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Jean-Luc Nancy (Autre)
EAN : 9782845903494
107 pages
Arfuyen (12/10/2023)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Le mot de pauvreté : titre étrange. Qui d'emblée récuse le jeu illusionniste de l'écriture et consent à donner le poème pour ce qu'il est : fait de mots, seulement de mots - même si les plus lumineux. Et qui d'emblée récuse l'idée même de tout accomplisse-ment par les mots : les mots ne sont à proprement parler que pauvreté. Il n'y a en eux de richesse, de plénitude que pour autant que nous nous aveuglons.
Dire donc cette pauvreté inhérente aux mots, et rien ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Avant même d'ouvrir le livre, son titre dérange et intimide : “pauvreté” est un mot sérieux, prosaïque et d'emploi délicat. Pauvreté fait penser à maladie, par l'absence des moyens mêmes de s'en sortir; à hantise parce qu'être “dans le besoin”, c'est n'être bientôt mû qu'en et par lui; à médiocrité aussi, parce que tout loisir de perfectionnement suppose aisance; et à perplexité enfin, parce que si toute richesse se ment (elle se croit plus volontiers juste qu'elle ne se veut telle), la pauvreté, elle, a du mal avec sa propre vérité (elle trouve dans ce qu'elle n'a pas l'exclusive raison- et l'excuse, parfois – de ce qu'elle échoue à faire être) : la pauvreté trouble le jugement de celui qu'elle atteint, fausse son approche de ce qui la considère, et – si la misère, elle, n'a plus le choix et trouve juste la pitié qu'elle suscite et normale l'aumône – la fière pauvreté méprise ce qui la juge et, au mieux, tolère ce qui la soulage. Mais ces vagues impressions nées de toute mention de la pauvreté nous ramènent bientôt au titre, on y lit bien, non “pauvreté”, mais “le mot de pauvreté” – et ce mot, soudain, indique moins ce qu'il signifie, ou même connote, que ce qu'il lance au-devant de lui, assène, rencontre, conditionne. Que peut-on, d'ailleurs, attendre d'un mot dont le contenu décourage l'espoir, ou même comprendre à un vocable synonyme de perte de valeur et d'obstacle au sens ? Qu'un recueil ainsi nommé puisse même être riche d'enseignements, ou même simplement aisé d'approche et d'accès, semble pur (et complaisant) paradoxe. Et pourtant …

Laborde caractérise la pauvreté ainsi :”l'essentiel, habité de peur” (p.47). C'est faire saisir qu'on ne peut, en effet, que craindre sa vérité, et que la peur qu'elle nous inspire est nue, “dévêtue” (p.48), parce qu'elle nous prive des moyens de nous défendre d'elle comme de la peur même qu'elle inspire. Elle nous donne une certitude dont on se passerait volontiers, mais nous empêche de nous mentir à nous-même, en tout cas nous mentir longtemps, avantageusement, pleinement. La réelle pauvreté remet nos attentes de richesse à leur place (mensongère), même de richesse intellectuelle ou spirituelle (“le travail de ma vie est de lutter contre l'idée de richesse, contre l'idée que l'idée est richesse“, écrit (p.19) fortement l'auteur). C'est l'illusion même d'une richesse de l'attente d'autre chose, d'une richesse de l'ouverture à des réalités compensatoires, d'une richesse de réconfort ou consolation par les livres mêmes (“tous les livres ne sont pas là pour nous tenir la main/ mais tous les livres ont une cause sans lumière/ un noir perplexe” !, p.37) que la pauvreté révèle, et que sa seule expérience dissipe.

Mais si le mot de pauvreté peut ainsi révéler quelque chose, c'est qu'il participe de l'esprit, – d'un esprit guéri de ses rêves de plénitude, de ses ambitions fumeuses et frauduleuses ! La “conscience”, oui, mais pauvre, “sans prétention”(p.54) – comme un sentiment qui ne jouerait pas de sa propre présence, une attention discrète comme une veillée funèbre, une mémoire qui pêche à la main pour ne pas troubler l'eau du passé; la raison, oui, mais sans comparaison (“le monde de pauvreté est/ sans/ échelle/ sans/ comparaison” p.21) ; la liberté, oui, mais sans arrogance (la pauvreté est une rareté qui court les rues !), sans utopie (la pauvreté est une fève dans une motte de terre, une dune, un tas d'ordures), sans sûreté (la pauvreté est une loyauté qui se sait avoir la trahison facile, et même ses ennemis risquent de déserter).

Bien sûr, la pauvreté affaiblit le monde qu'elle hante, mais elle est l'occasion de repenser, recalibrer, réviser à la baisse nos exigences d'un monde, nos revendications de nanti à propos de l'ordre total et commun que nous nous ruinons à vouloir : un sol, un socle d'humanité qui porte et soutiendrait parfaitement, un horizon qui resterait inconditionnellement ouvert, une communauté d'être et de style qui solidariserait impeccablement nos sorts… alors que “la pauvreté ne soutient/ aucune ligne droite/ elle assassine tout/ horizon” (p.77). Elle fixe un genre de cap sobre et vaillamment serein, sans défensive (p.75) – il suffit d'accepter ce que l'on craint et de se renforcer de tout ce que l'on accepte ; sans caprice (mieux vaut qu'arrive un monde pauvre que rien, car, indique rudement Laborde – page 80 – tout ce qui arrive, et cela seul, est une chance de sortir du monde arrivé !) ; sans enthousiasme même (la pauvreté n'est même pas objet de vocation – malgré notre Poverello ! – car c'est un vent , non une voix (p.90) qui la porte, et il convient de “viser le souffle absent de/ sa destination” !!). Bien sûr, tout en nous rechigne à considérer la pauvreté comme digne de “confiance” (p.68), mais sont, en tout cas, moins encore fiables, dit le poète, les divers antidotes et parades à son advenue telle quelle : le “faux cri” (“un faux cri est la plus terrible/ concession/ faite à la richesse” p.58), l'auto-encouragement, la bonne volonté du constat d'échec, le discours convaincu. C'est que “nous ne sommes pas des oiseaux/ nous sommes de l'herbe/ une pousse aléatoire” (p.67) : la pensée n'est pas vol souverain, mais humble buissonnement, et “celui qui parle en croyant ce qu'il dit/ se prend pour un oiseau“, car la pauvreté spirituelle ne parle pas pour croire ce qu'elle dit, mais pour détromper ce qu'elle garderait pour elle.

L'honnête et émouvante préface de Jean-Luc Nancy ne s'y trompe pas : les mots disent ici leur pauvreté, mais les choses qu'ils renoncent à prétendre révéler sont aussi celles, à proportion, qu'ils s'abstiennent de vouloir trahir. L'organe-obstacle des mots abdique sa richesse au profit de celle qu'il usurpait : l'organe est dissous, l'obstacle est levé; le jour vrai peut n'être plus séparé de lui-même. Paul Laborde conclut ainsi son livre tenu, hardi et mystérieux : “la pauvreté n'indique pas/ le temps // en son sein/ le jour a perdu/ son obstacle” (p.98). Ce que seuls les poètes font savoir est vraiment précieux.

Marc Wetzel

Paul Laborde, le mot de pauvreté, préface de Jean-Luc Nancy, Arfuyen, septembre 2023, 112 pages, 14 €



“rien ne viendra nous sauver de la pauvreté
de la vie
rien d'extérieur à la vie
rien ne pourra contredire la vie
et
son fil de mort tendu” (p.16)

“c'est trahir la pauvreté que de vouloir
se réfugier en elle
le rien n'a pas le droit d'être doux

la pauvreté est froide mais elle n'est pas
dangereuse
elle ne protège de rien
mais le rien n'attaque
pas” (p. 38-39) :

“qu'un mot puisse être une image : premier
mensonge de la richesse
qu'un mot puisse dire quelque chose :
deuxième mensonge
qu'un mot puisse mentir : troisième
mensonge” (p.56)

“le retour de la pauvreté
un mot tenu au bord de sa chute
répétée ” (p.92)
Lien : https://www.poesibao.fr/paul..
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Certains grands mots circulent jusqu'à l'épuisement. Il faut parfois les recueillir, les laisser se reposer, puis les remettre en germe. C'est l'un des rôles, l'un des gestes, de la poésie. Tel est celui entrepris par Paul Laborde avec le – trop ? – beau mot de pauvreté. le dépouiller de lui-même, pour...

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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
le retour de la pauvreté
  
  
  
  
le retour de la pauvreté
un mot tenu au bord de sa chute
répétée
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l'esprit pauvre
n'a rien
ne veut rien
ne sait rien

l'esprit pauvre
ne peut pas
tenir la pauvreté
ferme
ni même la
perdre

l'esprit pauvre est
un point de bascule
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c’est trahir la pauvreté
  
  
  
  
c’est trahir la pauvreté que de vouloir
se réfugier en elle
le rien n’a pas le droit d’être doux

la pauvreté est froide mais elle n’est pas
dangereuse
elle ne protège de rien
mais le rien n’attaque
pas
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qu’un mot puisse être une image
  
  
  
  
qu’un mot puisse être une image : premier
mensonge de la richesse
qu’un mot puisse dire quelque chose :
deuxième mensonge
qu’un mot puisse mentir : troisième
mensonge
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rien ne viendra nous sauver
  
  
  
  
rien ne viendra nous sauver de la pauvreté
de la vie
rien d’extérieur à la vie
rien ne pourra contredire la vie
et
son fil de mort tendu
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Vidéo de Paul Laborde
Présenté par Robert Maggiori, philosophe co-fondateur des Rencontres Philosophiques de Monaco et critique littéraire.
« Dialogue entre un carnivore et un végétarien » de Michael Huemer (Avant-propos de Peter Singer), traduit de l'anglais (USA) par Paul Laborde aux Éditions Albin Michel, 184 pp., 15€
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