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Claro (Traducteur)
EAN : 9782381960647
720 pages
Monsieur Toussaint Louverture (25/08/2022)
4.09/5   713 notes
Résumé :
Publication originale : "House of leaves", 2000.

En rentrant chez eux un soir, les Navidson – Will, Karen et leurs deux enfants qui viennent à peine d’emménager en Virginie – découvrent qu’une nouvelle pièce a surgi dans leur maison… comme si elle avait toujours été là. Simple inattention ? Canular élaboré ? Mètres, plans et appareils de mesure sont réquisitionnés, et soudain l’explication la plus étrange devient la plus évidente : le foyer des Navids... >Voir plus
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4,09

sur 713 notes
CHEF D'OEUVRE !


Alors les amis, j'en ai lu des OLNI dans ma vie. Je les cultive, même. Mais des comme ça, jamais !


Débordant d'inspiration créatrice qu'on ne pensait peut-être pas possible en littérature, DANIELEWSKI prouve qu'on peut toujours créer de nouvelles DIMENSIONS littéraires. Un roman bâti comme une ILLUSION. Une prouesse.


### NOTE DE L'ÉDITEUR DE CETTE CRITIQUE : L'auteure supposée de la présente critique ayant été retrouvée morte la tête sur son clavier, un pot de verni violet renversé à côté d'elle et des griffures sur le parquet autour, nous avons récupéré ce fichier word sur lequel elle travaillait. Nous l'avons enrichi des notes et commentaires figurant sur des post-it que nous avons trouvé à côté, frénétiquement remplis d'une écriture qui, pourtant, ne semblait pas être la sienne. Ces apports et renvois seront signalé d'une [*].
Attention, certaines de ces notes n'étaient plus intégralement lisibles, comme si des griffes avaient lacéré le papier à certains endroits. Elles seront reproduites en l'état et signalée par des KKK.
Enfin, nous avons conservé la typographie et ce qui semblait être des coquilles, n'ayant pu demander à l'auteure si c'en était réellement… #


Le pitch commence comme un roman fantastique standard : Un photoreporter renommé, Navidson, sa femme Karen et ses deux enfants (Chad et DAISY) emménagent dans une MAISON… capricieuse. Un jour, une nouvelle PIECE apparaît qui crée la stupeur. Bientôt, un MUR se décale, une PORTE apparaît qui donne sur un COULOIR et, horreur suprême, celui-ci change de volume à mesure qu'on ME PÉNÈTRE… Pire encore, des GÉMISSEMENTS semblent provenir des PROFONDEURS de cette MAISON qui devient, très vite, LABYRINTHIQUE pour qui franchit certains SEUILS. [*]


[* le SURMOI veille au maintien des refoulements des pulsions dans le ça. KK est issu des apprentissages durant l'ENFANCE, période de dépendance de l'humain avant son autonomie. KK se forme avec l'intériorisation des interdits, et notamment le principal qui structure la vie humaine : l'interdit dKKKKKKKKK.]


Passé la surprise, et tous les efforts pour rationaliser la chose, Navidson l'aventurier organise une exploration avec des professionnels (alpinistes notamment), tandis que, derrière le sourire de FACADE qu'elle a façonné devant son MIROIR de poche lorsqu'elle était plus jeune, Karen SOMBRE dans la peur panique de découvrir ce que CACHE cette maison, et tente désespérément de convaincre le personnage de Navi de regarder ailleurs. Leur expédition est filmée et sera diffusée et visionnée dans un premier temps dans un cercle restreint, puis copieusement commentée, décryptée, tout le monde tentant de discerner le vrai du faux, de comprendre ce phénomène scientifique ou paranormal. La MAISON vient-elle d'une FAILLE spacio-temporelle ? Grandit-elle en fonction des peurs de ceux qui y pénètrent ? Est-ce un trucage ? Est-on dans un roman d'horreur, ou fantastique ou psychologique ? Ou bien plus encore ?? Toutes les théories sont envisageables en littérature, c'est cela qui est formidable et maintiendra votre curiosité.


Mais évidemment, « c'est là que les emmerdes ont commencé ».


Tout d'abord, en tant que lecteur futur HABITANT de cette maison DE feuilles, je vous conseille de la visiter sommairement avant de l'entamer. Familiarisez-vous avec sa STRUCTURE, ses différentes ENTRÉES, ses PIÈCES et ses ANNEXES au bout du couloir, heu en fin d'ouvrage. Car nombre de renvois vont sans arrêt tenter de vous faire PERDRE le FILs de votre lecture, afin de vous faire comprendre la désorientation des personnages. C'est la première magie de ce livre : l'expérience immersive. [*]


[* in : https://www.babelio.com/auteur/Mark-Z-Danielewski/9257/citations/2794066 ]


Ensuite, pour vous perdre ou vous aider un peu plus, et vous faire ressentir ce que c'est que d'explorer quelque chose d'EXPONENTIEL, ce livre comporte différents niveaux de lecture :


« Ceux qui explorent le labyrinthe, et dont le champ de vision est restreint et fragmenté, sont désorientés, tandis que ceux qui contemplent le labyrinthe, que ce soit en le surplombant ou l'étudiant sur plan, sont émerveillés par sa complexité. »


1/ Premièrement la description, dans un style très journalistique, de ce que montrent les vidéo des explorations. C'est grosso modo ce que vous ressentez en regardant le célèbre Projet Blair Witch.


2/ Puis les notes et commentaires qu'a pris Zampano, un vieillard aveugle (un aveugle qui mate un film et l'annote, sérieux ?), sur ce film. Il nous apporte de solides références culturelles et des RÉFEXIONS (!) sur le contenu du film, le message qu'il véhicule et, surtout, la vie de ses personnages. Mais ce vieillard est mort, ce qui nous amène au troisième niveau de lecture.


3/ Les notes et commentaires d'un jeune homme oscillant en permanence entre DÉLIRE psychotique et delirium tremens, ayant découvert les notes du vieil aveugle décédé, qu'il commente à son tour ! Son style est particulièrement PERCHÉ. Ses récits relèvent du vomi de pensée les lendemains de fête. Mais il nous met la puce à l'oreille, ce dénommé JOHNNY ERRAND, parce qu'on se demande en quoi son récit sert l'histoire. Pourquoi on nous raconte sa vie de fêtard, quel rapport avec une maison qui semble paranormale ? Nous ne pouvons décrocher nos yeux de sa loghorrée fascinante. Car ses incompréhensibles péripéties, d'apparence sans queue ni tête, finissent par laisser entrevoir une histoire dans l'histoire… Il est principalement cité en notes de bas de pages, mais celles-ci s'immiscent dans l'histoire principale et entre les gloses de Zampano, elles enflent jusqu'à prendre toute une partie des pages normales ; Son récit, c'est sûr, se mêle à l'histoire principale autant qu'elle nous en détourne. [*]


[* le ÇA KKKKKKKKK réservoir libidinal, le siège des pulsions (dans lesquelles vont puiser le surmoi et le moi). Une partie du ça est HÉRÉDITAIRE, innée, une autre partie est acquise, issue des REFOULEMENTS KKKKKKKKKK ]


Après je voulais vous raconter un truc mais, malheureusement, je me suis réveillée dans la voiture. le pare-brise était pété, comme moi, Chou avait disparu, sa ceinture était coupée, maculée de sang. Comme moi. Comme le monde ne cessait de tourner à tout vitesse avec le temps, j'ai cligné des yeux mais cette boule en moi ne disparaissait pas. Pour la faire disparaître, j'ai tendu le bras vers la boîte à gant où je planque toujours une fiole de Jack Daniel's, mais je ne trouvais qu'un couteau à cran d'arrêt ensanglanté et mes allumettes de chez DAYSINN et ce putain de MIROIR de poche, dans lequel je m'entraine chaque jour à faire croire que TOUT VA BIEN !!!!! Et là j'ai commencé à voir rouge, REDWOOD, des images de mon père se superposaient à tout ce merdier et tout les chats et chiens de mon enfance me léchaient les joues et la bouche, et cette odeur dégueulasse qui me retournait l'estomac, qui vient toujours de moi, sur moi, partout autour, alors j'ai pris une pilule jaune fluo qui m'a aidé à y voir clair, choppé mon Pelikan favori et pris des notes je ne sais plus où pour me rappeler ce que je voulais vous dire. Sauf que là tout de suite je m'en rappelle plus. ECG plat. BIIIIIIIIIIIP. [*]


[*] Les personnes atteintes de trouble de personnalités multiples ont plusieurs identités et des trous de mémoire sur les événements de tous les jours, les informations personnelles importantes et les événements traumatiques ou stressants, ainsi que beaucoup d'autres symptômes, y compris la dépression et l'anxiété. mrkrnje KKKKKK


4/ En plus de tout ça, vous trouverez comme annoncé, en fin d'ouvrage, en ANNEXES de cette MAISON-livre, un tas de PIÈCES comme un TRÉSOR, sensées avoir été découvertes par Zampano ou encore ajoutées par J.E.


Par un JEU incessant de renvois, ces PIÈCES font le lien entre les différents récits. Elles sont les pièces manquantes du PUZZLE pour lier les bouts que nous avons déjà assemblés. On y trouve : les LETTRES d'une mère internée dont la vie présente des similitudes avec un autre personnage des récits [*], ainsi que des possibles liens avec JE et de JE avec l'auteur lui-même ; des poèmes d'un mystérieux Pelikan, des textes à décoder, des photos, des images à regarder attentivement et d'autres moins, etc…


[* KKK MOI est l'agent de liaison entre les différents instances et le pôle de la réalité. Il se construit par adaptation au réel, et en instaurant des moyens de DÉFENSE pour éviter les sources de déplaisir issu du contact entre l'énergie pulsionnelle et la RÉALITÉ extérieure. ]


« Nous inventons tous des histoires pour nous protéger. » Eh ben laissez-moi vous dire que là, on tient une carapace en titane !


Ce qui nous amène à un point crucial de cette lecture : Comment faire la différence entre les informations importantes et les autres ? Rien de mieux qu'un mode d'emploi extrait du livre pour y répondre : Il s'applique à l'exploration du labyrinthe, mais comme on explore un labyrinthe de pensées, elle DEMEURE pertinente [*]. Sinon mon meilleur conseil : lisez comme vous voulez et ECLATEZ-VOUS !


[* in : https://www.babelio.com/auteur/Mark-Z-Danielewski/9257/citations/2791171 ]


L'ensemble est foisonnant et LES PERSONNALITÉS MULTIPLES. Les explications de Zampano sur le film semblent pouvoir aussi expliquer des bouts de la vie d'autres personnages comme Johnny où la mère internée. D'autres passages, notes, pièces semblent abscons… Mais plus on avance, plus des portes s'ouvrent entre les informations et un (ou des ?) schéma se profile… le point commun à tous les perso est-il la maison qui les a affectés ? Ou ce qui les lie est ailleurs, plus profond ? Dès lors, vous voudrez RÉSOUDRE L'ÉNIGME de la maison-labyrinthe, car l'auteur vous fera douter et vous questionner jusqu'à la fin : Roman PROTÉIFORME et MOUVANT, il s'adapte au DÉDALE de vos déductions pour devenir aussi énorme que la somme de vos suppositions, errances, voltes-faces et enjambées. En fil d'Ariane, mes post-it sur lesquels revenir en cas de doute sur le chemin à prendre. Car ce roman lui-même est CONSTRUIT comme un labyrinthe.


(Note à moi-même : Penser à retrouver un dénommé Chou…) (TROUVER COMMENT MASQUER CETTE ODEUUUUUR !!! ) (Et penser à CODER cette critique sinon ils vont ù$krn€$KRN$$@krn)


Pour que vous viviez l'expérience de sauter d'une pièce à l'autre, en ayant l'impression Que l'histoire que vous venez de lire est bien plUs grande que le nombre de pages que vous avez lu, l'auteur joue des pièces et annexes qu'il vous fait vIsiter au gré de ses notes de bas de page ; et pour vous faire emprunter un couloir puis revenir sur vos pas, vous perdre dans les méandres du labyrinthe comme ses personnages, pour lE vivre avec eux, il vouS renvoie à une note dans la marge qui se poursuiT page suivante, puis sur une dizaine de pages, achevant sur un autre renvoi à une note… que vous trouverez sur la colonne de droite de la page d'à côté, écrite à l'envers, si bien qu'une fois que vous avez tourné le livre pour la lire dans le bon sens, autant dire faire un demi tour pour revenir sur vos pas, vous poursuivez de pages en pages Jusqu'à revenir au paragraphe de l'histoire que vous aviez quitté avant la première note de bas de pagE.


???
(ceux qui se demandent pourquoi j'ai mis 3 ??? ont loupé quelque chose : revenez sur vos pas !!!)


Aussi, visuellement, la double page de la maison représente bien le plan du labyrinthe qu'il décrit : un couloir au milieu, des entrées à gauche et à droite qui donnent sur des passages plus ou moins secrets d'une efficacité douteuse, qui vous ramènent souvent à votre point de départ s'il ne parviennent pas à vous égarer entre temps ! Et parfois même des trouées spacio-temporelles au milieu, qui semblent vous faire avancer plus vite mais vous obligent toujours à reculer pour mieux sauter dans la suivante. Si, à un moment donné, par exemple autour des pages 140-150 de mémoire, vous vous retrouvez paumés, à ne plus savoir où vous en êtes à force de jongler entre les multiples entrées de cette lecture, vous repenserez à ce que j'essaye de vous expliquer. A ce moment-là, vous serez probablement exactement où l'auteur voulait vous amener [*].


[* in : https://www.babelio.com/auteur/Mark-Z-Danielewski/9257/citations/2794066 ]


Mais le génie de l'auteur n'est pas seulement d'accorder la forme au fond, ni d'être un puits de références, ni de savoir si bien changer de style en fonction des personnages. Son génie est d'arriver à jouer avec nous, en plaçant toutes les informations au bon endroit. Pire, il est lisible dans n'importe quel sens (mais je vous conseille de lire le livre en suivant ses indications, même s'il peut se lire aussi différemment, cf la critique de Chou_dOnee^^ [*]).


[* in : lien en fin de critique. ]


[Bon SANG mais QUI est Chou ??????????]


Au total, l'auteur s'inspire de beaucoup de choses, dont notamment :
. le LIEN HYPERTEXTE, ou le syndrome du Quai 9 trois quart : par le jeu des renvois après un mot, on tombe toujours sur une masse d'informations à digérer ; Cette impression est amplifiée par le fait que le mot maison soit toujours écrit en bleu, comme une surbrillance sur laquelle cliquer et derrière laquelle se cache un univers entier comme un monde parallèle ;
. le cinéma en général, et j'y ai retrouvé certains de mes films cultes et notamment, en masqué pour ne pas spoiler : qui m'ont tout de suite orientée vers une théorie - mais je soupçonne l'auteur d'avoir monté une histoire qui, comme la maison, s'adapte à toutes vos autres références (ainsi, comme le test de Rorschach, votre interprétation pourrait bien en dire plus sur vous que sur ce livre...), voire peut-être n'est pas vraiment faite pour qu'on résolve l'énigme :


« Le monde des adultes, toutefois, produit des devinettes d'une variété différente. Elles n'ont pas de réponses et sont souvent qualifiées d'énigmes ou de paradoxes. Mais la trace d'une formulation propre à la devinette corrompt ces questions et fait résonner l'écho de la leçon la plus fondamentale : il doit y avoir une réponse. de là naît le tourment. »


Navidson nous dit bien pourtant que la maison n'est que ce qu'elle est. Mais peut-on lui faire confiance quand tous les personnages nous suggèrent l'inverse (et que l'un des personnages de son histoire s'appelle DELIAL = DÉMENTI !!) ? Nos narrateurs sont aussi peu fiables les uns que les autres, alors lecteur de fantastique ou de thriller pscychologique : il y en pour tous les cerveaux ! Mais c'est tellement bien fait, et je me suis tellement amusée, que pour une fois, moi qui n'aime pas les fins ouvertes, je me disais que ce ne serait pas si grave si, à la fin, l'auteur préférait laisser le lecteur se convaincre d'une explication qui lui convient :


« Ce qu'on voit dépend de l'endroit où l'on se trouve, ce qui fait que, dans le même temps, les labyrinthes sont simples (il n'existe qu'une seule structure physique) et doubles : ils incorporent simultanément l'ordre et le désordre, la clarté la confusion, l'unité et la multiplicité, l'art et le chaos. Ils peuvent être perçus comme un chemin (un passage linéaire mais détourné vers un but) ou comme un motif (un dessin absolument symétrique)... Notre perception des labyrinthes est ainsi intrinsèquement instable : changez de perspective et le labyrinthe semblera changer. »


. c'est aussi un entre le livre dont vous êtes le héros, l'escape game, le rubik's cube et le super cluedo, mais les lecteurs qui n'aiment pas jouer en lisant s'y retrouveront en lisant simplement ;
. et puis des références culturelles et artistiques à gogo que je vous laisse traquer (regardez bien les images dans le livre !!!).


Loin de copier ce dont il s'inspire, DANIELEWKI transcende tout ça, créant une oeuvre à part-entière, unique et au-dessus de tout ce que j'ai lu jusqu'à présent. Ce bouquin a eSsuyé 32 refus avant d'être édité ; Mais c'est peut-être ce qui lui a donné son délicieux côté mille-feuilles ébouriffé aujourd'hui (ah non pardon, ça, c'est les post-it que j'ai collé un peu partout autour en le lisant…), et a contribué à la richesse de sa composition. D'abOrd publié sur internet, il a fait l'objet de plusieurs éditions depuis qui l'ont étoffé. Qui sait, à la prochaine édition on aura peut-être le double de pageS à explorer de nouveau, et on pourra réemployer notre lecture et notre interprétation !


Coup de coeur absolu pour ce roman - et c'est rare.


## L'éditeur tient à préciser qu'à part l'auteure de la critique, aucun animal n'a été maltraité durant les scènes décrites : les chiens et chats n'ont pas été battus ni égorgés, et Chou, le mari, n'a pas été trucidé à coups de couteau de pique-nique : Vous pouvez le retrouver sur la page de sa critique en suivant le lien ci dessous : il l'a écrite de l'ASILE où il est… INTERNE ! ##
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Oui, c'est bel et bien un monument auquel on a affaire… dans la lignée des gros bazars que la littérature américaine sait si bien produire, comme « L'Infinie Comédie » de DFW, partageant ce goût pour les longues (!) notes de bas de page… Mais dans la Maison des Feuilles, elles sont très habilement intégrées à la mise en page, et les renvois vers les annexes — exhortations au lecteur à voyager sans linéarité apparente dans l'ouvrage — posent ce livre comme une véritable expérience ayant conquis un vaste public, malgré sa forme universitaire intimidante.

Objet littéraire mouvant, mises en abîmes structurées en gros plat de lasagnes, vrai-faux-vrai roman d'épouvante, fausse-vraie-fausse thèse universitaire, pleine de références exactes et de pitreries plus ou moins visibles, piétinant le lecteur un peu naïf ou distrait, tout en restant étonnamment « facile » à suivre et « digeste », malgré l'omniprésence des ténèbres…

Roman des solitudes qui mènent aux folies, rempli du vertige face au néant, opposé à l'infinité des histoires personnelles, du pullulement mécanique et exponentiel des propos, thèses et théories dans la société occidentale (on y voit clairement une raillerie de certaines branches du savoir, la sémiologie en premier…), le plein et le vide s'entredévorant sous nos yeux…

Expérience multiple, difficile à résumer, forcément personnelle, d'où je sors après 4 jours plutôt sombres avec un mauvais goût dans la bouche : le remarquable équilibre entre les trois principales couches romanesques ne tenant pas l'épilogue, les boucles ne bouclant pas, la symbiose synthétisante perdue dans le noir, laissant sans vie le reste des notes et annexes non-consultés lors des précédentes lectures. Etonnante étanchéité finale pour une construction de cette ampleur : Zampanò restera sous terre, sans épitaphe, alors que les cinq étoiles lui étaient jusqu'alors promises…
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Ils m'ont fait pénétrer dans cette arrière-salle qui ressemblait à une vieille classe d'école désaffectée et qui puait l'humidité, la moisissure.
Ils étaient quatre. Ils ont allumé un feu dans l'âtre. Ils ont commencé à m'interroger.
- Votre nom ?
- Berni_29.
- C'est pas un nom, ça !
- Je tiens à garder l'anonymat.
- Profession ?
- J'écris des chroniques sur Babelio, mais de manière bénévole.
- C'est pas un métier, ça. Nous savons déjà cela. Nous vous suivons depuis plusieurs mois sur ce réseau, ce fameux groupuscule. Vos 617 critiques ont été examinées au peigne fin, elles sont subversives, même celles qui, soi-disant, s'adressent aux enfants. Celui qui m'interrogeait marqua un silence ridicule comme s'il voulait peser le poids d'une sentence implacable. Je ne voyais pas trop bien où il voulait en venir. Vous étiez en possession de ça quand nous vous avons arrêté. Pouvez-vous nous en parler ?
L'un de ses collègues s'est levé et a jeté sur la table devant moi ce livre La Maison des feuilles, d'un certain Mark Z. Danielewski.
- Vous avez cinq minutes pour nous faire un résumé de l'histoire de ce livre, de ce qu'il contient.
- L'histoire, les histoires c'est-à-dire les trois histoires ou bien ce qu'il recèle véritablement ? Ce n'est pareil. Je me mis à rire, d'un rire qu'ils ont sans doute jugé insolent. L'un d'eux agacé s'est levé de son siège pour me gifler.
- Ne jouez pas sur les mots.
- Mais justement, ce livre joue sur les mots, ou je dirai plus précisément : joue avec les mots. Celui qui m'avait giflé s'est encore levé. Son compère l'a retenu par l'épaule. Laisse tomber, Holloway ! On va plutôt examiner de près ce qu'il y a dans ce foutu bouquin qui semble si intéressant.
Ceci n'est pas pour vous, j'ai lancé goguenard.
Ils ont feint de ne pas m'entendre, ils ont ouvert le livre, ont commencé à balayer les pages, l'un d'eux s'est mis à retourner l'ouvrage dans tous les sens, il ne comprenait pas pourquoi le texte lui apparaissait ainsi avec des typographies différentes, des notes de bas de page qui prenaient parfois brusquement le dessus sur le texte principal, des textes à l'envers qui se lisaient en biais ou de bas en haut formant parfois une échelle qui invitait le lecteur à mettre le pied sur les premiers barreaux des phrases pour atteindre...
Mais c'est quoi ce truc ? Sa voix était devenue étrange, résonnait dans la pièce, c'est comme s'il parlait devant un antre béant qui renvoyait sa voix dans un écho distordu. Je ne sais pas ce qu'il lui a pris, il s'est mis à plonger la main dans l'une des pages qui s'ouvrait comme un gouffre, il a continué à tendre la main qui semblait happée et alors j'ai vu cette main disparaître, puis le bras tout entier, il criait il appelait à l'aide ses comparses, son corps vacillait et s'apprêtait à être avalé par les mots, englouti par la page, ses collègues ont crié. Hé Jed ! Ont tenté de le rattraper. Ils étaient trois à essayer de le retenir par le corps par les jambes, ils étaient de piètres pantins devant mon visage mutique. Alors le livre les a avalés tous les quatre, j'ai attendu de voir le pied du dernier disparaître complètement. Alors je me suis levé, j'ai refermé le roman sur eux comme une porte qu'on claque d'un coup. Je me suis approché de l'âtre ou brillaient encore quelques cendres. J'ai pensé à ces mots : Ash Tree Lane, le lieu où résidait cette maison. Et j'y ai jeté le livre. Il est devenu comme un brasier, il est devenu des cendres comme le reste. Alors je suis reparti. Vers d'autres horizons, d'autres rivages, d'autres livres sans doute mais c'est à peu près la même chose car les livres sont des rivages, des horizons impossibles, des brasiers aussi qui nous embrasent.
Si des tortionnaires n'ont pas réussi à me faire dire ce que j'en pensais, alors...
Plus tard les cendres se sont reformées autour d'un livre qui continuera son histoire, je le sais…

La Maison des feuilles est une oeuvre semblable à une matriochka.
On pourrait croire qu'il y a trois histoires dans ce livre : celle de Johnny un apprenti tatoueur qui découvre par hasard une thèse écrite par un vieil homme, un certain Zampanò. Cette thèse porte sur un film documentaire qui est la colonne vertébrale du récit, The Navidson Record.
Les pensées de Johnny figurent en bas de page, et très vite ses pensées débordent sur la thèse de Zampanò, jusqu'à devenir un récit parallèle intercalé qui nous fait souvent perdre le fil de là où nous en étions.
Et puis très vite nous sommes happés par le documentaire qui raconte la vie d'un couple presque ordinaire, Karen Green et Will Navidson et leurs deux enfants Chad et Daisy qui emménagent dans une vieille demeure datant de 1720, en Virginie. Un jour Will découvre par hasard une porte derrière un placard et cette porte donne sur un couloir étrange. C'est le début d'un vertige…
Tandis que commence une expédition pour explorer les antres de cette maison, nous voyons surgir les dessins des enfants Chad et Daisy qui montrent leur peur, ils sont peut-être les seuls êtres vivants de ce livre à être bien réels. Ils se terrent, sont oubliés dans les marges de ce livre.
« La marge, c'est ce qui fait tenir les pages ensemble. », disait Jean-Luc Godard.
Mais il y a une quatrième histoire, la nôtre, lorsque nous sommes en train de lire ce livre. Car ce livre n'est pas comme les autres.
Ce livre ressemble à une énigme par sa forme vertigineuse, ses mises en page, sa typographie changeante, évolutive… Il nous tient, nous prend à la gorge, il nous intrigue, nous séduit, nous résiste… Ce texte dans sa forme devient brusquement aussi vaste que ce que recèle ce couloir sans fin, sans fond. Il est façonné de mises en abymes effroyables qui ouvrent la boîte de Pandore et font entrer dans les pages des figures mythique comme le Minotaure, la baleine de Jonas…
Si l'on avance page après page, on sera perdu... Il faut lâcher prise, accepter d'être perdu, de trébucher…
Le texte se met physiquement à se transformer en ce qu'il raconte.
Je me suis demandé si cette lecture n'était pas un voyage dans les pures ténèbres de l'imaginaire et de la forme, au-delà de ce qui pourrait ne ressembler qu'à un livre. Au bout de quelques pages, j'ai reposé La Maison des feuilles sur ma table de chevet et je savais déjà que ce livre se livrait comme une clef vers un couloir dément qui me conduirait tout droit dans les méandres de ma propre psyché.
J'ai pris peur…
Oui, tout comme cette maison, ce livre est plus vaste à l'intérieur qu'à l'extérieur…
Oui, ce livre est un vrai labyrinthe ou chaque lecteur tentera de trouver sa sortie dans cette complexité qui vient porter le récit.
Mais il y a sans doute autant de façons de lire ce livre qu'il n'y a de lecteurs. Je vous en livre ici quelques-unes :
FAÇON BLAIR WITCH PROJET
- Ça va ?
- …
- Mais tu es où ?
- Là-bas, j'arrive…
- Merde, mais c'est qui alors, c'est qui là à côté de moi, tu es où ? Viens vite ! Putain mais c'est qui là si ce n'est pas toi, là….
FAÇON EDMOND ROSTAND
Descriptif : « C'est un antre ! … c'est une grotte ! … c'est un gouffre ! …
Que dis-je, c'est un gouffre ? … C'est un labyrinthe ! »
FAÇON LA DISPARITION PAR UN CERTAIN G.P.
Voilà un bouquin ahurissant ! Un roman ? Oui.
Quant à sa construction pour finir : imagination ? fiction ? Non, illusion !
Mais soyons clair, tout disparait à la fin, tout disparaît, la maison, nous tous, tout !
La maison fut un amas qui brûla, soudain…
FAÇON MAXIME LE FORESTIER
♫ C'est une maison des feuilles
Accrochée à nos psychés ♪
On y vient à pied, on ne frappe pas ♫
Ce qui vivent là furent avalés♪
FAÇON UN CERTAIN LECTEUR DE BABELIO SPÉCIALISTE DE TOLSTOÏ
Verba sub acumen stili subeant necesse est…
FAÇON CONSULTATION CHEZ LE PSY
- Vous me dites que lorsque vous avez quitté ce livre, vous avez eu l'impression d'être propulsé hors de l'utérus de votre mère.
- C'est cela Docteur.
- Était-ce une sensation douce ou violente ?
- Je ne sais pas Docteur, c'était la première fois.
- Et comment vous vous sentiez dedans.
- Bien, très bien même. Je n'ai qu'une envie, c'est d'y retourner.
FAÇON MISSION IMPOSSIBLE
Votre mission, Berni, si vous l'acceptez, sera de rédiger une critique de ce livre qui puisse être comprise de tous les lecteurs.
Il va de soi que si vous échouiez dans votre mission, vous ne seriez pas couvert par la communauté de Babelio.
Ce livre s'auto-détruira dans les cinq secondes. ♫ Ttt ttt ttt ttt ttt ttt ttt ttt ttt !!! ♫

Il s'agit dans ce livre non pas de célébrer un texte mais son cheminement labyrinthique, ses vertiges, ses limbes, ses fractales.
Au fur et à mesure que j'avançais dans les méandres de ce livre, j'ai eu peur de découvrir le dénouement rationnel qui viendrait sceller définitivement l'histoire comme une porte qui se referme sur le vide abyssal. Au fond, je n'avais qu'une seule peur, c'était de quitter cette lecture, car j'étais habité par ce livre…
La maison des feuilles n'est peut-être rien d'autre qu'une histoire d'amour mal comprise.
« Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu ne pourrais pas t'égarer ! »
Nahman de Braslaw

Dans cette lecture commune, je remercie mes compagnons de route, Sandrine (HundredDreams), Doriane (Yaena), Nicola (NicolaK), Paul (El_Camaleon_Barbudo) et Jean-Michel (Michemuche). Sans eux, je me serais perdu à jamais dans les limbes de ce livre.
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Je viens d'achever le nouveau livre phénomène de la maison d'édition Toussaint Louverture, un roman qui fait l'objet d'un culte grandissant auprès des lecteurs. Vous trouverez même sur Internet de nombreux forums de discussion et d'échange consacrés à ce livre, en raison de la complexité et de l'ambiguïté du texte.

Pour la petite anecdote, ma curiosité était déjà piquée avant sa publication. Lorsque je l'ai aperçu en librairie, mis en valeur sur un présentoir, je l'ai pris dans mes mains en étant convaincue de l'acheter. Mais en le feuilletant, sa lourdeur et sa complexité apparente m'ont impressionnée et je l'ai reposé. Et puis, lorsque plusieurs ami.es babéliotes ont voulu se lancer dans cette expérience littéraire en lecture partagée, je me suis jointe à eux.

Ma lecture s'est apparentée à une plongée en eau trouble : au départ enthousiasmée par ce roman atypique, je me suis aussi retrouvée plusieurs fois seule, perdue dans l'obscurité sinueuse de ces couloirs labyrinthiques, ne sachant plus si je devais continuer, rebrousser chemin ou abandonner.

« C'est comme s'il y avait autre chose, une chose au-delà de tout ça, une histoire plus vaste en train de se profiler dans le crépuscule, et que pour une raison inconnue je suis incapable de voir. »

En sortant de cette maison, je suis partagée entre plusieurs ressentis : j'ai conscience d'avoir vécu une expérience de lecture rare, mais l'intrigue est si complexe que je ressors avec plus de questions que de réponses.
Si je suis arrivée au bout de ce livre-monument, je dois en remercier mes compagnons d'aventure, Doriane (Yaena), NicolaK, Jean-Michel (michemuche), Berni_29 (Bernard), et Paul (El_Camaleon_Barbudo).

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Alors de quoi parle vraiment ce livre-phénomène ?
La famille Navidson emménage dans une vieille maison datant de 1720 et remarque rapidement qu'elle est plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur et que ses caractéristiques physiques changent, laissant apparaître une nouvelle porte et un couloir obscur et glacial qui s'enfonce dans les ténèbres sous la maison.
Le mari, Will, photographe célèbre lauréat du prix Pulitzer, décide alors d'installer des caméras dans toute la maison afin de réaliser un film documentaire, à la manière du "Projet Blair Witch".

En marge de cette histoire, nous suivons un autre récit, celui de Johnny, un jeune drogué qui emménage dans l'appartement d'un vieil homme décédé depuis peu. Celui-ci a laissé dans une malle un manuscrit fait de fragments de feuilles de papier que Johnny décide de remettre bout à bout.

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Ces deux récits se déploient sur deux fils narratifs parallèles, mais semblent se répondre, comme un écho. Cette trame est d'apparence assez simple, mais c'est sans compter un pêle-mêle de notes de bas de page, de digressions, de fausses références, de renvois à des annexes de plusieurs dizaines de pages en fin de livre, de poèmes, de dessins, de citations, de photos, de textes codés, de détails superflus au milieu d'autres essentiels, et d'histoires secondaires qui mènent à des impasses ou pas !

Mark Z. Danielewski s'amuse également à jouer sur les mots, à glisser de nombreuses références littéraires, historiques, mythologiques ou cinématographiques. Ainsi, j'ai vu des clins d'oeil à « Alice aux pays des Merveilles » ou à « Alice de l'autre côté du miroir ». L'ambiance rappelle aussi la série télévisée "American Horror Story ». L'auteur s'appuie également sur le récit de Jonas et de la Baleine, sur celui du labyrinthe du minotaure. Il évoque encore la boîte de Pandore pour n'en citer que quelques-unes.

Et là vous commencez à saisir toute la complexité de ce récit qui surprend par ces différents niveaux de lecture.

L'idée sous-jacente de l'intrigue est brillante, mais rien n'est jamais expliqué, ni finalisé. La maison est un labyrinthe où tout est à double sens : cette maison des feuilles en perpétuelle mutation est comme un miroir qui renvoie une image déformée. Les interprétations sont donc multiples et dépendront de la perception de chacun.
La narration place ainsi le lecteur en position où il doit lui aussi choisir son propre chemin pour évoluer dans le tunnel et trouver la sortie. Bien sûr, vu l'ampleur du défi, le doute s'installe dans notre esprit. On se demande si on ne fait pas fausse route, même si l'histoire nous rappelle parfois d'autres romans déjà lus.

« [C]eux qui explorent le labyrinthe, et dont le champ de vision est restreint et fragmenté, sont désorientés, tandis que ceux qui contemplent le labyrinthe, que ce soit en le surplombant ou l'étudiant sur plan, sont émerveillés par sa complexité. Ce qu'on voit dépend de l'endroit où l'on se trouve, ce qui fait que, dans le même temps, les labyrinthes sont simples (il n'existe qu'une seule structure physique) et doubles : ils incorporent simultanément l'ordre et le désordre, la clarté la confusion, l'unité et la multiplicité, l'art et le chaos. Ils peuvent être perçus comme un chemin (un passage linéaire mais détourné vers un but) ou comme un motif (un dessin absolument symétrique)... Notre perception des labyrinthes est ainsi intrinsèquement instable : changez de perspective et le labyrinthe semblera changer. »

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Une maison, rien de plus banal.
Et pourtant, l'auteur a réussi l'exploit de me la rendre mystérieuse, intrigante et menaçante. Sa forme mouvante et impénétrable, ses murs qui se construisent et se déconstruisent, les grondements qui jaillissent de ses profondeurs ont piqué ma curiosité. Cette maison m'a semblée vivante, avalant ceux qui osent s'y aventurer, les dévorant de l'intérieur jusqu'à les digérer.

Mais, autant l'histoire des Navidson m'a fascinée, autant je suis restée très distante de celle de Johnny Truant : je suis malheureusement restée indifférente aux émotions de ce jeune homme dont la vie tourne inlassablement autour de ses conquêtes féminines, de sa sexualité, de ses angoisses remontant à la petite enfance et de son travail dans un salon de tatouage. Je n'évoquerai même pas sa façon d'évoquer les femmes. Indifférente au récit de Johnny pour lequel je n'ai eu que peu d'empathie, j'ai décroché lorsque je m'éloignais trop longtemps du récit des Navidson.

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Et puis, il y a beaucoup de choses à dire sur l'objet-livre. Il est vraiment très lourd. En ouvrant le livre, on découvre un texte qui se lit à l'endroit et à l'envers, en diagonale et puis, on ne sait plus trop comment le lire. On le tourne et le retourne, c'est original, voire amusant.

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« La maison des feuilles » est sans aucun doute une expérience de lecture unique, mais ce livre n'est pas facile à lire. J'ai été contente de participer à cette expérience littéraire. L'objet-livre, sa mise en page, l'originalité de son thème, son incroyable complexité et ses multiples significations valent le détour.

J'aurais aimé avoir un coup de coeur. Cela n'en est pas un, mais j'ai passé un bon moment. Je garde toutefois cette impression d'une lecture inachevée et je ressens une sorte de frustration de ne pas avoir réussi à percer tous les mystères de cette maison.

Pourtant, cette lecture maintenant terminée, je ressens que cette maison continue à m'habiter, preuve que ce roman est vraiment prenant. Je repense aux idées, aux théories qu'elle soulève et au final, me reste cette question : qu'est ce qui était réel et qu'est-ce qui n'était qu'illusion ?
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Tout commence par une critique dithyrambique dans un magazine féminin. On annonce un « livre-culte », un livre hors du commun, un livre étrange, déroutant mais « cultissime » ! Et ça, ça nous interpelle !
Alors on va à la librairie, on le trouve dans les rayons, on le prend dans les mains et là, première constatation : il n'est pas comme les autres. Il est lourd, dense, et de forme presque carrée. On le feuillette pour mieux s'imprégner de son contenu et là, c'est la stupeur… On trouve différentes polices, des paragraphes non justifiés, des pages ne contenant qu'un mot au milieu, ou en bas, ou en haut, des mots en couleur bleue (ce n'est qu'à la lecture proprement dite que l'on constatera qu'il n'y a que le mot maison écrit en bleu, comme dans le titre), certaines pages ont même des textes écrits à l'envers, en miroir, des textes encadrés insérés au milieu d'un autre texte…. On se demande alors vraiment si on aura le courage de lire cette « chose ». Et puis on se dit que si les critiques l'ont qualifié de « culte » c'est probablement qu'il faut voir au-delà de l'apparence… Même si le contenant est un peu loufoque, voyons le contenu !
Donc, on l'achète et…..il reste deux mois sur la table de nuit car on n'ose pas l'affronter. Puis, un matin, (ou plutôt un soir), on se sent d'attaque et on ouvre « La maison des feuilles » et on comprend très vite, presque tout de suite, pourquoi tous l'ont couronné et encensé ! On se laisse prendre par sa magie, par sa puissance. Au bout d'à peine quelques pages, on sent déjà bien qu'à la fin de ce livre, on ne sera plus comme avant.
L'histoire qui est le fil conducteur de ce roman (car malgré tout il s'agit bien d'un roman), est très prenante, à la limite de l'angoisse et réveille en nous nos plus anciens cauchemars de maison hantée, de monstres qu'on devine mais qu'on ne voit jamais…Les passages angoissants sont savamment dosés et alternent avec des paragraphes parlant de tout autre chose : il faut mettre son esprit au diapason et ne pas perdre le fil !
Le chapitre sur les labyrinthes est extraordinairement bien construit : on croit se perdre dans les dédales du (ou plutôt des) texte, puis on retrouve une sortie, puis non, c'était une impasse, il faut se replonger dans les couloirs, dans les notes de bas de pages, dans les circonvolutions du livre : c'est un véritable labyrinthe mais aussi un véritable tour de force qu'a accompli là Danielewski et on ne peut éprouver qu'une admiration sans borne, teintée d'une pointe de jalousie, il faut bien l'admettre…Pourquoi n'a-t-on pas un tel génie ?
On comprend aussi qu'il lui ait fallu 12 ans pour l'écrire, et que le traducteur ait pris un tel plaisir à transcrire ce texte.
Il n'y a qu'un mot qui nous vienne à l'esprit, même s'il peut en choquer quelques uns : c'est jouissif !

Pour conclure, je conseille vivement cette expérience à tous ceux qui aiment VRAIMENT les livres !
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critiques presse (4)
LeDevoir
20 mars 2024
Au fil des 700 pages, il faut savoir se glisser dans un personnage qui hante les notes de bas de page, dans une maison qui change de forme selon les jours, se risquer dans un dédale de références savantes, certaines vraies, d’autres fausses.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Bibliobs
15 novembre 2022
Un roman fou, fantastique autant que futuriste, et dont la disposition typographique semble avoir été conçue sous ecstasy, ou en apesanteur.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Marianne_
07 octobre 2022
Au fond, un livre pareil appelle une seule attitude : la disponibilité d’esprit. Il faut s’y plonger. Et découvrir, à ses risques et plaisirs, un objet inqualifiable que nous ne qualifierons donc pas, inclassable que nous ne classerons donc pas, et de fait impossible à critiquer, et qui renvoie donc d’entrée ce court article à une forme de néant.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LaTribuneDeGeneve
18 août 2022
Vingt ans après la publication de son excentrique manuscrit, Mark Z. Danielewski reste à la page, architecte d’un monument littéraire d’une absolue éternité.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Citations et extraits (149) Voir plus Ajouter une citation
Nous ne nous sommes même pas embrassés ni regardés dans les yeux. Nos lèvres se sont juste introduites par effraction dans des labyrinthes intérieurs profondément enchâssés entre nos oreilles, les ont remplis de la musique secrète des mots vicieux, les siens dans de nombreuses langues, les miens dans le goût douteux de ma seule langue, jusqu'à ce que nos langues remuent, et nos consonnes ont tourné et crissé, cliqueté plus fort, hésité, foncé plus vite, les syllabes se sont bientôt mêlées aux grognements, ou les grognements ont trouvé une prise dans des mots nouveaux, ou des mots anciens, ou des mots inventés, jusqu'à ce que nous mélangions nos chaleurs et refusions de les libérer, goûtant trop le sombre langage sur lequel nous venions de trébucher, désirant et sidérant, pas vraiment une communication, plutôt une canalisation de nos désirs balbutiés, les siens pour ce que j'en sais partis vers les Forêts Noires et les loups, les miens réintégrant brutalement une forme familière, ce grand mystère spectral dont je ne pouvais qu'entendre la forme, qui en dépit de nos désirs distincts et cris individuels continuait à nous entrainer dans des tonalités plus étrangères, notre désir commun de continuer à étreindre la brûlure alimentée par le bruit, ses hurlements stridents, les miens - je ne les entendais pas - seulement les siens, probablement en contrepoint des miens, un cri haut perché, puis un murmure chutant de manière imprévue et se changeant presque en jappement, en grognement, je ne sais pas trop, et soudain plus la moindre courbe, juste la fuite en avant, une ligne franchie où tous les sons fracturés déjà prononcés finissent par se condenser en un long mot agonisant, qui excède aisément la centaine de lettres, même le tonnerre, et anticipe l'inévitable relâchement, quand la chaleur devient enfin trop pesante, et menace de brûler, marquer, déchirer, mais suffisamment tentante pour qu'on s'y raccroche encore ne serait-ce qu'une seconde, afin d'étirer le tout, si nous le pouvons, comme si en s'approchant autant de la chaleur, en s'en enveloppant à ce point, allait se révéler... ce qui, lorsque nous nous sommes étreints, tenus, retenus, s'était finalement révélé trop, trop de quelques secondes, et impossible à refuser, et donc faisant tout exploser, frissons et tremblements, et donc tout au fond de sa gorge un millier de lettres s'écrasant en une longue chute non modulée, résonnant profondément dans mon oreille et le long du nerf auditif, un dernier sursaut de rage décrivant en détails durables la forme de choses déjà survenues.
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Et ce n'est que maintenant, des jours plus tard, alors que je redonne forme à ces instants, que je retrouve à nouveau ce que ce trip a brièvement abrité ; le souvenir-écran en permanence relié à tout ce qui l'a précédé et du coup interdisant l'accès à tous les autres, les bons, si différents soient-ils, si béats, éclipsés par le semi-remorque accidenté sur l'autoroute, la cabine plantée dans le fossé derrière l'accotement, une fumée grasse qui monte dans la nuit en tourbillons, à peine atténuée par le crachin cinglant, les flammes qui grimpent sous les réservoirs d'essence perforés, dénudent les peintures, calcinent les pneus et noircissent le verre brisé, le pare-brise heurté de l'intérieur, chaque ligne brisée racontant l'histoire d'un coeur brisé qu'aucun gamin de dix ans ne devrait jamais se rappeler et encore moins voir, même en demi-teinte, l'encre, toute l'encre, encore et encore, se rassemblant finalement à la pointe de ses doigts délicats, comme si en suivant l'image imprimée dans le journal il pouvait d'une certaine façon escamoter les détails de la mort, faire disparaître le taxi où l'homme qu'il considérait comme un dieu a agonisé et est mort sans prononcer un seul mot, illisible ou autre, sans le moindre dieu, et en dissolvant ainsi le ciel noir faire revenir celui qui était bleu.
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On aborde toujours l'inconnu avec plus de prudence la première fois. Ainsi, il apparait beaucoup plus expansif qu'il ne l'est réellement. Lors d'une seconde visite, la connaissance du terrain contracte de façon dramatique la perception des distances.
Qui ne s'est jamais promené dans un parc inconnu et n'a senti qu'il était immense, puis y est retourné pour découvrir que ce parc est en fait bien plus petit que le l'avait laissé croire la première impression ?

Quand nous retournons dans des endroits que nous avons fréquentés enfant, il n'est pas rare de trouver combien tout parait plus petit. Cette expérience a trop souvent été attribuée aux différences physiques entre l'enfant et l'adulte. En fait, elle est davantage liée aux dimensions épistémologiques qu'aux dimensions corporelles : la connaissance agit comme de l'eau chaude sur la laine. Elle rétrécit le temps et l'espace.
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Françoise Minkowska a exposé une collection particulièrement émouvante de dessins d'enfants polonais ou juifs qui ont subi les sévices de l'occupation allemande pendant la dernière guerre. Telle enfant qui a vécu cachée, à la moindre alerte, dans une armoire, dessine longtemps après les heures maudites, des maisons étroites, froides et fermées. Et c'est ainsi que Françoise Minkowska parle de "maisons immobiles", de maisons immobilisées dans leur raideur : "Cette raideur et cette immobilité se retrouvent aussi bien dans la fumée que dans les rideaux aux fenêtres. Les arbres autour d'elle sont droits, ont l'air de la garder..."
A un détail, la grande psychologue qu'était Françoise Minkowska reconnaissait le mouvement de la maison. Dans la maison dessinée par un enfant de huit ans, Françoise Minkowska note qu'à la porte, il y a "une poignée ; on y entre, on y habite." Ce n'est pas simplement une maison-construction, "c'est une maison-habitation". La poignée de la porte désigne évidemment une fonctionnalité. La kinésthésie est marquée par ce signe, si souvent oublié dans les dessins d'enfants "rigides".
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Elle me rend dingue. Rien que de penser à elle maintenant, je suis perdu, perdu dans son odeur, dans son attitude et tout ce qu'elle éveille en moi, une bouffée de folie délirante et de désirs curieusement réduits au silence, des sensations sublimées à vitesse grand V en - eh merde, je ne sais pas en quoi, je ne devrais sûrement pas utiliser un mot comme sublimer, mais il ne s'agit pas de ça, ses cheveux me font penser au vent d'un désert doré et brillant sous la brulure du soleil d'août, ses hanches décrivent des courbes semblables aux littoraux nordiques, ses seins se soulèvent et s'abaissent sous son pull ainsi que le fait un océan bien après que la tempête a passé. Que je lui jette un seul regard, même aujourd'hui dans le miroir de mon esprit, et j'ai envie de décoller, de voyager avec elle, qui sait où, quelque part, mon désir soudain façonné par quelque chose de plus profond, voire d'inconnu, qui se déverse en moi, bannit toute réserve et suit en pensée le chemin qu'elle et moi pourrions faire, les poumons emplis de cet air grinçant d'épineux, fuyant quelque chose de désagréable, quelque chose qui brûle, en fait tout le littoral ainsi que des dizaines de milliers d'hectares de forêts intérieures sont en train de brûler mais nous partons, nous nous en allons, nous sommes libres, nos mains meurtries à force de serrer - de serrer quoi je l'ignore, mais de serrer tout de même - et nos joues zébrées de larmes par le vent ; et maintenant que j'y pense je crois que nous sommes sur une moto, une Triumph.
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Exploration du labyrinthe de cette maison des feuilles par ALT 236 afin d'en découvrir plus.
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