UN AUDITEUR : Existe-t-il un moyen d’établir le silence dans l’esprit ?
KRISHNAMURTI : Tout d’abord, quand vous posez cette question, vous rendez-vous compte que vous avez l’esprit agité ? Vous rendez-vous compte que votre esprit n’est jamais silencieux, qu’il bavarde sans arrêt ? C’est un fait. L’esprit est sans cesse en train de parler, soit à quelqu’un, soit à lui-même. Il est actif tout le temps. Pourquoi pose-t-on une question telle que la vôtre ? Veuillez élucider cela avec moi. Si c’est parce que vous êtes partiellement conscient du bavardage et que vous voulez vous en débarrasser, vous pouvez aussi bien prendre une drogue, une pilule et plonger l’esprit dans le sommeil. Mais si vous enquêtez réellement et voulez savoir pourquoi l’esprit bavarde, le problème est entièrement différent. Dans le premier cas, on s’évade ; dans le second, on suit le bavardage jusqu’au bout.
Et pourquoi l’esprit bavarde-t-il ? Par ce mot bavardage, nous entendons dire que l’esprit est toujours occupé à quelque chose, avec la radio, avec ses problèmes, sa profession, ses visions, ses émotions, ses mythes. Or, pourquoi est-il occupé et qu’arriverait-il s’il ne l’était pas ? Avez-vous jamais essayé de n’être pas occupé ? Dans ce cas, vous avez pu constater que, lorsque le cerveau n’est pas occupé, la peur est là, parce que cela veut dire que vous êtes seul. Si vous vous trouvez sans occupation, l’expérience est très douloureuse. Avez-vous jamais été seul ? J’en doute. Vous pouvez vous promener seul, être assis, seul, dans un autobus, ou être seul dans votre chambre, mais votre esprit est toujours occupé, vos pensées sont constamment avec vous. La cessation de toute occupation consiste à découvrir que vous êtes complètement seul, isolé, et c’est une chose redoutable. Alors l’esprit continue à bavarder, à bavarder, à bavarder.
Soyons très clairs, je vous prie, sur ce point : je ne cherche à vous convaincre de rien. Ce serait trop puéril. Nous ne sommes pas, ici, en train de faire de la propagande ; nous laissons cela aux politiciens, aux Églises, à tous ceux qui ont quelque chose à vendre. Nous ne vendons pas de nouvelles idées, parce que les idées n’ont aucun sens : nous pouvons jouer avec elles intellectuellement, mais elles ne mènent nulle part. Ce qui a un réel contenu, ce qui est vital, c’est de faire face à un fait, à savoir que notre psychisme, que tout notre être, depuis des siècles, a été mécanisé. Toute pensée est mécanique, et pour être conscient de ce fait, pour aller au-delà, il faut d’abord le voir.
Et que voulez-vous dire par « processus de dualité » ? Nous savons qu’un tel processus existe : le bien et le mal, la haine et l’amour, et ainsi de suite ; et être attentif à ces opposés est très difficile, n’est-ce pas ? Mais pourquoi établissons-nous ce processus de dualité ? Existe-t-il en réalité ou est-ce une invention du cerveau, qui cherche à fuir les faits ? Supposons que je sois jaloux ou violent ; cela me gêne, je suis mécontent ; alors je me dis : je ne dois pas être jaloux – ou violent, selon le cas –, ce qui est une façon de fuir le fait, n’est-ce pas ? L’idéal est une invention du cerveau en vue de s’évader de « ce qui est », et ainsi s’établit une dualité. Mais si je fais face complètement au fait que je suis jaloux, il n’y a pas de dualité. Faire face au fait veut dire pénétrer dans la totalité de ce qu’impliquent la violence et la jalousie ; et alors, ou bien je trouve que cet état me plaît, et dans ce cas le conflit doit continuer, ou au contraire, je découvre sa pleine signification, et je suis libre du conflit.
En voyageant à travers le monde, on fait partout le même constat, à savoir qu'une immense révolution s'impose.
Pas une révolution d'ordre matériel : il ne s'agit pas de lancer des bombes, de verser le sang, de se révolter, car toute révolution d'ordre matériel aboutit inévitablement à une dictature bureaucratique ou à une tyrannie exercée par d'autres individus (...).
Mais ce dont nous devons parler ensemble, c'est de la révolution intérieure.
La question urgente est de savoir comment libérer le cerveau et l’esprit. Car s’il n’y a pas de liberté, il n’y a pas de créativité. Il sera possible peut-être d’aller sur la Lune, de trouver de nouveaux moyens de locomotion… Mais ce ne sont pas là des créations, ce sont des inventions.
Extrait du livre audio « Un esprit calme et silencieux » de Jiddu Krishnamurti, traduit par Colette Joyeux, lu par Jean-Philippe Renaud. Parution numérique le 30 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/un-esprit-calme-et-silencieux-9791035413361/