Un autre tambour est le premier roman, paru en 1962, d'un jeune auteur noir américain de vingt trois ans redécouvert récemment, et qui paraît cette rentrée en français chez Delcourt Littérature.
L'histoire a pour cadre un état imaginaire du sud des États-Unis, entre Mississippi et Alabama. le jeudi 30 mai 1957 dans l'après-midi, Tucker Caliban, un fermier noir du village de Sutton, sale son champ, met le feu à sa ferme et quitte le village avec sa femme enceinte. Dès le lendemain, tous les noirs de Sutton s'en vont. Tous ceux de New Marsails, la grande ville, tous ceux de l'État, tous disparaissent, du plus vieux au plus jeune ; sans une explication. Pour les blancs, c'est la stupéfaction. « Aucun d'eux n'avait le moindre repère auquel il aurait pu rattacher la notion d'un monde dépourvu de noirs ».
Ce qui fait toute la puissance de ce roman choral, c'est que l'auteur n'explique rien, ni à aucun moment n'émet un jugement. Les témoignages des blancs s'enchainent, charge au lecteur de comprendre, déduire et deviner. Et c'est édifiant. Les quidams qui trainent toute la journée à ne rien faire sous la véranda de l'épicerie. Les membres de la famille à qui appartenaient les ascendants de Tucker. Des libéraux. Des conservateurs. Pendant que tous sont là à questionner leur version des faits et le passé, tentant de comprendre les raisons de cet exode, son sens et les conséquences pour la ville et l'avenir, se dessine la réalité de cette société raciste et ségrégationniste, dont l'injustice et l'extrême violence se conjuguent dans tous les aspects, même les plus infimes, du quotidien.
« Je prends conscience que ces choses-là sont sinon normales, du moins attendues dans la vie d'un noir, ils sont conditionnés, presque résignés à devoir renoncer à leurs rêves, ou du moins à les remettre à plus tard. »
Ce livre a une vraie musique intérieure, tissée dans les silences et les non-dits. William Melvin Kelley fait preuve d'un immense talent, tant dans sa maitrise de la trame narrative que pour incarner chaque personnage. Sous ses allures de conte, c'est un véritable appel à la rébellion. « [Ils] se lèveront et diront : « je peux faire ce que je veux, sans attendre que quelqu'un vienne me donner la liberté, il suffit que je la prenne. Je n'ai pas besoin de Monsieur le chef, de Monsieur le patron, de Monsieur le président, de Monsieur le curé ou de Monsieur le pasteur, ou du révérend Bradshaw. Je n'ai besoin de personne, je peux faire ce qui me plait pour moi-même et par moi-même. » »
Un autre tambour est un roman puissant, audacieux et féroce, d'une rare intelligence. Quelle claque, mes amis, quelle claque ! Similaire à celle que j'ai ressentie en lisant Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, d'Harper Lee...
Merci infiniment au Picabo River Book Club et aux éditions Delcourt pour cette découverte marquante.
« Quand un homme ne marche pas du même pas que ses compagnons,
C'est peut-être parce qu'il entend battre un autre tambour.
Qu'il accorde donc ses pas à la musique qu'il entend,
Quelle qu'en soit la mesure ou l'éloignement. » (extrait de Walden, d'H. D. Thoreau)
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