Un livre étrange, dont je suis arrivée à la dernière page sans être bien sûre d'avoir compris le titre. Un choc esthétique.
Quand on tombe par hasard sur un roman présenté comme une histoire de vampires telle que Céline aurait pu l'écrire, ponctuée de passages dignes de Burroughs, impossible de passer son chemin. Pourtant, on se méfie. Placer dès la préface un auteur dans la lignée de Blake, Barbey,
Coleridge et Huysmans, ne serait-ce pas une pathétique tentative de l'éditeur pour vendre plus de papier ? Et pourtant…
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The Orange eats creeps, c'est un peu comme assister, au cinéma, à la projection du film L'Étrange couleur des larmes de ton corps. C'est éblouissant, c'est brutal et violent, c'est un labyrinthe qui tourne, trop vite, et le lecteur/spectateur, hébété, choqué, presque en transe, enchaîne les scènes sans vraiment parvenir à les lier entre elles. Seules la beauté et la force de l'ensemble le soudent à l'oeuvre jusqu'à la dernière seconde, jusqu'à la dernière page.
Privés de repères temporels ou géographiques, on suit dans ce roman (En est-ce seulement un ?) une jeune femme – elle se dit vampire – errant de supermarchés glauques en concerts étranges, à travers les souvenirs de sa soeur disparue, ou le long de l'autoroute qui mange les gens. le parcours est heurté. Les ellipses innombrables. Au fil des pages, l'étrangeté éclate et on ne sait plus vraiment ce qu'on a sous les yeux : s'agit-il de visions, de métaphores, de symboles, d'hallucinations ? Ou est-ce juste le monde qui marche sur la tête ? Les images prennent vie, dialoguent entre elles, s'élèvent en volutes complexes, et finissent par s'émanciper pour du bon du récit, jusqu'à la démence.
The Orange eats creeps se lit comme La Machine molle de Burroughs : c'est une expérience poétique, immédiate. On s'imprègne du texte, on le savoure de ligne en ligne mais, trop fragmenté, il semble s'effacer de notre mémoire page à page. Pourtant, les images s'imprègnent en nous et arrivés à la dernière page, on devine, plus qu'on ne saisit, que tout faisait sens.
Cette lecture peut être une épreuve, surtout pour ceux qui comme moi ne sont pas parfaitement bilingues, mais on souffre avec plaisir face à un texte de cette qualité. C'est un de ces romans qui sera autant décrié qu'il sera encensé, peut-être même plus. Il finira probablement sur la liste des livres auxquels vous n'avez rien compris. C'est peut-être mon cas au final, peut-être n'y ai-je strictement rien compris, mais quelle importance ? Face à une telle oeuvre, la logique et la cohérence, je les envoie au diable.