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EAN : 9782070147069
464 pages
Gallimard (05/10/2017)
4/5   10 notes
Résumé :
On l'imagine souvent retiré dans sa tour pour caresser les muses et élaborer une sagesse intemporelle. Mais Montaigne ne peut se résumer à l'image du philosophe voué à la contemplation. C'est un seigneur à la tête d'un vaste domaine, avec ses paysans, ses vignes et ses champs. Un gentilhomme pétri de culture nobiliaire, dont il brave les certitudes pour leur substituer un idéal inédit : conquérir la grandeur dans la "médiocrité" d'une existence ordinaire. Un ancien ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
J'ai avec les Essais de Montaigne une histoire personnelle qui me laisse le souvenir d'un supplice. J'avais seize ou dix-sept ans, l'exercice nous était imposé par un professeur de français féru de XVIème siècle qui ne s'était pas satisfait des extraits du réputé Lagarde et Michard. Cet idéaliste obstiné tentait de détourner les ados que nous étions de leurs dissipations triviales, quand, pour ce qui me concerne, l'objet de mes préoccupations était assise quelques rang devant moi. Délicieuse, radieuse, mais studieuse. Les Essais de Montaigne sont restés dans ma mémoire comme une double frustration. Une langue indéchiffrable qui m'avait valu des notes calamiteuses et un dos tourné capable d'en déclamer quelques citations par coeur.

Je n'avais donc jamais envisagé de raviver cette déconvenue jusqu'à ce que sur l'étal de mon libraire, s'expose en gros caractère le nom associé à celle-ci : Montaigne par Arlette Jouanna.

Exorcisme ? Masochisme ? Je l'ai acheté. Je l'ai lu.

J'ai aimé. J'ai depuis quelques temps déjà l'esprit mieux disposé.

"Viresque acquirit Eundo", Il acquiert des forces au fur et à mesure qu'il avance.

La vie de Montaigne, c'est la vie d'une oeuvre. Cent fois sur le métier remet ton ouvrage. Les Essais, livre I, livre II, édition dite de Bordeaux. La vie d'une oeuvre. L'oeuvre d'une vie. La crainte de l'oubli. Première édition posthume de 1595; puis huit rééditions jusqu'en 1635, peut-être moins intègres celles-là. L'aventure se prolonge jusqu'au XXème siècle au cours duquel un lycéen en arrive à haïr le penseur à la langue obscure qui lui a dérobé ses préoccupations frivoles, ses espoirs d'envol.

La langue de Montaigne, que même certains de ses contemporains avaient trouvé ardue, m'avait fermé au contenu de sa pensée. Je n'avais donc pas entrevu que Montaigne était un homme comme les autres, avec ses interrogations, ses peurs, ses contradictions, ses espoirs, ses joies aussi mais si peu. Je n'avais pas entrevu que Montaigne parlait tout simplement de la vie des hommes, confrontés à leurs congénères et à eux-mêmes surtout, que ce qu'il disait en ces temps où ses contemporains s'entre déchiraient sur des questions de dogme serait encore d'actualité aujourd'hui. Avec la même acuité.

Arlette Jouanna a su m'ouvrir à tout cela. Elle a produit une biographie qui évite l'écueil de la simple chronologie des dates auxquelles se raccrochent des événements. On n'y échappe certes pas, s'agissant du genre de cet ouvrage, mais elle a eu à coeur d'aborder la vie du philosophe avec un canevas plus thématique, de faire le décryptage qui avait rebuté les ardeurs de l'homme en devenir que j'étais. Qui n'est pas devenu si on se réfère à l'idéal de Kipling.

Montaigne rêvait de survivre par ses écrits, sans y croire vraiment. Philosophe pessimiste mais opiniâtre, pragmatique mais influençable, ambivalent mais consensuel, entreprenant mais prudent, humaniste mais individualiste, subjectif mais ouvert à la contradiction, pacifiste sans illusions. Penseur pétri de modération bien inspirée, de modestie mal inspirée, puisque devenu référence parmi les humanistes.

L'utopiste-réaliste avait un grand talent pour la dérobade. Philosophe, il rêvait de voir ses pairs prendre en main la destinée des hommes en lieu et place de politiques ambitieux. Avec une prudence avisée en ces temps de guerre de religion il a laissé planer le doute sur ses convictions, et à son lecteur, qu'il interpelle en préambule de son ouvrage, le soin de décrypter ses raisons et convictions qu'il distillait avec le souci de ne pas heurter, l'obsession d'être aimé : "C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai nulle considération de ton service, ni de ma gloire."

Tout est suggestion chez Montaigne, car "toute certitude révélerait une violence prête à se déchaîner". Nous sommes nés pour butter sur des questions sans réponse. Le doute doit rester le propre de l'homme.

Arlette Jouanna a construit la biographie de la genèse d'un esprit plus que de la vie de l'homme, celui qui "prenait plaisir de déplaire plaisamment". Un ouvrage très riche qui fait la part entre l'avéré, le supposé, le caché. Sous sa plume, j'ai aimé faire connaissance avec le tourmenteur de mes années lycéennes.

Quant à l'autre, le dos tourné, si j'en crois Montaigne, je trouverai consolation à mon insuccès :
"Toutes passions qui se laissent goûter et digérer ne sont que médiocres".
"La plus sûre garde de la chasteté à une fille, c'est la sévérité."

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Voilà une biographie de Montaigne écrite par une historienne au style supportable. A quoi bon une biographie de Montaigne ? Les Essais ne satisferont pas le lecteur curieux de la vie de l'auteur : ils sont chronologiquement imprécis, lacunaires et désordonnés, indifférents aux détails et parfois même aux gens ; bref, Montaigne n'a rien d'un mémorialiste à la Monluc ou Marguerite de Valois. Il n'est pas non plus un biographe à la mode de Brantôme. Il se propose de se peindre, pas de se raconter. Donc Arlette Jouanna utilise modérément les Essais, et étend sa recherche documentaire aux archives de la mairie de Bordeaux, aux mémoires du temps, au livre de raison de l'auteur, aux témoignages des contemporains. Je ne dirai pas que son livre rend Montaigne plus vivant, car il l'est déjà, inimitablement, dans sa conversation avec le lecteur des Essais. Cette biographie, paradoxalement, fait de Montaigne un homme du passé, engagé dans les solidarités nobiliaires locales et les guerres civiles de son temps. C'est ici un homme de la Renaissance comme un autre. Evident, direz-vous. Mais souvenez-vous de l'avertissement de Proust dans son "Contre Sainte-Beuve" : un livre est le produit d'un Moi autrement plus profond et secret, peut-être plus durable et même éternel, que le Moi public visible par tous. L'historien n'a accès qu'à l'homme public. Il fait le portrait du mort. A l'inverse, le lecteur des Essais converse avec Montaigne vivant.
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"QUE SAIS-JE ?" (Michel de Montaigne-1533-1592)
Le XVIème siècle français se divise très grossièrement en deux périodes : celles d'avant les guerres de Religion (avant 1562), celles durant les guerres de Religion (1562-1598). L'éclatante Renaissance française cède le pas aux violences inter confessionnelles d'une cruauté infernale confirmant, s'il en était besoin, que les conflits les plus furieux, les plus atroces, les plus destructeurs trouvent une de leurs expressions les plus abouties dans les guerres civiles.
Montaigne vit l'essentiel de sa vie au sein de cette période de troubles incessants. Issu de la Robe bordelaise, enserré dans un maillage étroit d'alliances, de dons et de contre-dons, inscrivant sa course aux honneurs dans la quête d'une Noblesse sans ascendants roturiers, n'existant que pour servir sa Maison, sa croissance, sa richesse, sa réputation, Montaigne va se dégager de ce carcan social en se créant un espace intérieur de liberté qui dépasse très largement la notion de "Temps à soi" dont parle Pline le Jeune dans ses lettres.
Arlette Jouanna, historienne émérite de la vie nobiliaire du XVIème siècle, nous raconte cette vie étirée entre des contradictions apparemment insolubles dont il se sortira par les Essais.
Il ne s'agit pas d'un commentaire de l'Oeuvre. Arlette Jouanna décrit la trajectoire humaine, les aspirations, les ambitions, le goût pour les plaisirs de la vie, l'estime dans laquelle il tient les femmes, le désir sexuel, la genèse des trois livres, la relation privilégiée avec Marie de Gournay (1565-1645), sa "fille d'alliance" très grande lettrée et gardienne vigilante des écrits, les voyages, l'amitié avec La Boétie, en les inscrivant dans ce milieu aristocratique provincial, éloigné de la Cour Royale, dans le contexte de ces troubles incessants, sources de malheurs ininterrompus, dans la vie culturelle et littéraire du Royaume et hors celui-ci.
L'érudition, au rendez-vous, ne freine pas la lecture. La richesse des connaissances crée un tableau complexe rendant encore plus éclatant, par contraste, le caractère divers, ondoyant, déployé de la pensée montaignienne. Et puis, bien sûr, on retrouve dès l'ouverture du livre cette Tour-Bibliothèque, sorte de Graal de sérénité, de connaissance, de tolérance et de détachement.
Cette biographie de Montaigne est un livre d'histoire dense très réussi.
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critiques presse (1)
LaCroix
20 octobre 2017
Arlette Jouanna consacre à Montaigne une passionnante biographie, qui montre la complexité de son rapport à l’intériorité.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Au cours de son activité de maire de Bordeaux, Montaigne a pratiqué l’art de la diplomatie ; jouant le rôle d’intermédiaire entre les camps opposés, il les a mis en relation, il a maintenu le dialogue entre eux. L’expérience ainsi acquise enracina dans son esprit une espérance obstinée que la violence ligueuse renaissante ne parvint pas tout à fait à anéantir : l’engrenage de la guerre civile pourrait peut-être encore s’enrayer si, malgré les difficultés nouvelles, la communication était rétablie entre le roi de Navarre, chef des huguenots, et le duc de Guise, chef des catholiques intransigeants ; ou bien si Henri III, détenteur du pouvoir légitime, acceptait de s’entretenir avec Navarre, l’héritier de la Couronne désigné par la loi salique. Montaigne a sans doute cru fermement à ces ultimes chances de la paix ; c’est à les saisir qu’il consacra en partie les années consécutives à ses mandats bordelais. Combat difficile : la médiation d’un homme de bonne volonté, au crédit somme toute assez limité, ne pouvait pas grand-chose. Toutes les possibilités de pacification semblèrent se fermer devant lui. Si l’année 1588 fut marquée par une nouvelle édition des Essais, enrichis d’un troisième livre et de quelque six cents additions aux deux premiers, elle offrit aussi le spectacle « des jeux tragiques de l’humaine fortune ».
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L’élection de Montaigne à la mairie de Bordeaux allait lui offrir l’occasion de mettre ses compétences au service du public. Elle a probablement été décidée lors de la signature de la paix du Fleix, au château de Germain-Gaston de Foix-Gurson, marquis de Trans, le 26 novembre 1580. Cet accord mit fin à la septième guerre civile ; outre les clauses précisant les libertés de culte accordées aux protestants, il stipulait le renvoi du turbulent maréchal Armand de Gontaut-Biron, qui cumulait les charges de maire de Bordeaux et de lieutenant général pour la Guyenne. Henri III décida de dissocier ces deux fonctions : celle de lieutenant général échut — à titre provisoire dans un premier temps — à Jacques de Goyon, maréchal de Matignon, et celle de maire à Montaigne. Le nom de ce dernier, sans doute vigoureusement soutenu par le marquis de Trans, appuyé par Catherine de Médicis et agréé par Henri, roi de Navarre et gouverneur de Guyenne, fut proposé aux jurats bordelais qui l’élurent le 1er août 1581, alors qu’il était encore en Italie.
Les aptitudes qui avaient déjà désigné le nouveau promu à l’attention du roi, confirmées par la sagacité dont témoignaient les Essais et par l’expérience amassée au cours du voyage en Italie, le qualifiaient assurément pour ce poste.
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La décision de vivre désormais chez lui n’a nullement représenté pour Montaigne une césure brutale, un repli dans sa tour d’ivoire. Elle n’est que le signe extérieur d’un retournement intérieur, d’un basculement de son regard du « dehors » vers le « dedans », non pour s’y enfermer, mais pour y observer avec curiosité le jaillissement de la réflexion au contact du monde environnant. Son esprit, pour se mettre en branle, a besoin en effet de rencontres, avec ses proches, avec les acteurs de la politique de son temps ou avec les grands auteurs anciens ou contemporains. En explorateur de l’intime, il s’attache à découvrir à la fois sa propre diversité et celle des personnes côtoyées au cours de ses conversations, de ses lectures ou de ses voyages ; il « essaie » son jugement en le confrontant à celui d’autrui. Plus tard, il notera qu’il aurait volontiers publié ses « verves » sous forme de lettres, s’il avait eu à qui parler, comme autrefois il échangeait des idées avec La Boétie. À défaut d’un ami de cette envergure, c’est avec le lecteur que les Essais vont engager un dialogue, en espérant que cet interlocuteur sera « suffisant ».
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L’entrée de Montaigne en magistrature fut assez mouvementée. Son oncle, Pierre Eyquem de Gaujac, avait acheté, on l’a dit, une charge de conseiller à la cour des aides érigée à Périgueux en 1554 ; il l’a transmise à son neveu en 1555 ou 1556 — la date précise est ignorée — avec une dispense d’âge pour ce dernier. Montaigne n’a pas exercé très longtemps dans cette ville ; peut-être même n’a-t-il pas été très assidu, car la jeune cour a dû lui paraître dès le début promise à un avenir bien incertain : les protestations du parlement de Bordeaux et des cours des aides de Paris et de Montpellier, dont les ressorts se trouvaient amoindris, furent telles que le roi dut se résoudre à la supprimer, en mai 1557, et décider que ses membres seraient incorporés au Parlement bordelais. De nouvelles difficultés surgirent aussitôt ; le Parlement n’était pas prêt à obtempérer et émit de vigoureuses récriminations. Le gouvernement royal recula et imagina alors une solution bâtarde, dont l’échec était prévisible : par l’édit de septembre 1557, il ordonna d’accueillir les nouveaux venus dans une chambre des requêtes du palais — à ne pas confondre avec les requêtes de l’Hôtel, tribunal des maîtres des requêtes — dont la création, décrétée en 1543, n’avait pas encore été mise en œuvre. Cette chambre devait s’adjoindre à celles qui existaient déjà au parlement de Bordeaux : la grand-chambre, la plus prestigieuse, qui jugeait en dernier ressort et présidait, lors des assemblées plénières, à l’enregistrement des actes royaux ; les deux chambres des enquêtes, qui instruisaient les affaires et préparaient les arrêts ; enfin la tournelle, qui s’occupait des crimes, ainsi appelée parce que les magistrats des autres chambres y siégeaient à tour de rôle. La nouvelle chambre, instituée sous le titre de « cour des aides et chambre des requêtes du palais de Bordeaux », possédait un statut spécial, puisque ses membres, en sus de l’accueil des requêtes des justiciables et du jugement en première instance des causes de certains privilégiés, conservaient pour la Guyenne leur ancienne compétence en matière de contentieux fiscal, ce qui leur valait des gages annuels de 500 livres, supérieurs à ceux des magistrats des enquêtes qui n’en percevaient que 375 — à quoi s’ajoutaient, pour les uns comme pour les autres, des épices, taxes accordées aux rapporteurs de chaque affaire traitée.
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On se souvient que Montaigne, au moment où il décida de se retirer dans son château, en 1571, fit peindre sur un des murs du cabinet attenant à sa bibliothèque une phrase latine expliquant les motifs de son choix. Une partie des mots employés a parfois été traduite de façon édulcorée ; il est donc nécessaire d’y revenir brièvement. Rappelons-en l’essentiel : Montaigne se dit « pertæsus » (dégoûté, excédé) par deux réalités bien distinctes. Il qualifie la première de « servitii aulici ». Le terme aulici est dérivé de aula, qui ne peut en aucun cas se rapporter à la cour de parlement, comme on l’a souvent cru ; il s’agit plutôt de la Cour royale, dans laquelle on s’expose à une servitude — le sens de servitium dépasse en effet beaucoup en vigueur le vocable français service. L’expression « servitude des Cours » se rencontre d’ailleurs dans les Essais à propos des « cérémonies » mondaines et correspond à un lieu commun très répandu dans la littérature morale du temps. L’autre objet du dégoût de Montaigne concerne les charges publiques (munerum publicorum), cette fois, sans ambiguïté possible, celles que Montaigne a occupées à la cour des aides de Périgueux puis au sein du parlement de Bordeaux.
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