Remonter la Marne, sur les pas de
Jean Paul Kauffmann est aussi captivant que lorsqu'il nous a entraînés aux Kerguelen avec " L'arche des Kerguelen " où à Sainte Hélène avec "
La chambre Noire de Longwood ", à l'église Saint Sulpice et dans l'oeuvre d'
Eugène Delacroix pour "
La lutte avec l'ange " et enfin en 2009 dans cette région méconnue de beaucoup (dont j'étais) la "
Courlande ". C'est la randonnée d'un intellectuel féru de littérature, d'histoire, d'un observateur de la nature, de la société, et de l'espèce humaine, qui part à pied de Charenton et remonte le cours de la rivière en marchant au plus près possible de l'eau jusqu'à sa source sur le plateau de Langres. Comme dans chacun de ses livres il alterne les événements qu'il vit, et ceux qui se sont déroulés dans les lieux qu'il traverse où visite. C'est aussi le périple d'un épicurien qui déguste le champagne pour en compter l'histoire, qui fume un bon cigare, sur les marches d'une auberge pour apprécier l'instant qui passe, qui profite des repas pour observer les gens, et échanger avec ceux qui partagent sa table. Avec précision, et sobriété, il décrit les paysages, les lieux, les monuments, les couleurs, les odeurs et les parfums, les bruits, les paroles, et ses pensées. Au fur et à mesure de sa marche, à Meaux, il aborde
Bossuet, et consacre des lignes à conter l'opposition entre
Bossuet, l'Aigle de Meaux et
Fénelon le cygne de Cambrai à propos du quiétisme, une idéologie qui divisait la France à l'époque de
Louis XIV. A Château-Thierry, c'est
Jean de la Fontaine qu'il honore en nous rappelant la profondeur de certaines de ses
fables. Pour parler du champagne, il fait appel à son créateur, Don Pérignon, mais au-delà de son rôle dans la création du breuvage, il explique en quelques pages le jansénisme qui marque tant cette région. Plus loin, c'est
Simenon qui apparaît, avec un très beau passage sur l'importance de la pluie dans l'oeuvre de ce dernier. A Saint Dizier, en découvrant une fresque, la Nef des Fous, sur le mur d'un hôpital psychiatrique, il aborde le surréalisme d'
André Breton qui naît peut-être à la suite d'un séjour dans cet établissement. Partout, le long de la rivière il revient sur l'histoire, l'arrestation de
Louis XVI, Napoléon, les batailles de la Marne de 14-18, les combats de 1940, à chaque fois il s'appuie sur les lectures de livres souvent anciens de témoins de ces événements pour prouver qu'elle a souvent été le théâtre des sursauts du pays. Il faut en venir aux lignes sublimes qu'il consacre à la " rambleur " cette lueur qui se dégage au-dessus des villes et des cours d'eau, où encore à l'importance de accent circonflexe sur le a de Châlons en Champagne, où également à l'exploitation de la craie, aux villages engloutis lors de la création de la réserve d'eau de der Chantecoq. Les rencontres occupent une place importante, un ancien journaliste, une consoeur en activité, des routards, un publiciste, des viticulteurs, une amie artiste, un ancien psychiatre, un chien errant, le Maître des eaux, chargé de la surveillance de la rivière, qui lui permet de la descendre en bateau et lui offre une autre vision, un ami photographe qui l'accompagne un bout de chemin, nous valent à chaque de fois de très beaux échanges, pleins d'empathie. Il met en évidence leur combat pour conjurer l'esprit maussade de notre pays, il les montre amoureux de leur région, et du fleuve rivière, résistants à travers les temps. Ce livre prouve qu'il n'est pas nécessaire d'aller si loin pour faire un voyage en terre inconnue, tant il nous révèle des choses que nous ne verrions pas forcément en faisant le même parcours.
Jean Paul Kauffmann fait partie de ces auteurs qu'il faut absolument lire, et dont si c'était possible on pourrait souscrire un abonnement avec l'assurance d'être toujours émerveillé.