Le constat sans équivoque d’une dégradation sensible du cadre de la justice des mineurs
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Dans sa propre revue, les Cahiers d'études pénitentiaires et criminologiques (n°36 mai 2011), on découvre - ce que les magistrats et avocats observent empiriquement de leur côté - que les risques de récidive diminuent d'autant plus que les condamnés bénéficient d'aménagement de peines et de liberté conditionnelle. C'est encore plus vrai pour les mineurs que pour les adultes.
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Mais la politique suivie depuis plusieurs années conduit à réduire les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse et à accroître de 20% le nombre de places en prison. La France va-t-elle ainsi rattraper la Grande Bretagne au palmarès des incarcérations?
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D'un point de vue purement pragmatique et tant qu'il concerne les mineurs, les principes et l'organisation du service public de la justice sont des éléments essentiels d'une politique de prévention, et donc de tout politique de sécurité. Le mineur, l'enfant délinquant, n'est pas destiné par la fatalité à entrer ni à demeurer dans la délinquance d'habitude. S'il y tombe, la société a le devoir de - et, en outre elle y a intérêt - l'aider à en sortir. A cet égard, l'ordonnance française de 1945 et la loi fédérale suisse de 2005 ne sont pas des textes idéalistes, ni l'oeuvre de rêveurs.
Dans ce modèle protecteur, couramment dit "protectionniste", le principe est par défaut de privilégier les mesures d'assistance. L'article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 parle ainsi de mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation, qualifiées plus simplement de mesures éducatives. Le système mis en place est un système d'option entre la "mesure éducative" et la peine proprement dite, laquelle ne doit être prononcée que si les circonstances et la personnalité du mineur l'exigent.
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C'est à partir de la fin des années 1970 que les interrogations sur la pertinence de l’ordonnance de 1945 commencèrent à s'exprimer vigoureusement, à droite, au nom d'une adaptation prétendument nécessaire, de la charte de l'enfance délinquante à l'évolution de la société. Lorsqu'un rapport fut confié par le premier ministre Lionel Jospin à deux députés particulièrement qualifiés sur les réponses à apporter à la délinquance des mineurs, la question explicitement posée dans la lettre de mission étant sans ambiguïté : si problème il y avait, ce n'était pas un problème de texte, mais de moyens mis en oeuvre pour leur application. S'ensuivit pendant quatre ans la création de plus de 300 postes d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse par an, afin de rendre plus rapide la prise en charge des mineurs. Et, par une étrange ironie de l'histoire, voici que des politiciens se réclamant de l'héritage du "gaullisme" s'emploient depuis des années à démolir méthodiquement un des services publics les plus intéressants de notre institution judiciaire.
Il est de plus en plus manifeste qu'une intense exploitation politico-médiatique cherche à détourner l'opinion publique française de toute réflexion sur les origines socio-économiques et psychologiques de la délinquance juvénile en focalisant l'attention sur des crimes, des drames exceptionnels et des tragédies individuelles. Ce que l'on appelait jadis un "fait divers" est érigé en "exposé des motifs" de lois de circonstance qui se succèdent et s'accumulent, parfois redondantes, voire contradictoires.
C'est seulement à la fin du XIXe siècle que l'attitude envers les jeunes délinquants s'humanise. Ce que l'on appelle en termes techniques le "droit spécial" des mineurs est donc aujourd'hui doublement spécial : inscrit et prescrit depuis un siècle dans les lois "spéciales" (1906, 1912) et surtout dans un texte célèbre - l'ordonnance du 2 février 1945 - ce droit est spécial par son objet. C'est un droit pénal qui entend privilégier l'action éducative sur les jeunes avant la répression des délits et des crimes. c'est un droit qui cherche avant tout à corriger l'auteur avant de punir l'acte - avec l'idée, la perspective ou l'espérance que c'est en corrigeant l'auteur que l'on évitera la multiplication des actes, la récidive. C'est en effet un droit qui fonctionne assez bien en France puisque, aujourd'hui, plus de 80% des jeunes passant devant la justice des mineurs ne réitèrent jamais.
La sanction infligée à un mineur dépend en premier lieu de sa personnalité et de ses besoins éducatifs, et doit prioritairement favoriser sa protection et son éducation. En d'autres termes, la droit pénal suisse des mineurs se veut résolument protecteur.
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En Suisse, la droit pénal des mineurs prévoit quatre mesures : la surveillance, l'assistance personnelle (deux mesures permettant à l'Etat de s'immiscer de manière plus ou moins importante dans l'éducation des mineurs), le traitement ambulatoire (lorsque le mineur souffre de troubles psychiques) et le placement (soit dans une famille d’accueil, soit en institution plus moins fermée). Ces mesures prennent généralement fin, lorsque l'objectif est rempli, ainsi que - au plus tard - lorsque l’intéressé atteint l'âge de 22 ans, âge qu'il est aujourd'hui projeté d'étendre à 25 ans - en Suisse!
Interview avec Pierre Joxe sur France Culture