Ca commence comme une bonne grosse blague juive new-yorkaise. rien n'y manque: le père physicien mondialement connu, en perpétuelle partance, la mère adorée et insupportable, et Gustav, le fils étudiant historien (sa thèse porte sur les accords de paix pendant la guerre de Cent Ans, de 1337 à 1453), fuyant ce trio symbiotique à Vienne, pour rien moins que devenir fourreur et s'enchaîner à une fadasse juive orthodoxe qui l'entraîne dans une religion rigoriste.
Mais bien sûr, derrière , il y a le tragique , car cette osmose familiale est liée au fait qu'ils sont seuls au monde, toute la famille ayant brûlé dans les camps...
On prend Gustav au sortir de l'aéroport à New-York, et sa mère est venue le chercher. Dans une superbe Cadillac blanche, les voilà engloutis, au passage du pont Tappan Zee, dans un méga-embouteillage, qui va les confronter pendant quelques heures, à leurs souvenirs, leurs démons, leurs rancoeurs.
Peter Stephan Jungk se fait alors le roi de l'allégorie. la relation des deux protagonistes est engluée dans ce sur-place, cette impasse absolue qui va,à la levée de l'obstacle, déboucher sur une libération. Jusqu'à Gustav qui va se faire voler ses papiers , dans cette épreuve de réappropriation de son identité. Mais il n'est pas seul : le père, mort il y a un an, qui a toujours été protecteur et bienveillant , se réincarne en une forme étrange et gigantesque, échouée dans l'Hudson juste sous le pont, "dieu fluvial", havre salvateur, nu et endormi, paysage incarné, rêve d'enfant, fantasme , golem, va savoir.
C'est donc l'histoire d'une curieuse renaissance à 45 ans, d'une libération par le passage d'une épreuve, dérisoire s'il en est. Il y a un mélange d'humour qui ne fait pas toujours dans la finesse -tous les bons vieux clichés y passent -, et de poésie farfelue, pour dresser le portrait de cet homme aliéné, défini par son passé et que le passage du fleuve va délivrer.