrivent en renfort.
Au tour de la nuit de jouer de son mystère !
Elle a envahi comme un brouillard tout cet espace immense qui vient d’être creusé.
Seule la nappe blanche lutte contre elle, et aussi une série d’irradiations qui s’allument, aussi bien celles, physiques, qui viennent des lampes que celles qui émanent des personnages sacrés, du Christ surtout qui est au centre.
Par ces dernières déjà, nous sommes introduits dans le surnaturel. (…)
L’évidence sûre, conforme à nos calculs et à notre attente, se lézarde.
Par ses brèches, elle laisse filtrer un arrière-plan qui pénètre la réalité physique, à la manière dont l’humidité et les relents d’une cave montent par une porte ouverte.
Plus loin que le connu, plus loin que le connaissable, la peinture s’engage sur les terres du fantastique, sur la route du surnaturel.
(page 261)
L’incertitude de l’art moderne obsédé, dominé par les théories et ce qu’on aime appeler les « expériences », entraîné, sans jamais pouvoir reprendre souffle, par la quête de sa définition, évoque le travail de désagrégation que les sophistes ont accompli sur la pensée antique ou les théologiens ratiocineurs du Moyen Age sur la foi chrétienne.
Notre époque risque d’y perdre le sens direct, total, humain de l’art.
(page 15)
INGE
Archive sonore, comité de gestion
Le 9 décembre 1985 à l'INGE
René Huyghe (1906-1997), Écrivain français, membre de l’Académie française, et conservateur au département des peintures du Louvre