Il s'agit du 3eme roman de
Yasmina Khadra que j'ai l'occasion de lire ( L'équation Africaine,
Les Hirondelles de Kaboul ), c'est à chaque fois une expérience que je prends plaisir à renouveler tant la plume de l'auteur n'a de cesse de m'envoûter, de me faire voyager au coeur du Maghreb mais plus encore au coeur de ce qui constitue l'essence de l'homme.
À quoi rêvent les loups n'est sans doute pas le roman le plus connu de l'auteur mais il a le mérite d'être très intéressant et enrichissant. Nous suivons Nafa mais aussi et surtout son évolution et sa déchéance dans un pays qui souffre, meurtri par la violence qui fait rage et la haine qui prédomine. Nafa n'a rien du caïd que l'on connait et reconnaît dans les films, au contraire, il a tout de l'honnête homme, du jeune qui n'aspire qu'à une chose : vivre pleinement sa vie. Comment devenir quelqu'un dans la vaste mascarade que représente la vie des habitants d'Alger ?
de très beaux et sombres passages sur la ville d'Alger plongent directement le lecteur dans l'ambiance du récit – personnification d'une ville qui se meurt. C'est un pays tout entier qui souffre, une nation qui agonise et des habitants qui s'entre-tuent. C'est un climat de terreur dans lequel les hostilités sont omniprésentes, sous prétexte de religion ou sans prétexte. C'est un endroit où manipulation, coups bas et violence font partie du lot quotidien. Je ne vous cache pas que ce texte est, par moments, très dur dans la mesure où les thématiques abordées sont très difficiles. J'admire le talent de l'auteur qui consiste à rendre compte, avec une plume très poétique, du caractère ignoble et presque banal de cette situation qui oppresse et détruit tant de familles.
Au fil de la lecture, de nombreuses questions sont venues cogiter dans mon esprit, m'obligeant à prendre un certain recul ainsi qu'à analyser ce que je lisais. Je me suis demandé quelle était notre place dans cette vaste mascarade ? Simple pion sans avenir, destiné à un sacrifice plus ou moins noble... à quelle moment notre existence bascule-t-elle dans les méandres de la violence ? Qu'est-ce qui nous fait franchir ce cap mais aussi qu'est ce qui engendre ce climat d'insécurité ? Comment distinguer le bien du mal, où se situe la frontière, aussi mince soit-elle ? Tant de questions auxquelles l'auteur essaie de répondre en nous immisçant, toujours plus profondément mais avec une certaine douceur, plus en avant aux côtés de celles et ceux qui pensent pouvoir changer le monde dans un gigantesque bain de sang.
La guerre civile gronde et pourtant j'ai bu les mots, souvent durs, de l'auteur et je me suis imprégnée de l'histoire, effectuant un pas vers l'horreur. Ce que
Yasmina Khadra écrit est toujours très enrichissant et surtout, on a l'impression que cela pourrait arriver à tout le monde, à notre voisin comme à notre frère, et ce sans que nous nous en rendions compte. Chaque personnage semble important, comme si tout le monde avait un rôle – plus ou moins explicite et direct – à jouer. J'ai été saisie par la multitude des personnages, par les liens noués entre chacun d'entre eux mais aussi par l'influence qu'ils exercent les uns sur les autres.
Au cours de la lecture j'ai remarqué quelques passages qui peuvent perturber, notamment à cause du changement d'énonciation ; l'auteur passait de la 3ème à la 1 ère personne en un clin d'oeil, de quoi déstabiliser par moments. Je n'ai qu'un élément "majeur" à déplorer pour ce livre, il s'agit du manque, et même parfois de l'absence d'approfondissement des sentiments de Nafa. Nous sommes à la fin des années 1980 à Alger et je pense que mettre l'accent sur les ressentis mais aussi sur les changements internes du jeune homme aurait apporté quelque chose au récit, un point de vue différent mais surtout plus intime.
La famille, les amis et la religion occupent une place très importante dans ce récit, témoignant de l'influence que tout cela peut avoir dans un climat d'insécurité, dans une ville où la misère part partie du paysage. L'auteur semble dresser un portrait d'une époque, d'un instant que l'histoire et le temps n'ont pas su figer, comme le témoignage silencieux et pacifique d'une période qui fut et est encore ravagée par la violence.
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