Quelques grains d'une rancune mal digérée ou quelques calculs un peu trop diplomatiques suffisent à compliquer, à épaissir, à troubler la sincérité diaphane du vrai pardon. Or plus le pardon est impur et opaque, plus il se prête à la description...
Nous aurons donc surtout à dire, pour commencer, ce que le vrai pardon gratuit n'est pas. Trois produits de remplacement s'offrent à nous dès l'abord : l'usure par le temps, l'excuse intellective, la liquidation, qui est « passage à la limite », peuvent tenir lieu de pardon, c'est-à-dire font office de pardon ; si on ne tient pas compte du mouvement intentionnel, ces trois formes de simili-pardon ont à peu près les mêmes effets extérieurs que le pardon pur, tout comme l'apparence conforme au devoir a les mêmes effets extérieurs que le devoir accompli par devoir ; le simili-pardon sans intention de pardonner est aussi indiscernable du vrai pardon que l'imitation est indiscernable du modèle. Car la copie, parfois, contrefait le modèle à s'y méprendre ! Que l'on pardonne par lassitude ou par charité, cela peut revenir au même pour l'insulteur : l'élément différentiel restera invisible… Mais le cœur du pardon, où est-il ? Avec le pardon authentique les pardons apocryphes ont toutefois quelque chose en commun : ils mettent fin à une situation critique, tendue, anormale et qui devrait se dénouer un jour ou l'autre ; car l'hostilité chronique passionnellement enracinée dans une mémoire rancunière, cette hostilité, comme toute anomalie, demande à être résolue ; la rancune attise la guerre froide, qui est un état d'exception, et le pardon, vrai ou faux, fait le contraire : il lève l'état d'exception, liquide ce que la rancune entretenait, résout l'obsession vindicative. Le nœud de la rancune se dénoue.
L'élan du pardon est si impalpable, si controversable qu'il décourage toute analyse : dans cet ébranlement fugitif, dans cet imperceptible clignotement de la charité, où sont les prises qui rendraient possible un discours philosophique ? dans la transparence limpide de ce mouvement innocent, que pourrions-nous trouver à décrire ? Inénarrable est l'instant brévissime, indescriptible le mystère simplicissime de la conversion cordiale. Mais s'il s'agit du pardon relatif et non du pardon absolu, à la bonne heure ! Nous aurons, sur les succédanés empiriques du pardon métempirique, sur les formes naturelles du pardon surnaturel, immensément à dire… Que le pardon soit réticent ou intéressé, c'est-à-dire que le pardon liquide incomplètement le passé ou qu'il louche vers l'avenir, qu'il dissimule une secrète rancune ou comporte une inavouable spéculation, qu'il soit mélangé de ressentiment ou de « pressentiment », dans les deux cas, il offre une riche matière aux décompositions psychologiques ; dans l'un et l'autre cas, il devient possible d'en doser les éléments et d'en déjouer les arrière-pensées. Quelques grains d'une rancune mal digérée ou quelques calculs un peu trop diplomatiques
Que l'on pardonne par lassitude ou par charité, cela peut revenir au même pour l'insulteur : l'élément différentiel restera invisible… Mais le cœur du pardon, où est-il ? Avec le pardon authentique les pardons apocryphes ont toutefois quelque chose en commun : ils mettent fin à une situation critique, tendue, anormale et qui devrait se dénouer un jour ou l'autre ; car l'hostilité chronique passionnellement enracinée dans une mémoire rancunière, cette hostilité, comme toute anomalie, demande à être résolue ; la rancune attise la guerre froide, qui est un état d'exception, et le pardon, vrai ou faux, fait le contraire : il lève l'état d'exception, liquide ce que la rancune entretenait, résout l'obsession vindicative. Le nœud de la rancune se dénoue.
Demain sera Aujourd'hui et Aujourd'hui Hier, le tout dans un seul et même sens : telle est l'intention du devenir ; car le devenir irréversible a un sens et une vocation ! Tout ce qui va dans le sens de la marche et de l'histoire est donc à l'endroit ; tout ce qui va à contresens ou nage à contre-courant, c'est-à-dire vers l'amont, est dirigé à l'envers. Il s'agit de devenir dans le sens du temps, et non de revenir à contre-temps ou à rebrousse-temps...
Aristote, comme on sait, accorde plus d'attention à la libéralité qu'au pardon, à l'amitié qu'à la charité ; le stoïcisme prêche la philanthropie générale et la philadelphie abstraite qui aiment tout le genre humain, mais la tendre agapé, mais le mouvement immédiat d'allocution, mais la prédilection de la première personne pour sa deuxième personne d'amour sont restés, dans l'ensemble, étrangers à la sagesse antique.
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En ces temps de crise, il nous faut résister à tout ce qui, chaque jour, nous entraîne vers le bas : la bêtise, les intégrismes divers, les compromis incessants, les lâchetés, les impostures… Mais comment apprendre à résister ?
« L'esprit de résistance » de Vladimir Jankélévitch, c'est à lire chez Albin Michel.
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