Le parcours d'un compositeur, immense et dérisoire, raconté par la voix de son fidèle majordome : une nouvelle merveille signée Josipovici.
Massimo, l'ancien majordome du compositeur disparu Tancredo Pavone, rapporte dans un entretien avec un anonyme, sans doute un journaliste, les pensées de son ancien «employeur», un homme bien singulier.
Aristocrate sicilien fortuné, personnage hautain sans doute et en tous cas terriblement réactionnaire, qui, après une jeunesse dorée passée à écumer les casinos et clubs de bridge de la Côte d'Azur, a étudié la musique à Vienne, a côtoyé
Henri Michaux,
Philippe Soupault et beaucoup d'autres écrivains dans le Paris d'avant et après-guerre, avant de vivre une vie recluse à Rome, dédiée à la recherche obsessionnelle du son ultime : La figure de Tancredo Pavone, inspirée à l'auteur par celle du compositeur et poète
Giacinto Scelsi (1905-1988), se dévoile au travers des propos du majordome, et des souvenirs, que les questions vagues ou perfides de celui qui l'interroge font ressurgir.
Le couple Massimo – Pavone, maître et serviteur, parole et oreille, créateur et auditeur, mort et vivant, avec ce majordome hypermnésique qui semble reproduire les paroles entendues dans la bouche de Pavone sans les juger, parfois même sans les comprendre, produit une sorte d'effet comique, car les propos passionnants sur la musique ou la création, l'effondrement de la culture, des thèmes chers à l'auteur, côtoient des considérations tout à fait surprenantes, comme cette attention maniaque qu'il porte à la propreté, et à l'entretien de ses milliers de cravates et de costumes, ou ses fascinations mystiques nées de voyages en Inde et au Népal, et sur les terres de l'ancien royaume d'Ifé dans l'actuel Nigéria.
Ce qui se révèle avec le déroulement de l'interview et du temps, les souvenirs du majordome se faisant plus précis, et la familiarité entre Massimo et Pavone plus profonde au fil des années, est le portrait d'un homme qui laisse entrevoir ses failles, son humanité vulnérable malgré la hauteur de l'art à laquelle il prétend, en particulier lorsque Massimo conduit le compositeur vieillissant sur les routes de Campanie, et que celui-ci livre ses pensées au rythme de ce qu'on imagine être le paysage qui défile.
Toute l'oeuvre de
Gabriel Josipovici tisse des liens entre la littérature et les autres arts, autour de Pierre Bonnard dans «Contre-jour», de la musique de J.S. Bach dans «
Goldberg : Variations» et souligne comme dans ce roman, publié en anglais en 2012, à paraître en janvier 2016 chez Quidam éditeur (avec une traduction impeccable de
Bernard Hoepffner) les paradoxes de l'obsession artistique, aussi grande qu'illusoire.
Et enfin l'écriture, uniquement en dialogues, compose un livre au rythme unique, un bonheur de lecture vivant et
enjoué, en dépit du pessimisme de nombre de ses motifs, en boucles et en détours, qui rappelle en écho les monologues brillants de Jack Toledano dans «
Moo Pak».
Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/12/04/note-de-lecture-infini-gabriel-josipovici/
Vous pourrez acheter ce roman à la librairie Charybde dès sa parution en janvier 2016, ici :
http://www.charybde.fr/pages/search?q=josipovici