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EAN : 9782283032800
176 pages
Buchet-Chastel (20/08/2020)
  Existe en édition audio
3.76/5   1676 notes
Résumé :

Le fils, c’est André. La mère, c’est Gabrielle. Le père est inconnu. André est élevé par Hélène, la sœur de Gabrielle, et son mari. Il grandit au milieu de ses cousines. Chaque été, il retrouve Gabrielle qui vient passer ses vacances en famille.

Entre Figeac, dans le Lot, Chanterelle ou Aurillac, dans le Cantal, et Paris, Histoire du fils sonde le cœur d’une famille, ses bonheurs ordinaires et ses vertiges les plus profonds, ceux qui creusent ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (363) Voir plus Ajouter une critique
3,76

sur 1676 notes
°°° Rentrée littéraire 2020 #37 °°°

Il est des romans qui vous embarquent par la force d'une histoire, animé d'un souffle qui traverse les pages. Ce n'est pas le cas de celui-ci qui reprend la thématique classique de la quête d'identité d'un homme et son inscription dans une lignée qui lui échappe en partie.

Il en est d'autres qui ont la grâce des mots. Histoire du fils est de ceux-là, il m'a enchanté dès le premier chapitre, superbe comme un matin dans la vie d'un enfant qui découvre le monde avec toute la sensualité et la douceur possible à cinq ans. Une ouverture comme un tableau qui en annonce d'autres. En fait, tout ce roman est une galerie de tableaux explosant la chronologie, faisant naviguer le lecteur sur cent ans de la vie d'une famille peuplée de pères et de fils, chacun ouvrant le paysage de Paris à Figeac en passant par Aurillac et le village cantalou de Chanterelle. La construction est remarquable, laissant le lecteur humer les secrets de famille, les ruminer avant d'en pleinement comprendre la portée.

Marie-Hélène Lafon écrit comme on peint. Ses phrases sont très travaillées, les mots choisis avec une intelligence pour donner force à ceux qui les entourent, tout comme la syntaxe, toujours précise. Elle ne cherche pas à étaler des belles phrases qui pourraient dévier le lecteur du propos, non, chaque phrase, dans son économie et sa concision, révèle les silences, les manques, les demi-teintes, les pudeurs, les zones d'ombre, les blancs d'une vie et d'une famille. Sans agressivité, sans racolage, avec douceur et ténacité, privilégiant la narration aux dialogues ( quasi totalement absents ). Une langue à savourer, remplie d'adjectifs justes, dont je me suis délectée à chaque instant pour les sensations physiques qu'elles offrent.

Ce qui est très puissant, aussi, dans l'écriture de l'auteure, c'est comment elle donne présence aux morts, aux absents, aux fantômes de cette lignée, à commencer par ce père non connu qui hante le fils du titre, André, abandonné par sa mère auprès de la famille de sa tante. Un abandon heureux puisqu'André a grandi aimé, choyé, entourée. Jusqu'à ce qu'il découvre qu'il a un père, un nom, une adresse, un métier.

«  Sa place d'homme était faite auprès de Juliette et d'Antoine,il aimait son métier qu'il n'avait pourtant pas choisi, il prenait de l'étoffe et des responsabilités, se dépliait, mais quelque chose, plus que quelqu'un, faisait défaut en coulisses, creusait un vide plus qu'un gouffre ; gouffre était trop abrupt, même si, à l'approche de la quarantaine et depuis qu'Antoine était là, André sentait que, loin, de se combler avec l'âge, comme il voulait à toutes forces le faire croire quand il avait vingt et trente ans, la faille allait s'élargir et se creuser ; le ver était dans le fruit. Il n'avait pas oublié les ratons laveurs de la main de fer qui lui croyait la poitrine certains soirs en dépit d'Hélène et des douceurs vivaces cultivées sous les platanes de Figeac. On irait donc à Paris, à Pâques, humer les traces du père. »

Tout est banal dans ce roman. Rien ne l'est pour dire ce qu'est une vie, sur comment on fait pour s'extraire de son destin et le fuir ou au contraire creuser un sillon tracé par ses ancêtres. Entre attachement et arrachement. Au final, Marie-Hélène Lafon parvient avec une densité et une limpidité superbes à dire tout cela en seulement 170 pages chahutant la linéarité chronologique, une véritable prouesse d'écriture sublimée par une qualité d'écriture rare.
Gros coup de coeur pour ce roman subtil à hauteur d'âme et d'homme qui me fait découvrir cette auteure.
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Un régal et une déception !
Lauréat du Prix Renaudot 2020, Histoire du Fils, le dernier roman de Marie-Hélène Lafon m'a parfois emballé mais plus souvent embrouillé et finalement déçu.
Pour réaliser une saga familiale d'une telle ampleur – elle s'étale sur un siècle, de 1908 à 2008 – il aurait fallu un énorme pavé de plus de cinq cents pages ! Or, rien de tout ça. En cent soixante-dix pages, avec son style soigné, peaufiné, travaillé sur l'établi comme Marie-Hélène Lafon aime le dire, elle tourne autour d'André, fils d'un père devenu vite invisible après son lycée à Aurillac (Cantal).
Fidèle à son habitude, l'autrice excelle à parler de la campagne, de la montagne, entre Aurillac et Figeac (Lot). Elle joue avec les odeurs, les parfums mais me perd vite en tant que lecteur avec une cascade de prénoms.
J'aurais aimé que l'internat au lycée, en 1919, soit plus développé mais l'autrice a choisi une autre option : elle fait des bonds dans le temps, débutant en 1908 pour un terrible drame familial, passant donc au lycée en 1919 puis sautant en 1950 pour revenir à 1934 et plus loin encore en 1923 puis 1935, 1960, 1962, 1945, 1984, 1974 et pour finir en 2008 devant des pierres tombales, dans le cimetière de Chanterelle (Cantal) où tout a commencé.
Entre frères, soeurs, neveux, petits-neveux, père, mère, cousins, cousines… Marie-Hélène Lafon m'a encore perdu dans ses dernières pages pour montrer toute l'étendue d'une famille, des liens tissés ou distendus entre les êtres.
Enfin, j'aurais vraiment aimé qu'elle creuse davantage ce personnage de Paul Lachalme qu'elle abandonne trop vite, laissant planer son ombre au-dessus du roman. Avec Gabrielle, il a eu un enfant, le fameux fils, André, qui cherchera à rencontrer ce père si énigmatique qui ne sait même pas qu'il a un fils…
Malgré ces quelques reproches, j'ai apprécié une fois encore l'écriture de Marie-Hélène Lafon et sa façon tellement précise de décrire nature et êtres. de plus, elle gagne sur les deux tableaux car elle connaît parfaitement le monde rural dont elle est originaire, et la vie à Paris où elle réside. Histoire du Fils est donc un roman bien dans la lignée de ses précédents livres.
Avec Antoine dans les dernière pages, je ressens une infinie tristesse en constatant ce choix de l'éloignement, de l'abandon des lieux de vie familiaux pour d'autres bien lointains, abandonnant toutes racines. C'est ce que nous a apporté la fin XXe siècle et ce qui s'est accentué au début du siècle actuel.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Je viens de finir à l'instant la ...seconde lecture du roman de Marie - Hélène Lafon, " histoire du fils " , oui , oui , deux lectures consécutives. Voilà qui est curieux , non ? En fait , ce livre , il me faisait un peu peur , je l'avoue .Un personnage , André , " abandonné " par sa mère et pris dans " l' omerta " maternelle , voire familiale , je connais ....Et oui , André et moi avons sous nos pas le terrible gouffre de l'absence . Vous comprendrez aisément que raviver une question à laquelle on a , toute sa vie , en vain , cherché à trouver réponse , a de quoi faire réfléchir à ce que vous allez lire , d'autant plus que le poids du secret de famille a été plus fort que vous et qu'aujourd'hui , la famille , disparue , vous lègue un héritage un peu lourd mais ... Lors de ma première lecture , je me suis surtout glissé dans les pas d'André et de sa mère , Gabrielle et j'ai été rassuré. Leur relation m'en a rappelé une autre ...Je ne vous dis pas laquelle , mais je comprends mieux , pour la partager avec André, cette hésitation entre le besoin et la peur de savoir . On transfère toujours son amour ailleurs quand vos géniteurs vous le refusent , par faiblesse , lâcheté ou autre chose ...à taire. J'ai adoré le cheminement d'André . Je pourrais relater de nombreuses réflexions faites par le narrateur concernant sa relation avec " sa mère " . Je préfère vous livrer ce passage de la page 135 :" André fait le bilan ; mère lointaine et intermittente , certes , et père fantôme ; mais il avait eu Hélène , Léon, les cousines , la maison , le jardin et toute la rue Bergandine avec ses platanes , et Juliette et Antoine . Il avait fait sa vie d'homme avec l'appétit d'être qui avait accompagné toute son enfance et ne le quittait pas , pas encore , à plus de soixante ans " . Une belle conclusion , une belle revanche , un beau " pied de nez " pour une rencontre salutaire . Loin de toutes ces niaiseries insultantes de bêtise que j'avais pu lire dans des ouvrages appelés " roman" , c'est une émotion forte qui m'a étreint . Quelques heures plus tard, j'ai été pris d'une violent , d'une incroyable frustration .Pour avoir trop regardé " mon nombril " j'avais oublié le reste . Un famille de notables du Lot . Une rencontre du fils , lycéen, avec l'infirmière du lycée , la différence d'âge , les intérêts divergents, la fuite , l'abandon . La vie à Paris , les retours occasionnels dans le giron familial . le paraitre . La " fausse " désinvolture....C'est superbe et dramatique , plein de l'odeur des confitures de prunes , du café, celle de la lessive , des gestes simples et plein d'amour , jusqu'à la fin des uns , des autres , et l'arbre généalogique qui s'inscrit, se grave dans le marbre des tombes .
Marie - Hélène Lafon ne décrit pas la vie rurale dans le Lot entre 1908 et 2008 , non . Elle s'immisce avec une extrême pudeur , avec tact , dans deux familles et en tire " le meilleur et ...le pire ". Au tout début, en 1908 , c'est le drame avec Armand . En 2008 , c'est l'espoir avec Armand . D'Armand à Armand , la boucle est bouclée .
Un roman extraordinaire , un secret familial porté par une plume alerte , vive , sans concession , parfois même brutale mais tellement poétique qu'elle vous transporte , pour peu que vous vouliez bien lui accorder crédit . Les séquences " temporelles " peuvent dérouter au premier abord , mais quel bonheur quand on peut maitriser cet " obstacle " extraordinairement efficace .Le prix Renaudot a couronné cet ouvrage , c'est juste récompense . La discrète ( ou réservée ) Marie Hélène Lafon a , si j'en crois les avis des amies et amis babeliotes , conquis un large public , il était temps . " Histoire du fils " et " Nature humaine" de Serge Joncour sont , pour moi , deux romans " majeurs " de cette année 2020 , mais , bien entendu , cela n'engage que moi . Vivement le retour des " salons du livre " pour les rencontrer et échanger . En attendant , prenez bien soin de vous .
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Marie-Helene Lafon nous revient dans son dernier opus avec l'histoire d'une famille de la petite bourgeoisie provinciale, sur trois générations. Elle débute en 1908 et traverse un siècle.
Le Fils de l'Histoire, c'est André, père inconnu et mère à double fond, Gabrielle qui décide de le mettre au monde à trente-sept ans, suite à un accident de parcours d'une liaison qu'il entretenait avec un jeune garçon de seize ans son cadet. André est élevé par sa tante, et ne saura rien au sujet de son père jusqu'au jour de son mariage. Voilà, une situation particulière et socialement compliquée pour l'époque, mais là n'est pas le sujet...... 

La plume de Lafon est comme un pinceau. Sans entrer dans les détails elle esquisse à grands coups de pinceau , anachroniquement, une histoire d'un siècle en 176 Pages,
La mère, La Parisienne « efficace » jusqu'à la mort, qui apparaît, disparaît, n'élève pas son fils, fait mystère de tout,
La tante et l'oncle en province , qui «  font montre de dispositions ...magnanimes et généreuses à l'endroit d'une femme qui leur a littéralement fait un quatrième enfant dans le dos » ,
André, le plus beau cadeau de la Parisienne,
Et son fils Antoine qui bouclera l'histoire à Chanterelle, Cantal, Auvergne, France, là où elle a débuté, et d'où Marie-Hélène Lafon est originaire. Donc elle parle encore et toujours de son pays, de sa terre.
Lafon est un de mes auteurs français de prédilection avec Adam, Gallay, Ferney et Blondel, donc je ne peux que conseiller la lecture de son dernier livre pour qui aime son style et ses sujets.


“1962, 1984, 1998, une vie entière à flairer les traces du père, de loin ou de près , à Paris ou dans le Lot....”

Un grand merci aux Éditions Buchet-Castel et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre.
#Histoiredufils#NetGalleyFrance





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Quel beau livre ! Quel grand petit livre !
C'est l'histoire d'un siècle, d'un long siècle, d'une goutte d'eau dans l'éternité, où des hommes et des femmes se rencontrent, se croisent, s'aiment, se rejettent, s'oublient ou disparaissent trop tôt au gré des hasards, des caprices et des destins.
Ces bouts de vies fragmentées, lancées comme on lance des dés, avec leur fil commun, parfois si fort, parfois si ténu, nous fait sentir d'une manière saisissante la flamboyance et l'orgueil de la jeunesse, les rêves qui s'effilochent petit à petit, les cris des enfants qui emplissent les maisons, le poids de la famille et l'inéluctabilité de la mort…
Ce livre nous parle de ce retour à la terre des anciens comme un besoin vital, et de ces paysages immuables admirés tant de fois et de manière si différente du grand-père au petit-fils…
Il fait parler ces marronniers vénérables à l'entrée de la maison familiale qui ont bien des choses à raconter si on prend la peine de les écouter.
Quelle galerie de personnages et de lieux sacrés… Léon le flamboyant et Gabrielle l'indépendante, la gaillarde incongrue ; le royaume de Chanterelle et le Cantal, pays perdu, pays perché ; le fantôme du jumeau et les guerres qui foudroient ; Léon le solide, le fidèle et l'infinie tendresse d'Hélène ; Armand le héros, si fier, si entreprenant, qui ne cessera jamais de courir après ce père absent tout auréolé de légendes et de secrets ; Antoine le dernier rejeton qui clôt cette longue histoire avant d'en entamer une autre, toute aussi hasardeuse, toute aussi balbutiante…
Phrases grises, phrases lumineuses, c'est raconté avec simplicité et rage, avec amour et tendresse… Elles coulent, elles palpitent, elles bouillonnent comme le sang dans le corps d'un homme.
N'allez pas le dire trop fort, mais je crois que je suis tombé amoureux de Marie-Hélène Lafon.

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critiques presse (8)
Telerama
07 février 2022
Son écriture est charnelle, vertigineuse même, quand les images s’imposent pour mieux bouleverser la lecture.
Lire la critique sur le site : Telerama
Actualitte
18 mars 2021
Ce livre est une sorte de chant du cygne d'une vie paysanne qui s’effrite chaque jour un peu plus, alors que, comme me l'a dit encore récemment une vieille tante, « au cimetière, je connais bien plus de gens que dans les rues... » !!!
Lire la critique sur le site : Actualitte
Actualitte
18 décembre 2020
Alors j’affirme haut et fort qu’Histoire du fils est un chef d’oeuvre. Que dès à présent ce livre est un classique, déjà ! Le grand maître Flaubert n’a qu’à bien se tenir.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Culturebox
01 décembre 2020
Le Prix Renaudot a récompensé la romancière Marie-Hélène Lafon pour "Histoire du fils" (Buchet-Chastel), fresque familiale au sein d'une famille ancrée dans la terre du Cantal.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Culturebox
01 décembre 2020
La romancière Marie-Hélène Lafon creuse son sillon avec un nouveau roman sur l'histoire d'une famille ancrée dans la terre du Cantal.
Lire la critique sur le site : Culturebox
RevueTransfuge
01 décembre 2020
Lauréate du Prix Renaudot, Marie-Hélène Lafon nous plonge dans une famille à multiple tiroirs.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
Liberation
05 octobre 2020
Marie-Hélène Lafon conte en douze journées l’histoire d’un homme privé de lignée paternelle construisant sa vie malgré l’absence.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeMonde
16 septembre 2020
Son dernier roman, Histoire du fils, enchevêtre, autour de la naissance d’un petit garçon au père inconnu, une généalogie bouleversée, attachante. S’y racontent de lourdes absences, des silences, d’infinies douceurs, des audaces, d’insupportables tragédies. Colin-maillard des destinées.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (224) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Jeudi 25 avril 1908
Les pieds nus d’Armand glissent sur le parquet ; il ne veut pas réveiller Paul qui dort encore et fait son petit bruit de lèvres dégoûtant, comme un chiot quand il tète. Il va attendre un peu, mais pas trop longtemps, il ne faut pas que Paul se réveille, il gâcherait la fête des retrouvailles, Paul gâche tout. Paul et lui sont nés le même jour, le 2 août 1903 ; il sait, par sa mère et par sa tante, qu’il n’y avait jamais eu de jumeaux dans les deux familles avant eux. Il préférerait n’être pas jumeau, ou l’être avec Georges, sans Paul. Il comprend que c’est impossible, parce que les choses sont comme elles sont, la tante Marguerite le dit souvent, il tourne et retourne derrière ses dents cette phrase un peu bizarre qui glisse et lui échappe, il s’applique un moment à penser aux phrases grises de la tante Marguerite, et à son odeur, cendres froides et saucisson sec. Il réfléchit beaucoup aux odeurs et aux couleurs des gens, des choses, des pièces ou des moments et, quand Antoinette vivait avec eux à Chanterelle, il la faisait rire avec ce qu’elle appelait ses folies, et elle riait elle riait, elle pleurait aussi du coin des yeux à force de rire tellement ; maintenant il ne peut plus dire ses folies à personne. Georges sent la confiture de prunes, quand la tante la laisse cuire longtemps en été dans la bassine de cuivre, il sent cette confiture à ce moment précis, et pas quand on l’étale sur des tartines au goûter en hiver ; même le père en mange et fait des compliments à la tante qui ne lui répond rien et le regarde comme si elle le voyait pour la première fois. Amélie sent la rivière, au printemps, la rivière haute des neiges fondues. Paul sent le vent et la lame froide des couteaux qui sont dans la cuisine et qu’ils n’ont pas le droit de toucher. Pour sa mère, il hésite, et ça change tout le temps, la neige quand elle devient bleue le soir au bord du bois, le café chaud, elle sent rouge aussi certaines fois. Pour le père, la soupe de légumes peut-être, mais il ne trouve pas vraiment, il s’arrête, ça se fige à l’intérieur de lui et il préfère ne pas insister. Les odeurs sont un jeu et on ne peut pas jouer avec le père. La petite chambre de Georges, entre celle des parents et la leur, sent le chaud blanc des fers à repasser que sa mère ou Amélie font glisser sur les linges en pliant le bras et en écartant le coude, bras et coude droits pour sa mère, gauches pour Amélie qui est pourtant la plus habile. La grande toilette du samedi soir, avec les serviettes tièdes et douces, et la mère et la tante penchées sur lui, sur eux, la grande toilette sent rose, Antoinette et Amélie ne s’occupent pas de cette toilette du samedi. La tante dit, en détachant bien chaque mot, on ne mélange pas les torchons et les serviettes ; ou qui va à la chasse perd sa place, ou qui dort dîne, ou qui sème le vent récolte la tempête, ou les chiens ne font pas des chats. Il sait par cœur toutes les phrases de la tante, surtout celles qu’il ne comprend pas, et les récite parfois, en silence, mot à mot, pour s’endormir, ou pour se calmer, pour se refroidir, comme maintenant, quand il sent qu’il voudrait sauter d’un seul bond les six marches de l’escalier et se poser dans la cuisine sur l’épaule d’Antoinette, comme une hirondelle. La tante dit aussi, une hirondelle ne fait pas le printemps. Pour prendre patience jusqu’à ce que le carillon de la salle à manger sonne la demie, il s’applique à penser aux fraises, celles qu’Antoinette aura cueillies pour lui à Embort, les premières, et celles du jardin de la tante. Il sait que sa mère, sa tante et Amélie sont dans la cuisine et s’affairent pour la lessive, ça commence aujourd’hui et ça durera deux jours entiers. Antoinette viendra aussi, elle revient pour les gros travaux, elle est sans doute déjà arrivée, elle lui a promis les premières fraises et Antoinette tient toujours ses promesses. Elle ne vit plus à Chanterelle mais à Embort, il a bien retenu le nom, dans un autre pays beaucoup plus doux où poussent de grands cerisiers, elle le raconte et montre avec ses deux bras comment les cerisiers s’arrondissent dans les vergers de ce nouveau pays où elle habite avec son mari. Il a beaucoup pleuré quand elle est partie avec ce mari, qui est frisé, même si sa mère et la tante Marguerite lui ont expliqué que c’était normal, que les jeunes filles comme Antoinette, quand elles trouvent un mari, quittent les enfants dont elles s’occupent dans les maisons des autres pour suivre leur mari et habiter avec lui dans leur propre maison où elles auront des enfants à elles. La tante Marguerite a penché la tête en disant ces mots et il a compris qu’il ne fallait pas poser davantage de questions. Il sait que la tante Marguerite n’a ni mari, ni maison, ni enfants, et il sent que la tristesse traverse sa peau et lui donne une odeur particulière que n’ont pas sa mère, Antoinette ou Amélie. C’est un parfum gris et froid qui lui serre le ventre ; il pourrait pleurer, mais il ne pleure pas, il ne faut pas le faire, on se moquerait. Il sort de la chambre, la fenêtre au bout du couloir est pleine de lumière, comme le grand vitrail de l’église quand il fait beau ; le soleil se lève de ce côté et on ne ferme jamais les volets de cette fenêtre, même l’hiver. Il est seul dans le couloir, tout le monde est en bas, dans la cuisine, et son père est parti à la Mairie, le jeudi matin son père va très tôt à la Mairie. Il était encore dans son lit quand il l’a entendu fermer la porte et traverser la place ; à l’oreille, et les yeux fermés, parce qu’il écoute mieux les yeux fermés, il reconnaît le pas et les façons de faire de chacun, sa mère, sa tante, son père, Paul, Georges, Amélie et même d’autres personnes, comme Solange ou Antonin, qui viennent pour aider et n’habitent pas avec eux ; il reconnaît aussi les aboiements de chaque chien du bourg, c’est un jeu et un secret, Paul ne doit pas savoir. Armand s’avance, il marche dans la lumière tiède, il la sent sur lui, sur ses pieds, sur ses mains, son visage, ses cheveux, il ferme les yeux. Plus tard, bientôt, quand il sera assez grand, il sera enfant de chœur, sa mère et sa tante le voudront, son père ne pourra pas l’empêcher, il a entendu Antoinette le dire à Amélie même si elles ont changé de sujet quand il est entré dans la cuisine. Antoinette et Amélie craignent le père, tout le monde le craint, même Paul, les colères du père sont comme l’orage et le tonnerre, la maison tremble, la terre tremble, c’est la nuit en plein jour ; quand ça s’arrête, quand le père s’en va, on recommence à respirer. En attendant on peut réciter à l’intérieur de soi la prière que leur mère dit le soir dans la chambre pour Paul et lui, Georges ne comprend pas, il est encore trop petit. Armand a essayé pendant la dernière colère, mais ça n’a pas marché, il sait pourquoi, la prière commence par Notre père, et les mots se coincent dans sa gorge, ça ne passe pas. Il faudrait pouvoir en parler à Antoinette aujourd’hui, ou demain ; ensuite elle repartira, dès que la lessive sera finie, et il ne sait pas quand elle reviendra. Antoinette a des idées, des solutions pour tout, elle sait des tours de magie, il aime ses bras, ses cheveux, son cou, il aime entrer à la volée avec elle dans l’église vide les après-midi de beau temps, juste pour aller faire une génuflexion et le signe de croix dans les flaques de lumière jaune et rouge qui tombent du grand vitrail. Ils s’assoient aussi une minute dans le confessionnal, chacun de son côté, elle à droite lui à gauche, le bois est lustré et doux, le confessionnal sent la cire, le miel, le beurre frais. Il aime l’église, il sera enfant de chœur, il aime Antoinette.
Il entend sa voix qui monte de la cuisine, mêlée à celle de sa mère, la tante et Amélie ne disent rien. Il se tient debout sur la première marche de l’escalier, il attend, il sait que sa mère et sa tante sont levées depuis longtemps déjà et ont mis l’eau à chauffer sur le grand fourneau dans deux faitouts très hauts qui ne servent que pour les lessives ; le reste du temps ils sont rangés sur l’étagère du bas dans la buanderie et ils aiment, Georges et lui, jouer avec le plus profond qui est assez grand pour que Georges s’y glisse entièrement, comme dans une sorte d’étui dur, il disparaît à l’intérieur et se balance d’avant en arrière ou de droite à gauche en imitant les poules quand elles ont pondu, le faitout a l’air de danser en gloussant et ils rient sans pouvoir s’arrêter. Ils le font en cachette, quand les adultes ne s’occupent pas d’eux, ils seraient grondés parce qu’il ne faut pas abîmer les ustensiles. Paul trouve que c’est un jeu de petits et se moque d’eux mais ne les dénonce pas. Armand descend deux marches et s’assied sur la troisième d’où il peut voir, sans être vu, ce qui se passe dans la cuisine. Antoinette est là ; elle va et vient, les bras chargés de linge, ses cheveux moussus sont roux, Antoinette est rousse, pas rouquine, il n’aime pas ce mot que son père dit parfois. Antoinette est rousse comme le renard qu’ils ont vu l’hiver dernier, sa mère et lui, en traversant le grand pré du haut, un soir de neige. Sa mère a serré sa main qu’elle tenait dans la sienne, ils se sont arrêtés, le renard aussi, saisis, les trois ; ensuite le bois a avalé la bête, il n’est plus resté que ses traces à peine visibles sur la neige bleue et dure. Antoinette est un miracle, comme le renard. Son père tue les renards, son père est chasseur, plus tard, lui, il sera enfant de chœur et il ne chassera pas, il ne veut pas tuer les bêtes, ni les renards magiques, ni les lièvres de velours, ni les chevreuils bondissants, ni les oiseaux, aucun oiseau, surtout pas les oiseaux. Tout se bouscule à l’intérieur de lui, les oiseaux, Antoinette la renarde, le vitrail de l’église, les fraises, le beurre frais du confessionnal, le secret du grand faitout. Il ne résiste pas, c’est trop de tout en une seule goulée, ses pieds nus battent en silence la mesure de sa joie sur la quatrième marche, il voudrait s’
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On était à l’étude. Il frottait ses pieds l’un contre l’autre sous le pupitre ; il avait toujours les pieds froids, même si sa mère glissait dans sa valise de courts chaussons de laine fine, gris ou noirs, qu’elle tricotait pour lui, là-haut, l’hiver, à Chanterelle. Le matin, au dortoir, il les enfilait discrètement sous ses chaussettes, ils étaient très ajustés, et doux sur la peau. On ne devait pas savoir, au lycée, que Paul Lachalme craignait le froid aux pieds et portait des chaussons tricotés par sa mère. Il avait un rang à tenir. Ils étaient une poignée, quatre ou cinq, à n’avoir pas cessé, toute l’année précédente, de clamer, proclamer et déclamer, avec lui, dans son sillage, leur hâte d’en être, d’avoir seize ans, enfin, pour s’engager, tenter au moins de le faire, et partir, quitter cette honte molle de l’arrière où les femmes, les enfants, les vieillards, les estropiés, les demi-portions et les planqués attendaient, poussant l’ordinaire des jours tranquilles avec leur ventre, tandis que les hommes vivaient ailleurs, et mouraient, au-dessus d’eux-mêmes. Paul était content de sa phrase et de ses formules ; il en avait le goût, d’aucuns disaient le don, et en usait volontiers au fil des discussions enflammées entre internes sur la cruciale question de cette guerre qui ne finissait pas. Ceux qui voulaient partir, et rejoindre, ou remplacer, ou venger les pères, les oncles, les frères, les cousins, les amis, en imposaient aux autres ; on osait à peine dire ou même penser que l’on avait peur, ou que cette guerre enterrée dans la boue depuis quatre ans n’avait plus vraiment de sens, ou que l’on ne savait pas comment infliger ça en plus, ce départ, à une mère, à une sœur déjà vouées au noir et aux larmes. L’Armistice avait tranché dans le vif et coupé court aux atermoiements et aux rodomontades. Deux mois plus tard, l’interminable janvier s’étirait dans le gris glacé des semaines à entasser les unes sur les autres jusqu’aux lointains congés de Pâques et Paul Lachalme avait froid aux pieds à l’étude du soir. On avait été rendu à son état d’enfance, on ne deviendrait pas un héros, on ne serait pas mort au champ d’honneur, il était trop tard pour tout ; on dépendait, on redevenait impuissant, on n’avait jamais cessé de l’être, on subissait et on se débattait avec tout ça, les semaines, les pieds froids, la première Bucolique et autres purges scolaires. Sub tegmine fagi, sous le couvert des hêtres ; vivement que l’on y soit, sous les hêtres, à Chanterelle, à Pâques, en avril, dans le printemps du monde ; encore une formule ; pas tout à fait. Paul secoue la tête. Il ne parle à personne du pays d’en haut, de Chanterelle, des parents, de la tante ; c’est un royaume, ça ne se partage pas, et il ne faut pas donner prise
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Paul voulait le huit clos; l'heure était grave; sous l'uniforme blanc de Mademoiselle Léoty palpitait le Graal, ça ferait l'affaire. Il lui donnait la trentaine; le visage était austère et la bouche déjà pincée, mais les oreilles parfaites, les yeux clairs, le cou souple, la nuque fraîche, les cheveux bruns ramassés en un chignon que l'on devinait onctueux sous le mince calot réglementaire. Tout annonçait des félicités certaines. Il ne s'étonna pas de cet instinct très sûr qui lui épargnait le doute et les atermoiements des débuts.
Il se savait beau, il avait faim, il était jeune, et cette femme, qui ne l'était plus tout à fait, le voyait. Il le sentait, il l'avait senti, dès le jeudi; pendant la visite du soir, elle n'avait ni rougi ni détourné le regard au moment où, assis au bord du lit, guettant son approche, il s'était avancé vers elle, en pyjama bleu et en état de tumescence manifeste, sous le prétexte d'éprouver la fermeté retrouvée de son pas. Il chancelait, elle l'avait saisi aux épaules, ils étaient de même taille. Elle avait enfoncé en lui l'éclat cru de ses yeux clairs, elle avait dit d'une voix presque rieuse, recouchez-vous jeune homme on est presque toujours bancal sur trois jambes.
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La tante dit, en détachant bien chaque mot, on ne mélange pas les torchons avec les serviettes ; ou qui va à la chasse perd sa place, ou qui dort dine, ou qui sème le vent récolte la tempête, ou les chiens ne font pas les chats. Il sait par cœur toutes les phrases de la tante, surtout celles qu'il ne comprend pas, et les récite parfois, en silence, mot à mot, pour s'endormir, ou pour se calmer, pour se refroidir, comme maintenant, quand il sent qu'il voudrait sauter d'un seul bond les six marches de l'escalier et se poser sur l'épaule d'Antoinette, comme une hirondelle. La tante dit aussi, une hirondelle ne fait pas le printemps.
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Pâles et cravatés, altiers, encadrant leur mère en grand deuil, escortés par leur tante non moins endeuillée, Paul et George Lachalme se sont tenus devant le caveau orgueilleux, dans le froid bleu et mordant du pays haut. Ils ont serré des mains, embrassé des joues, balbutié les formules d'usage, reconnu des visages vieillis, ravalé des sourires et masqué des perplexités dont ils se feraient plus tard l'aveu, entre frères, dans l'intimité de la maison douce et chaude.
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