Depuis son emprisonnement au Liban il y a vingt ans (qu'il qualifie ironiquement de « déboires personnels »),
Jean-Paul Kauffmann écrit une oeuvre rare qui l'a mené des Kerguelen à la
Courlande, en passant par Longwood et l'église Saint-Sulpice. Il faut le suivre absolument, car il explore ce qu'il appelle les « failles », les « interstices », tout ce qui permet de se soustraire à la « maussaderie générale ».
Dans ce nouveau récit, il raconte sa remontée de la Marne, à la fin de l'été, depuis les friches industrielles parisiennes jusqu'à la source de Balesmes. Muni d'un vaste sac à dos et de ses inséparables cigares, il entreprend, à raison d'une dizaine de kilomètres par jour, de découvrir le fleuve, ses odeurs, sa lumière étrange (la « rambleur »), mais aussi les hommes qui habitent cette région « démeublée », lourde d'un passé historique douloureux.
Kauffmann décrit une France de « conjurateurs », d'hommes et de femmes qui ont tourné le dos au ressentiment et à la déploration, qui « résistent ». « Sans être exclus, ils refusent de faire partie du flux ».
On croise
Bossuet, Jules Blain,
La Fontaine, compagnons de toutes ces pérégrinations, mais aussi des éclusiers, un chien errant (« Clébard »), un maître d'hôtel désabusé, un Japonais, et
Bachelard qui a compris l'âme de l'eau comme personne, sans oublier des jansénistes.
Jean-Paul Kauffmann écrit de manière délectable. Il s'efface derrière l'odeur de menthe de la Marne, n'évoque de lui que ses vêtements alourdis de boue ou les coupes de champagne partagées dans des auberges, mais sa présence n'en est que plus forte. La dernière ligne des remerciements qui figurent en toute fin de volume est dédiée à sa femme Joëlle, « sans qui je me serais probablement noyé dans les eaux de la Marne ».