Autant le dire de suite, j'ai été totalement époustouflée par ce roman noir, petit par la taille mais grand par son propos et dense en émotions. C'est méchamment bien léché dans un style à la fois simple, concis, sans fioritures, directe et redoutablement efficace ! Personnellement, il m'a roulé dans la farine jusqu'à la fin… et pourtant…
Et pourtant… plus la lecture avançait, plus ça me rappelait quelque chose. Un je ne sais quoi qui me renvoyai à un film d'Almodovar vu il y a un certain nombre d'années. Pas dans l'atmosphère mais oui et vérifications faites, il s'agit bien de « La Piel Que Habito », film de
Pedro Almodovar sorti en 2011.
Et bien que l'adaptation cinématographique soit relativement fidèle, le rendu est pourtant totalement différent. Fortement empreinte de l'atmosphère Almodovarienne. Je suis contente de ne pas avoir fait le rapprochement immédiatement, ça aurait « cassé » le suspense.
Mais revenons à nos moutons. Je dirais qu'il y a trois personnages « phare » (Eve, Richard et Alex) et deux personnages qui semblent périphérique au premier abord (Vincent et Viviane).
Au début, plusieurs chapitres s'enchainent sans lien apparent. J'avoue que ça m'a déstabilisée (Bravo pour une mordue de thriller ! Mais c'est dire si ça fonctionne bien !), et petit à petit on reconstitue les morceaux. le suspense s'invite d'emblée et les questions fusent mentalement.
On a pour commencer, un jeune homme, Vincent, victime d'un kidnapping en forêt. Il se retrouve à croupir dans une cave où son ravisseur, la
Mygale, comme il le surnomme, le traite d'abord comme un chien, lui faisant subir toute sorte de tortures dégradantes, puis peu à peu cela semble s'arranger pour se dégrader à nouveau. le bourreau souffle le chaud et le froid pour casser psychologiquement sa victime. Lui faire apprécier la moindre miette de clémence.
Puis sans transition, on passe à la vie d'un couple un peu étrange. Lui, Richard Lafargue est un chirurgien plastique réputé. Il pratique à la fois à l'hôpital et dans ce qui semble être sa clinique privée. Lorsqu'il sort le soir, une jolie jeune femme est toujours accrochée à son bras.
Sa femme ? Il aime à le laisser croire, pourtant il tient celle-ci enfermée dans sa propre maison pour une raison inconnue. Reléguée à l'étage, seule l'usage de sa chambre lui est permis. Ces deux-là se vouent une haine sans bornes, à la fois féroce et ambiguë. Des relations venimeuses pour tout dire. D'autant que Richard la contraint à se prostituer. Pourtant Eve s'y plie plus ou moins volontairement puisqu'ils se rendent dans un autre endroit pour y oeuvrer.
A ce stade, je n'en trave plus que pouic (« je ne comprends plus rien » pour ceux qui ne connaissent pas l'argot parisien ! Lol !)… C'est juste un vaste puzzle tout en vrac, et je me dis que ça va être plutôt costaud à démêler… A ce jeu pervers, on finit par se demander qui est le bourreau, qui est la victime. Qui manipule qui ? L'empathie se déplace sans cesse. Qui plaindre, qui condamner ?
Ensuite Alex rentre en scène. Looser patenté, celui-ci vient de rater le braquage d'une banque en tuant accessoirement un flic. Il se retrouve avec un « Wanted » sur le dos comme les Daltons (sauf qu'il est tout seul)… Sa photo est affichée dans tous les commissariats, les aéroports, les gares de France et de Navarre. Impossible de continuer la cavale dans ces conditions. Son seul espoir réside dans un changement physique. On comprend mieux ce qui l'amènera chez le chirurgien.
Durant ses pérégrinations de planques en planques, Alex se remémore son ami Vincent avec lequel il faisait les quatre cents coups. Vincent, qui a soudainement disparu en forêt quatre ans plus tôt. Et hop, une pièce du puzzle qui se met en place !
Intervient aussi en toile de fond, Viviane, détenue en isolement dans un HP en Normandie. Richard court la voir à chacune de ses crises autodestructrices. Leur lien ? Mystère…
Jonquet nous a pondu là une histoire est aussi tordue que machiavélique. L'imbrication des relations des uns par rapport aux autres est diabolique.
J'ai lue plusieurs critiques à la suite de ma lecture et j'en ai découvert une que je vous conseille fortement. Elle éclaire le récit d'un jour différent. En effet, je ne me suis pas penchée sur la signification de cette chanson jouée au piano par Eve, lancinante, répétitive et agaçante. Compte tenu de la complexité du récit, ça ne peut pas être innocent. « lectiole » en apporte une explication flamboyante et tout à fait convaincante. Chapeau !
Sous ce nouvel éclairage, je me demande si cette chanson, « The man I Love » (l'homme que j'aime) ne fait pas référence à Narcisse finalement avec ce que l'on découvre au final.
De même qu'une autre réflexion me vient à l'esprit : pourquoi ce prénom, Eve ? Je dirais parce qu'Eve est la première femme de l'Histoire du Monde. Une « création » de Dieu. Ceux qui auront lu le livre pourront comprendre je pense.
Ce roman est addictif (et j'emploie rarement ce terme) et sans espoir. Moi j'y ai entrevue pourtant une « lueur ». Celle que la haine la plus farouche ressemble aussi à l'amour malgré tout et que confronté à l'acceptation et la résilience la plus totale, elle peut engendrer (peut-être) l'esquisse d'un sentiment envers la victime et vice et versa. Syndrome de Stockholm ? Et au final, n'y a-t-il qu'une victime ?
Alors, la lecture vous tente ? Foncez sans hésiter, je recommande chaudement ! J'ai lu ce Jonquet sur les conseils d'une amie. Ce ne sera assurément pas le dernier au contraire. Revoir l'Almodovar aussi dans la foulée pour saisir les subtilités qui m'ont échappées la première fois.