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Kadri Raut est une jeune Estonienne,émigrée avec sa mère en France ,à l'âge de dix ans,à la fin des années 80,juste avant la chute de l'URSS et la seconde indépendance de son pays.
Bien que se considérant "l'être le plus rationnel de la famille ", devenue professeur d'université, elle lutte, pourtant et encore avec" les esprits de l'eau et des bois" de son Estonie natale, convaincue que la branche de la famille dont elle est issue "possède un talent rare pour rater sa vie".
Sa grand-mère paternelle vient de se donner la mort. Trois jours après les funérailles ,commencent ses cauchemars,malaises et insomnies. Une mort qui lui laisse un lourd héritage, un douloureux retour au passé familial , dont le tragique rejoint celui de l'Histoire.
De janvier à juillet 2010 ,Kadri nous relate ce passé à travers deux récits,l'un contemporain, la sienne , l'autre celui de Liisi, une amie de la grand-mère ,déportée en Sibérie par les Soviétiques en 1941. La grand-mère est le lien entre ces deux périodes.
Le coeur de l'histoire est le profond mal-être de Kadri, dont elle n' arrive pas à en élucider les racines ,engluées dans une enfance glauque,dans un foyer étroit,ballotée entre des parents fantômes et une grand-mère autoritaire et solide. L'autre passé plus lointain qu'elle entrevoie à travers les lettres de Liisi en déportation ,écrit à la grand-mère ,va lui permettre de faire la lumière sur le passé proche. Cette lumière portera-t-elle un apaisement à son malaise chronique ?.....pourra-t-elle enfin vivre "sa propre vie "?.....Deux histoires d'exil qui se rencontrent à travers l'histoire de l'Estonie ,celle de la déportation étant la pierre tombale. Une période de l'Histoire,où n'existent,ni passé ,ni présent,et le seul sentiment qu'on arrive à ressentir est la culpabilité,.... terrible...."Des hommes qui se reprochaient leur faute,comme si,dans le compte du Tout-Puissant,dans l'arithmétique des dieux,le nombre des morts et des vivants avait été fixé d'avance et que la sauvegarde d'un être humain y avait pour corollaire le sacrifice d'un autre ....les calculs dérisoires des hommes pouvaient-ils résoudre les équations des dieux ?".
Un trés beau roman profond,pudique, écrit en français, qui marque autant par le récit que par la langue. Vu le nombre de critiques sur Babelio et que le livre ait paru en 2013 ,je trouve dommage qu'il ait attiré si peu d'attention. Quand à moi, bien que l'ayant acheté à sa sortie, n'arrivant pas à lire à la vitesse de mes achats, je l'ai laissé traîner trois ans dans mes piles....
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Arithmétique des dieux, par Katrina Kalda

Gallimard



Ce roman autobiographique a reçu le Prix Richelieu 2015, décerné au meilleur roman écrit en français par un auteur dont ce n'est pas la langue maternelle



SYNOPSIS ET STYLE EN BREF, car on ne peut dissocier le fond et la forme



Arithmétique des dieux est une sorte de chronique autobiographique croisée de deux familles estoniennes victimes des implacables occupations successives des maitres nazis et communistes[1], avec leur cortège de privation, de difficultés quotidiennes, et de déportation de populations entières en Sibérie[2], dont le tort était seulement d'avoir été sur le mauvais trottoir lors des rafles.



Le roman relate des tranches de vie plutôt qu'il ne raconte une histoire avec un dénouement, et alterne

o quatorze passages datés de janvier à juillet 2010, mais dépeignant aussi bien le présent que le passé, écrits à la première personne par la narratrice, Kadri Raud, qui a pu émigrer à Paris, à dix ans, avec sa mère dans les années 1980 à l'instar de l'auteure du roman, Katrina Kalda, et

o treize lettres envoyées entre mars 1945 et septembre 1947 par une musicienne déportée dans un camp sibérien, Liisi (ou Lisbeth), à son amie Eda, grand-mère de Kadri. Ces passages-là sont imprimés en italiques. On apprendra à la fin du roman que Liisi est morte en juin 1948.



Tout oppose ces deux exils lointains et désynchronisés, en Sibérie et à Paris: le fossé entre liberté oisive et travail forcé, l'écart chronologique des générations, et la manière dont les deux protagonistes réagissent aux évènements. Entre ces deux exils: un vague trait d'union, Tallinn, petite capitale de l'Estonie, le moins peuplé des Etats baltes, port d'attache où s'animent les autres personnages de ces deux familles, de la grand-mère communiste et autoritaire, aux personnages plus effacés.



A la manière d'un tableau impressionniste, le roman progresse par petites touches, sautant d'un lieu et d'une époque à l'autre, mais de manière combien réaliste, faite de petits moments du vécu des personnages. Si les destins individuels et collectifs sont étroitement imbriqués, ces derniers ne sont vus qu'à travers les fragments des premiers, l'auteure nous livrant son saisissant témoignage de manière indirecte, aux antipodes des gros sabots d'une approche historique ou didactique.



Les deux composantes désaccordées du récit se complètent tout en s'opposant radicalement:

o Au-delà de l'Oural, depuis son camp sibérien aux conditions de vie implacables, Liisi écrit à sa correspondante des lettres chaleureuses et pleines d'espoirs (notamment espoirs de libération sur fond de rumeurs). Habitée par l'amour des autres, elle se préoccupe de son mari, de son enfant, et des autres membres de la famille plus que d'elle-même, et démontre une impressionnante faculté d'adaptation pour combattre l'inhumanité de son quotidien, le tout dans un climat positif où, pour survivre à l'horreur, elle s'active courageusement, ne voulant voir que la bouteille «à moitié pleine», même quand elle apprend la mort de son mari. La faim dans la taïga se tresse au contact intime d'une nature rythmée par le fort contraste des saisons. Hivers rigoureux où le courrier ne parvient pas, et baraquements mal chauffés. Printemps fleuris, promesses de vie. Etés apportant quelques fruits sauvages, et automnes offrant d'heureux champignons. Liisi défriche la forêt pour cultiver un petit lopin de terre, se construit une cabane, s'ingénie à faire des travaux de couture qu'elle échange contre un peu de farine, et se trouve toujours un nouvel objectif, ne se plaignant même pas des salaires impayés et des autres privations et brimades. Ce déni de l'horreur m'a rappelé le film La Vita è bella (1997) où un père juif protège son fils en lui faisant croire que ce qui se passe dans le camp allemand où ils se trouvent n'est qu'un grand jeu. A la fin du roman, ultime touche d'espoir, Liisi se remarie dans le camp, mais meurt juste après avoir donné le jour à une petite Kati.

o Qu'en est-il de Kadri, la narratrice, qui – elle - a échappé à l'horreur? Elle erre entre Paris et Tallinn, entre passé et présent. Dépressive, sans attaches ni buts précis dans la vie, elle est vaguement à la recherche de son passé et de son père, qui est peut-être le fils de Liisi, les actes de naissance ayant pu être falsifiés sous les deux occupations, mais sans chercher vraiment, et le roman s'achève sans lever le voile. Kadri ne retire qu'indifférence de rencontres aussi brèves que rares, sans joie ni plaisir, et qu'on peine à qualifier de sentimentales, sauf une grossesse interrompue en décrivant son inaptitude à tout sentiment maternel. En ville, le rythme des saisons, si présent en Sibérie, est absent. Même avec la nature, il n'y a pas de liens. Les allusions à la période soviétique se font le plus souvent sur le mode d'un humour désabusé, car le vrai rire n'existe pas. Les derniers mots du roman évoquent des souvenirs «tracés à une époque lointaine que nous portons encore en nous, mais dont, pourtant, nous ne saurons jamais rien». Il ne manque que les points de suspension.



Alors que le style des lettres de Liisi est réaliste, parfois terre à terre, reflet des préoccupations immédiates de son quotidien, celui de Kadri est souvent imagé, raffiné et onirique, complétant ainsi ce jeu de contrastes qui structure le roman d'une manière particulièrement originale. Parfois cela m'a fait penser à deux hétéronymes de Fernando Pessoa qui se côtoieraient à trente-cinq ans de distance sans jamais se rencontrer.



Je propose ci-dessous quelques extraits textuels des deux composantes de l'ouvrage qui seuls, et en tous cas mieux que mon commentaire, permettent d'approcher l'originalité du roman, la qualité de son (ses) style(s), l'humanité de l'auteure, et ses mérites pour l'obtention du Prix Richelieu. L'auteure, de langue estonienne, une langue non-indo-européenne, manie avec brio un français particulièrement riche et inventif.





EXTRAITS DE PASSAGES REDIGÉS PAR LA NARRATRICE



Il est devenu patent que la branche de la famille dont je suis issue possède un rare talent pour rater sa vie…. Les vivants les plus obtus et les plus malveillants se transforment en morts vertueux et sages à l'instant même où leur âme déserte leur corps, et leur jugement prend aussitôt valeur de vérité.



J'étais soudain emplie d'une grande tristesse, non de la tristesse profonde du deuil, mais de celle, large, vague, sans limites, ni véritable objet, des chagrins d'enfant; l'intuition de l'abandon et de la solitude, de l'absence de sol ferme et de repères, de l'impossibilité des certitudes, de la faiblesse inavouée des adultes car chacun est seul face à la mort et à la vie, aux catastrophes, aux déceptions, aux renoncements.



[Sous la douche] J‘entends que l'eau, en s'écoulant, me lave des rêves de la nuit et les emporte dans les souterrains de la ville avec les illusions et les espoirs des hommes, leurs désirs, leurs angoisses, et leur ressentiment.



Une maison en désordre est une maison qui vit… Je découvris que le rangement n'a pas pour but d'organiser l'espace, ni de lutter contre le trop-plein d'objets, mais de mettre de l'ordre dans le vide, de tendre des filets au-dessus du précipice abyssal de la vie.



L'amour me fait songer aux transactions suspectes qui sous-tendaient le système des lots soviétiques: dans les pays de l'URSS, il arrivait que pour se procurer un produit rare, comme les petits pois sucrés en conserve,… il fallût consentir à acquérir en même temps de la betterave râpée en boite… ou le dernier compte-rendu du Comité Central… L'amour est une gigantesque supercherie… Je n'ai retiré de ces épisodes que des preuves de mon incompétence sentimentale, des désappointements et de la confusion.



En face de moi, mes vieilles culottes de coton noir me fixaient comme une rangée de corbeaux moqueurs perchés sur une ligne à haute tension.



La conversation de tante Hilda, qui n'est plus qu'une immense digression, ressemble à la ramure mal soignée d'un très vieil arbre dont les branches sont encombrées de ramifications, de sorte qu'on n'en trouve jamais le tronc.



Au début des années 1990, correspondre avec l'Ouest était devenu plus facile, si bien qu'on était entré dans une époque où, aux quatre coins du monde, des cousins, oncles et amis oubliés surgissaient du jour au lendemain. Des millionnaires établis en Espagne et ne parlant pas la langue maternelle se souvenaient soudain de leur lointaine famille; d'honorables citoyens suisses collectionnaient des seringues et du linge de lit à destination des hôpitaux estoniens; des vieilles dames émigrées en Amérique latine, habitant de vastes maisons blanches, pleines de perroquets aux plumes multicolores, découvraient l'existence d'une petite-nièce…



Eda se gara devant un bâtiment qui ressemblait à un immeuble ordinaire, victime comme la plupart des édifices de l'époque, d'un surplus de production de peinture beige. Aujourd'hui encore, constatant que mes souvenirs d'enfance sont invariablement teintés de pigments bruns, verts, beiges ou gris, il m'arrive de me demander si en URSS, les peintres en bâtiment étaient tous atteints d'achromatopsie, ou si la préférence systématique accordée à ces nuances relevait au contraire d'un choix politique visant à atrophier l'imagination des citoyens.



A la table du salon, Ilmar lisait le journal, découpant les articles de la rubrique nécrologique, qu'il collait ensuite dans un petit cahier où s'étendait déjà tout un cimetière.





EXTRAITS DES LETTRES DE LIISI



En tant que famille d'ennemis de l'Etat, nous étions relégués pour vingt ans dans le district de Kargasok… Les hommes et les femmes ont été placés dans des wagons séparés… Si seulement, j'avais Jaan [son mari, dont elle apprendra plus tard la mort] auprès de moi, toutes ces épreuves me paraitraient moins lourdes. Il était mon soutien en toutes circonstances, le point fixe sur lequel m'appuyer lorsque tout vacillait dans la tempête… Peut-être, en te renseignant, pourras-tu obtenir des renseignements sur son lieu de détention… Sois remerciée encore et encore. Embrasse pour moi Lydia, Ilmar, et plus que quiconque mon petit garçon bien aimé.



Je n'ai plus personne désormais à Pärnu auprès de qui m'enquérir du sort de ceux qui me sont chers. Dans mon baraquement logent des Russes, des Moldaves, deux Lituaniennes et trois Estoniennes. Cinq autres Estoniennes vivent avec leurs enfants près du village, dans des huttes de terre… Je remercie le sort qui nous a rassemblés, nous permettant de converser dans notre langue... Cela fait moins d'un an qu'on nous a donné le droit d'écrire… Donne-moi s'il te plait des nouvelles de vous tous… Je ne sais rien depuis la nuit du 14 juin où nous avons été emmenés… Je suis au désespoir de de ne pas connaitre le sort de mon petit garçon [Johannes].



Comme j'aime relire ce que tu m'écris sur Johannes…



Nous préparons aussi de la soupe de chardon ou, mieux, d'orties, ou bien nous coupons les feuilles, les faisons bouillir, puis cuire, mélangées à de la farine et de l'eau. Cela fait une sorte de pain… Au printemps, le sureau rouge donne des fruits que les Russes font sécher… qui sont conservées jusqu'à l'hiver, et remplacent alors le sucre… A l'automne, nous ramassons les champignons… Bien que nous souffrions souvent de la faim, nous croyons tous pourtant que les pires années sont derrière nous.



Dans notre baraquement, depuis cet hiver, nous nous réunissons pour chanter. Nous avons notre petite chorale… Je pense à Johannes, et espère que lui aussi connaitra un jour la joie qu'apporte la musique… Nous apprenons aux autres les mélodies dont chacun se souvient… Tu le vois, même ici, la vie se poursuit.



La musique me manque. L'âme humaine reste assoiffée de beauté et de bonheur. Je tends l'oreille et j'entends des sons dans la nature, des sons étranges et irréels dans lesquels il me semble reconnaitre des ébauches de mélodies, comme un être qui a faim se procure en remuant les mâchoires, l'impression qu'il est en train de manger. Toute la journée d'hier, le troisième Impromptu de Schubert résonnait en moi, apportant en lui et faisant revivre en moi la tendresse, la douceur et la passion, ou je ne sais quel regain de vie.



A l'époque où je travaillais à l'abattage des arbres, mon brigadier s'est mis dans une colère terrible en découvrant par hasard que je savais lire… L'intellectuel est un ennemi du peuple, et c'est bien ce que nous sommes pour ceux dont dépend notre survie.



Le printemps est enfin là. La taïga est pleine de violettes et de scilles. Où que le regard se pose, tout est violet et bleu… Nous attendons l'été avec impatience. Les sureaux noirs nous donneront bientôt leurs fruits, puis il y a aura les framboises et les myrtilles, et des cassis qui poussent à la lisière de la forêt.



La couture m'a permis de survivre pendant les pires années. Les Russes m'apportent le tissu… et j'en fais des jupes et des chemises. J'échange mon travail contre de la farine, des pommes de terre ou parfois des oeufs. Mes clientes sont plus que satisfaites… Je leur taille des robes et des jupes avec de véritables encolures, et des manches légèrement bouffantes sur l'épaule… Et je rêve d'une machine à coudre.



Je m'estime la plus heureuse des êtres d'avoir de nouveau la compagnie d'un livre... J'ai ouvert le livre de Tagore et j'ai lu par hasard ces vers : «Crois à l'amour, même s'il est une source de douleur». Il en va de même de notre pauvre vie. Nous devons l'aimer envers et contre tout, et dans nos souffrances, puiser l'amour. Je t'embrasse, ma chère Eda. Ne m'oubliez pas.



L'espoir est là, malgré tout, de rentrer chez nous un jour.



Au printemps, si rien n'a changé, je me marierai peut-être avec l'un des ouvriers du village.



Ma chère Eda, Je t'écris pour te dire que j'attends un enfant. Il naitra au moment de la fonte des neiges. J'aime penser qu'il viendra au printemps et que ses premiers mois de vie seront ceux où tout, autour de nous, est habité d'un nouvel élan… Je suis confiante et heureuse… Grâce notre vache, nous avons même du lait… Nous avons ramassé du foin pour l'hiver… Cet enfant, comme j'aimerais que tu puisses le voir. Un jour, je te le promets, nous voyagerons jusqu'à vous et nous nous retrouverons [Liisi est morte peu après l'accouchement].



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[1] Riga, capitale de la Lettonie voisine, a consacré à cette époque tragique, vécue par les trois petites républiques baltes, un poignant Musée des deux occupations que j'ai eu l'occasion de visiter et qui, d'une manière différente du roman, relate aussi la tragédie de ces petits pays trop faibles que pour pouvoir résister à la barbarie des deux empires totalitaires.

[2] Dans la nuit du 13 au 14 juin 1941, 9.603 personnes furent arrêtées en Estonie par l'armée soviétique et envoyés dans des camps de prisonnier ou de travaux forcés. La Lettonie et la Lituanie ont subi le même sort. Après l'occupation nazie et le retour des Soviétiques, deux nouvelles vagues de déportation ont eu lieu en 1945 et 1949, la dernière portant sur 4500 hommes, 10274 femmes et 5724 enfants. L'Estonie a perdu 25% de sa population entre 1939 et 1951 du fait de la guerre, des assassinats, de l'émigration, et des déportations.


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Deuxième roman de Katrina Kalda, Estonienne emmenée à Paris par sa mère musicienne à l'âge de dix ans. L'histoire a été fort bien racontée par Babounette et d'autres Babéliens, je ne m'y attarderai donc pas.
L'écriture est très belle, l'auteur a fait des études de lettres à Lyon, et le vocabulaire riche ("étude de l'itelmène", "feuilles d'épilobe", "zones hadopélagiques", "cachectique") mais, à mon sens, il manque de légèreté et de confiance dans la vie occidentale de l'héroïne.

Comme disait Musset "Les chants désespérés sont les chants les plus beaux et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots", les lettres de Liisi à la grand-mère Eda sont merveilleuses d'humanité. Dans la misère et le dénuement de son goulag, elle arrive à donner des couleurs et de la vie à toute chose. C'est réaliste et poétique à la fois. Alors qu'elle était une intellectuelle dans la vie civile - ce qui lui a valu sa condamnation -, ici ses connaissances en couture lui permettent d'échanger son travail manuel contre quelque nourriture. La musique et la lecture lui manquent cruellement. Trois livres représentent son seul trésor. Elle vivra sept ans dans cet enfer tragique et mourra après avoir transmis la vie à une petite fille qu'elle ne verra pas grandir.
Auteur à suivre certainement.
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J'ai fait partie du jury du Prix Richelieu qui a couronné ce livre d'une Estonienne. Elle a triomphé d'une quarantaine d'ouvrages écrits directement en français par quelqu'un dont ce n'est pas la langue maternelle, puisque c'est là la spécificité du Prix Richelieu. J'ai été séduit à la fois par la richesse du style et par la profondeur de l'histoire, en partie autobiographique, vécue dans ce pays qui a connu deux occupations tragiques, nazie et soviétique. Il n'y a rien à ajouter à la critique faite à l'époque par Babounette, qui mérite bien d'être relue aujourd'hui. Katrina Kalda a sorti un nouveau roman il y a 5 jours, le 6 mai 2021, "La Mélancolie du monde sauvage". Je l'ai commandé et suis impatient de le lire, mais si vous avez l'occasion, ne manquez pas non plus "Arithmétique des dieux". Et comme on dit en estonien, head lugemist, (bonne lecture)!
Ce livre m'a rappelé celui d'un autre Estonien (livre traduit, celui-là), "Les Vaches de Staline" de Sofi Oksanen. le titre fait allusion à la promesse, faite aux déportés en Sibérie, d'y trouver des vaches magnifiques, qui n'étaient que des chèvres n'ayant que la peau sur les os.
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Un livre très intéressant sur un sujet contemporain : La douleur d'une famille estonienne .
L'Estonie a été traversée par l'occupation soviétique, nazie puis à nouveau soviétique.
On peut facilement imaginer les différentes strates de souffrances que de telles tragédies peuvent laisser dans une famille.

Le roman nous permet de comprendre le drame de ce pays tout en suivant le destin d'une jeune femme qui cherche à se libérer du poids du passé familial.
Ce roman est à deux voix , celle de la jeune femme vivant en France confrontée à la mort d'une grand mère toute puissante et détentrice de la cohésion familiale.
Et celle d'une femme du goulag condamnée à 20 ans dans un camps de Sibérie qui demande sans cesse des nouvelles de son petit garçon laissée à la garde de cette grand-mère.

Tout de suite on soupçonne , cet enfant d'être le père de la jeune fille , mais est ce la vérité?

Où est-elle d'ailleurs la vérité et à qui fait-elle du bien?

Le roman ne donne pas la clé , on aimerait que cette jeune femme se lance dans la vie , mais le passé estonien lui colle à la peau et envahit ses rêves en les transformant en cauchemars .
C'est un beau et triste roman, écrit d'un façon très lyrique , j ai beaucoup aimé la langue de cette jeune écrivaine . Je lui trouve une forme d'exotisme très agréable à lire.


Lien : http://luocine.over-blog.com..
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Départ pour l'Estonie, rencontre avec le peuple finno-ougriens, (il s'agit des hongrois, finnois, estoniens pour les principaux).
Arithmétique des dieux,
Quelle belle description de la tristesse, "non de la tristesse profonde du deuil, mais de celle, large, vague, sans limites, ni véritable objet, des chagrins d'enfants; l'intuition de l'abandon et de la solitude, de l'absence de sol ferme et de repères, de l'impossibilité des certitudes, de la faiblesse inavouée des adultes car chacun est seul face à la mort et à la vie, aux catastrophes, aux déceptions, aux renoncements."
Que ces vies enchevêtrées sont émouvantes, témoignages de survie pour Liisa, témoignages de compromissions pour Eda, témoignages d'espoirs pour Kersti qui a osé partir, récit d'introspection pour Kadri.
Retour sur ces années où l'histoire d'un pays s'est écrite dans la douleur, la souffrance, l'ignorance.
Pourquoi l'arithmétique des dieux, il n'y est pas question de mathématique, de science exacte, de religion, de mysticisme, non juste les calculs dérisoires des hommes, qui voulaient, pouvaient résoudre les équations des dieux ?
Retour sur le décompte macabre de la population d l'Estonie au cours du siècle dernier au rythme des invasions, des guerres, des déportations, des assassinats .... 25% de la population a disparu !
Un détail de l'histoire oseront dire peut être certains !
PS
Petites précisions encyclopédiques pour ceux qui comme moi ne connaissaient pas trop le sujet :
- D'un point de vue ethnique et génétique, les finno-ougriens ne diffèrent pas de leurs voisins s'exprimant dans des langues indo-européennes, sauf les Samis. Les langues finno-ougriennes se sont pas apparentées aux langues indo-européennes comme les langues germaniques, slaves ou romanes.
- Notre route croisera l'histoire de Lyssenko, technicien agricole soviétique, "à l'origine d'une théorie génétique pseudo scientifique, la "génétique mitchourinienne", qu'il promeut pendant la période stalinienne en Union soviétique où elle accède en 1948 au rang de théorie officielle exclusive opposée à une « science bourgeoise », fausse par essence.". "Lyssenko faisait pousser des figues sur les pommiers, la magie du socialisme avait commencé." Depuis, le terme lyssenkisme désigne par extension une science corrompue par l'idéologie, où les faits sont dissimulés ou erronément interprétés.
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Arithmétique des dieux : être née quelque part ...
« L'exil est une espèce de longue insomnie. » Victor Hugo

Racines. C'est sur ce terme que germe l'envie d'évoquer ce roman de Katrina Kalda. Racines s'enfonçant au plus profond des sols généalogiques et émotionnels pour que l'été fleurisse sur la Taïga. Roman de l'Estonie, saisissant témoignage de ce que fut la vie pour les Etats Baltes avant la chute du mur tandis qu'une dictature faisait avaler sa pitance d'humiliation dans l'indifférence générale.

Ce livre est aussi l'histoire de Kadri Raud, née dans ce pays mal orienté sur la mappemonde, lieu de passage de toutes les guerres. Kadri Raud, fille de Kersti Niit et de Juhan Raud, petite fille d'Eda Sepp et d'Ilmar Raud. Tout autour une famille : des vivants et des fantômes au coeur d'un foyer étroit où les émanations de chou, les rancoeurs et les rires trop rares se mêlent à un quotidien aussi sépulcral que le béton de l'architecture. Kadri Raud, narratrice de l'histoire, la grande et celle de l'intime s'unissant en tragiques épousailles. Les hommes forts de cette dynastie seront les femmes. Celle qui tient le coup : la grand-mère autoritaire et solide, adoubée par le parti pour que cesse un peu la grande faucheuse. Celles qui s'exileront à Paris : la mère et la fille avec pour seul bagage une valise attendrissante de robes démodées et de rêves de piano. Celle qui écrira la germination : la petite fille. Ecriture délivrance pour éloigner les obsessions de la propreté et la pauvreté d'une littérature universitaire.

Ceints par l'utérus protecteur : les hommes, ceux de la guerre, ceux qui n'en sont jamais revenus, le communisme ça ne plaisante pas. Enfin en arrière-plan, le père, musicien lunaire dans une famille de chimistes…
Pour ponctuer cette saga d'autres révélations, quelques lettres découvertes fortuitement. Les lettres de Lisbeth, amie de la grand-mère. Lisbeth la musicienne incarcérée en Sibérie pour avoir foulé le mauvais trottoir …

Avec ce second roman empreint de neige et de nostalgie, Katrina Kalda, se réapproprie avec une subtilité peu commune le genre de la saga familiale. Pas de feuilleton de l'été en prévision avec ce récit aussi fragile qu'une forêt boréale perdue sur les trottoirs de Paris. Oui, « L'arithmétique des dieux » est aussi un grand récit de l'exil, celui parfois nécessaire des corps et celui plus improbable des âmes. L'âme demeure une terre, une terre composée d'une langue, d'une musique. Et c'est bien cette sensation qui se dévoile au fil des pages, au fil d'une écriture aussi lucide que poétique.

Katrina Kalda est Estonienne, quelque chose d'elle repose toujours sur ce sol Balte que nulle botte ne pourra souiller. C'est donc fermement ancrée à ses racines que cette jeune romancière talentueuse s'invente un autre pays : celui de la langue française.

Un roman sous aucune surveillance, simplement celle des mots. Et quels mots.

Astrid Manfredi, le 12/02/2014
http://laisseparlerlesfilles.com/

Lien : http://laisseparlerlesfilles..
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RETROUVER CETTE CRITIQUE SUR MON BLOG: lola.mirabail.fr

Ne m'attendant à rien en ouvrant la première page de ce livre, je n'ai ensuite pu m'en séparer qu'en l'ayant terminé. En le refermant, j'ai pu ressentir ce petit goût dans la bouche que j'aime tant, le goût des très beaux romans. SUPERBE.

Publié en 2013 chez Gallimard, le deuxième roman de Katrina Kalda est écrit avec une grande finesse. La langue y est précise, juste, tout en étant aussi mélodieuse, poétique et envoûtante.

Envoûtante, l'histoire l'est tout autant. Kadri Raud, jeune parisienne d'origine estonienne ayant émigré en France à la fin des années quatre-vingt, possède « un talent rare pour rater sa vie » ainsi qu'une « incompétence sentimentale ». Depuis le décès de sa grand-mère, matriarche de la famille au caractère tranchant et imposant, Kadri fait des étranges cauchemars qui l'invitent à se plonger dans l'histoire de sa famille. Naviguant entre les songes, les angoisses et les souvenirs de la narratrice, le lecteur va peu à peu voir se dessiner le passé de Kadri, son enfance passée dans une Estonie encore soviétique, son exil difficile en France avec sa mère... Une histoire familiale pesante lui a été transmise, faite d'interrogations, de secrets de famille et de tragédies. Ce lourd poids du passé, qui rejoint L Histoire tourmentée de l'Estonie, peut rendre délicate la construction de soi.

Au récit de Kaldi font écho des lettres envoyées à sa grand-mère par Lisbeth, une amie déportée dans un kolkhoze sibérien en 1941, à une époque où, du fait de la guerre, des assassinats, des déportations et de l'émigration, l'Estonie perdit un quart de sa population. Ses lettres témoignent des conditions de vie extrêmement difficiles des déportés. Elles permettent d'appréhender différemment la personnalité de la grand-mère de Kadri et suscitent de nouvelles interrogations sur le mystère familial.

Ainsi, l'Arithmétique des dieux est un roman captivant, où les histoires de Lisbeth et de Kadri s'entremêlent avec L Histoire estonienne du Xxème siècle. Il comporte, in fine, une interrogation plus universelle : comment arriver à être heureux lorsqu'un lourd passé nous est transmis ?
Lien : http://lola.mirabail.fr/2013..
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J'ai adoré les discrètes croyances estoniennes qui ressurgissent dans ce récit moderne, un folklore spirituel, respectueux, anachronique, qui donne beaucoup de charme et d'ancrage au roman.
Des vieilles légendes côtoient la dure réalité d'une guerre, échappatoire dans l'imaginaire mais aussi moyen de se racheter, d'arranger les choses dans ces moments.

Voilà pour l'ambiance, quant à l'écriture, elle est belle et efficace, plutôt classique. Elle semble dédiée aux amoureux des virgules en tous sens, comme moi.
L'écriture berce délicieusement.

L'histoire, elle, est à briser le coeur, des familles, des vies détruites, emplies de mensonges, les rafles faites en Estonie. Il est intéressant de voir, que, en effet, ce petit pays possède une histoire si riche, déchirante, bien que ce ne soit qu'un aperçu finalement.
On regrette un peu la manière dont est tournée l'oeuvre : des points de suspensions, un point de vue de la narratrice qui raconte ses souvenirs d'enfance, des allés et retours incessants dans ses souvenirs. Un personnage un peu « hors d'elle » qui regarde sa vie tragique se dérouler, qui semble avoir peur d'y prendre part. Bref, des épisodes qui se chevauchent ou qui s'enchainent.
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Renoncer à mes rangements imaginaires

Une femme Eda, sa petite fille Kadri narratrice.

Un récit dans une très belle langue. le récit d'une famille, de l'exil, de cette Estonie sous domination russe. Puis plus tard, l'ébranlement après la chute du mur de la honte, les restitutions de biens, les nouvelles dépossessions.

En contrepoint des lettres de 1945 à 1947 de Lisbeth déportée de l'autre coté de l'Oural à sa chère Eda.

Les paroles d'Eda, « J'ai l'impression qu'elle vient de laisser échapper quelque chose qui dépasse le sens qu'ont ses paroles pour moi ».

Des descriptions du mal-être, des situations matérielles, des lieux, « Les murs et les plafonds craquent ; les tuyauteries font circuler dans les étages, sous les planchers, au-dessus et en dessous de moi, les déchets issus des hommes et, avec ceux-ci, les humeurs noires, les murmures des esprits, les mauvais sorts, les vengeances non encore consommées ».

L'intime d'une petite fille. Puis les allers et retours d'une femme, France – Estonie, « Nous ne retournions pas dans le même pays », les attachements et les détachements. Les angoisses, les questions…

La mère qui rompt avec les lieux, le regard permanent d'Eda, la grisaille d'un quotidien, la dépossession du piano. Paris, les logements, la précarité, le désordre comme liberté « Ce désordre était la manifestation de la vie, la preuve qu'elle était parvenue à échapper aux forces de pétrification en oeuvre dans les manies de rangement de son mari, dans les catégories de pensées d'Eda, et de manière plus générale dans la classification de Mendeleïev qu'était le système social d'URSS, subdivisé en bons et mauvais, en intellectuels et ouvriers, en ruraux et citadins, en éléments utiles et inutiles, obéissants et indociles ».

La langue toujours si belle, si précise, se réchauffe aux remémorations, aux incertitudes. « J'étais soudain emplie d'une grande tristesse, non de la tristesse profonde du deuil, mais de celle, large, vague, sans limites, ni véritable objet, des chagrins d'enfant ; l'intuition de l'abandon et de la solitude, de l'absence de sol ferme et de repères, de l'impossibilité des certitudes, de la faiblesse inavouée des adultes car chacun est seul face à la mort et à la vie, aux catastrophes, aux déceptions, aux renoncements ». La force des mots pour entrevoir la dureté de situations.

La construction de sens et du questionnement, cet enfant, « Il me semblait qu'on me murmurait à l'oreille un secret que je n'étais pas capable d'entendre », ce garçon…

Le contrepoint devient intelligible, la construction s'impose.

L'histoire diffractée de relations, d'une famille et des pouvoirs. Tattlin, la guerre, l'histoire toujours réécrite par les vainqueurs.

Avec les doutes, les silences, l'ouverture au possible, enfin, « Je regarde la nuit et une phrase curieuse me vient : à partir d'aujourd'hui, me dis-je, je vais vivre ma propre vie ».

De beaux portraits de femmes au siècle des désastres.

Juin 41, l'Estonie est occupée par l'armée soviétique, des milliers d'arrestations, d'envoi en camp de prisonniers, de relégation en Sibérie.

Décembre 1944, l'Estonie est occupée par l'armée allemande, des milliers de personnes assassinées ou mortes en camps de concentration.

1945, retour de l'armée rouge, deuxième vague d'arrestations

Mars 1949, troisième vague de déportations…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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