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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Depuis longtemps, Haïti fascine. Quand la terre tremble, quand l'Etat capitule, lorsque les hommes se battent pour vivre mieux ou pour vivre seulement… Port-au-Prince et ses habitants suscitent l'intérêt jusque dans la richesse de sa littérature. Comme nombre d'auteurs haïtiens autour d'elle, Yanick Lahens puise dans son quotidien la matière dont ses livres sont faits.



« La vie tue d'abord les coeurs purs » . Au départ de l'histoire, un drame. Angélique et Joyeuse découvrent un matin que leur jeune frère Fignolé n'est pas rentré. Leur mère aussi a vu le lit fait. Militant déçu du « Parti des démunis », rêveur et musicien, il est une proie facile pour la rue. Dans un contexte apocalyptique, cette disparition est des plus inquiétantes. Les émeutes sanglantes de la veille, auxquelles il semble avoir participé, laisse présager le pire. En trente courts chapitres, incroyablement fluides et poétiques, vont s'alterner les voix de ces deux soeurs qui nous présentent, chacune à leur manière, un quotidien misérable où règne pourtant en maître le désir de survie.


Portraits. Angélique est une fille-mère de trente ans qui traîne son buste droit du banc de l'Eglise aux couloirs de l'hôpital dans lequel elle travaille. Soucieuse mais contenue, brisée mais droite, elle tente de faire vivre sa petite famille en repoussant tout ce qui pourrait agrémenter son quotidien. Sa soeur cadette, Joyeuse, représente l'engouement, la joie et la vitalité. Elle occupe une place prisée dans un petit magasin luxueux du centre ville. Grâce à son oncle, elle a pu suivre des études qui l'ont aidée à se faire une maigre place dans la société haïtienne. Dévorée par l'ambition, révoltée par son quotidien, elle contient difficilement sa colère et sa rage en toute circonstance. Contrairement à sa soeur, elle rejette toute forme d'autorité, qu'elle soit politique, culturelle ou religieuse et joue du rapport de force qu'elle instaure entre elle et les hommes par sa beauté. Toutes les deux vivent encore sous le toit de leur mère, une vieille femme que le poids des malheurs commence à voûter mais qui résiste à l'âpreté du quotidien.


Pendant la journée, chacun mènera l'enquête à sa manière : Angélique la raisonnable porte plainte auprès du commissariat et se heurte à l'incompétence des fonctionnaires dans un pays en faillite. Joyeuse fouille les affaires de Fignolé et trouve une arme, un papier avec des coordonnées téléphoniques et le nom d'Ismona, l'amoureuse de Fignolé. Mère cherche dans les rites vaudous et l'évocation des esprits les réponses que la réalité lui refuse. Si la mort de Fignolé plane sur chacun d'entre eux, aucun ne renonce à trouver la pénible vérité. Parce que se battre, c'est vivre encore. Et qu'ils n'ont rien d'autre à faire.


Une mosaïque douloureuse. Dans ce second ouvrage de l'écrivaine Yanick Lahens, les personnages n'ont pour seule réalité que les sentiments qui les animent. Mais ceux-ci ont maintes et maintes fois été partagés par les Haïtiens et prennent tout leur sens lorsqu'il s'agit de parler du quotidien de l'île. Dans sa manière de peindre une société en difficulté, où vivent des hommes tantôt vaillants, tantôt vaincus, elle s'inscrit parfaitement dans une longue tradition de littérature afro-caribéenne. Réalistes et éprouvants, ces propos sont riches d'une langue soignée, d'un rythme maîtrisé et d'une orchestration du récit parfaite. Il y a Gabriel, l'enfant innocent déjà devenu le témoin silencieux de la violence du monde dans lequel il vit, Ti-louze, la bonne noire, battue pour n'être que ce qu'elle est, John, le jeune blanc arrogant et prétentieux, porteur de toute la morale occidentale et tout aussi incapable que les autres d'apporter des solutions concrètes aux problèmes quotidiens, Mme Jacques la riche patronne de la boutique dans laquelle travaille Joyeuse, qui illustre parfaitement la classe supérieure méprisable de l'île, Lolo la jeune courtisane intéressée par « l'argent qui ouvre les frontières »…


L'auteure. Malgré sa triste réputation de pays pauvre et désorganisé, l'île d'Haïti a une longue tradition littéraire. Elle est riche d'une grande communauté d'auteurs en diaspora, telle que Dany Laferrière ou Louis-Philippe Dalembert, et regorge d'écrivains qui témoignent des réalités de leur île de par le monde. Yanick Lahens appartient à cette catégorie de la population soucieuse de témoigner de son histoire quotidienne, des aspirations déçues de sa jeunesse et de l'incroyable vitalité qu'elle abrite néanmoins. Née en Haïti en 1953, elle a effectué une grande partie de son parcours scolaire en France avant de retourner s'installer à Port-au-Prince où elle a travaillé comme universitaire, conseillère du Ministère de la Culture et écrivain. Comme le disait le poète haïtien René Depestre avant elle, « La littérature haïtienne est « au bouche à bouche avec l'histoire » ; dégager la création littéraire de la vie politique de l'île quel que soit le stade de l'histoire d'Haïti observé, n'est pas chose facile, tant la première se nourrit de la seconde, y trouve souffle et inspiration. Et jusqu'à la dernière page de ce livre, on respire avec eux.
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Une journée dans la vie de deux soeurs et de leur mère. Fignolé, le frère ou le fils n'est pas rentré. Joyeuse et Angélique, les deux soeurs, tour à tour, évoquent le quotidien de leur vie à Port-au-Prince, au milieu de la misère, la violence, l'absence des pères dans une ville impitoyable.
Joyeuse aime la vie et travaille comme vendeuse dans une boutique de luxe. Angélique est infirmière et se dévoue corps et âme à ses malades. Elle cherche la rédemption à l'église évangélique, elle a péché : elle a un fils naturel et doit expier. Tout au long de cette interminable journée, les soeurs et la mère vont partir à la recherche de ce frère aimé, mais révolté, en colère, la rage au ventre. Très beau texte, écriture magnifique.
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Un récit d'une grande force. Une écriture ample et agile, des personnages d'une belle puissance d'âme. Ces 213 pages se boivent avec aisance. Cette lecture donne assurément l'envie de découvrir les autres oeuvres de l'auteur.
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Sublime. Une écriture d'une immense beauté qui m'a profondément touchée et un récit prenant corps à Haïti d'une immense puissance.
Je vais m'empresser de continuer à découvrir son oeuvre.
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La couleur de l'aube, qui a imposé en 2008 Yanick Lahens comme une des grandes voix de la littérature haïtienne, raconte l'angoisse de deux soeurs dont le jeune frère Fignolé, musicien, rêveur, révolté, insoumis, militant du parti des Démunis, a disparu dans un Port-au-Prince en proie aux émeutes.

Angélique, mère célibataire, résignée, devenue méchante selon ses propres dires, dévouée aux malades de l'hôpital où elle travaille dans des conditions difficiles, s'est réfugiée dans la religion.

Joyeuse, plus jeune, belle, sensuelle, vendeuse dans un magasin luxueux du centre ville, incarne la joie de vivre, la rébellion et l'espoir.

Toutes deux vont chercher leur frère toute la journée tandis que leur mère se tournera vers les rites vaudous. Autour d'elles, ce ne sont que violences, misère, peur omniprésente, incertitude du lendemain ou même simplement des heures à venir...

Avec une plume riche et poétique, l'autrice témoigne des difficultés du quotidien des Haïtiens à travers cette histoire, de leur fureur de vivre chevillée au corps et à l'âme en dépit de la corruption et du chaos où se trouve plongé un pays dévasté, en pleine déliquescence.
Une belle découverte, un beau roman humaniste accessible même sans connaître la grande Histoire de Haïti (ce qui est mon cas)
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Yanick Lahens, La couleur de l'aube, chez Sabine Wespeiser.

Il serait tentant de comparer ce récit à une oeuvre musicale en trois mouvements : l'inquiétude, la colère, la douleur et la haine. Mieux vaudrait parler de voix : on entend celles des soeurs de Fignolé, étonnées au matin de ne pas trouver leur frère au domicile familial. Chacune garde pour soi ses craintes, ce qui les rassemble est ce silence plein d'appréhensions sur l'absence du frère, si proche affectivement qu'il occupe toutes leurs pensées

Les rôles dans cette famille de Port-au-Prince en Haïti sont bien définis :

« Face à l'irrémédiable et l'infernal (1), nous allions réagir tous les trois de façon différente : Fignolé dans la bravade absolue, dans l'entêtement mettre en distance les séductions qui tendent de faire oublier la cruauté du monde. Joyeuse dans l'affrontement de biais. Et moi dans la soumission au monde tel que Dieu l'avait crée. »

(1) la vie à Haïti dont on sait que l'arbitraire est érigé en système politique.

La construction soignée de ce récit autorise pourtant le flottement des personnages, et en particulier d'Angélique, la principale narratrice. Par sa voix, la vie d'Haïti nous parvient dans ses aspects domestiques, et surtout une existence imprévisible : d'un moment à l'autre tout peut basculer de l'espoir à la douleur, de l'attente au deuil. Par sa bouche, l'émotion nous est directement transmise :

« Fignolé, tu me manques comme un membre amputé, comme un enfant mort-né. Rien ne pourra remplacer l'espace dans lequel tu bougeais, marchais, gémissais, parlais et criais ta douleur au monde. Rien ne pourra remplacer ta main dans mes cheveux, tes bras autour de mes épaules. Ta voix qui me disait : « Petite soeur, comme je t'aime. »

Ecouter, Bob Marley, redemption song.
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Une journée dans la vie de deux soeurs et de leur mère. Fignolé, le frère ou le fils n'est pas rentré. Joyeuse et Angélique, les deux soeurs, tour à tour, évoquent le quotidien de leur vie à Port-au-Prince, au milieu de la misère, la violence, l'absence des pères dans une ville impitoyable.
Joyeuse aime la vie et travaille comme vendeuse dans une boutique de luxe. Angélique est infirmière et se dévoue corps et âme à ses malades. Elle cherche la rédemption à l'église évangélique, elle a péché : elle a un fils naturel et doit expier. Tout au long de cette interminable journée, les soeurs et la mère vont partir à la recherche de ce frère aimé, mais révolté, en colère, la rage au ventre. Très beau texte, écriture magnifique.
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Joyeuse est une pulpeuse gamine de 23 ans qui « a une foi inébranlable dans son rouge à lèvres, ses seins et ses fesses ».

Angélique, sa sœur ainée, est « la sage, la mère sacrifiée, la fille soumise, la sœur exemplaire » dévouée à ses malades à l’hôpital. Et leur Mère préfère ne pas s’acheter des vêtements ou de la nourriture plutôt que de ne pas honorer sa grande famille de Dieux africains.

Récit à deux voix – les deux sœurs - , « La couleur de l’aube » concentre, chacune avec sa tonalité, l’angoisse quotidienne qui sourd dans la ville de Port-au-Prince. A elles deux, Angélique et Joyeuse forment les deux faces d’une même réalité. A deux voix, elles dessinent un portrait de Fignolé, leur frère qui n’est pas rentré de la nuit. Fignolé qui n’a « jamais accepté d’être embrigadé par aucun dogme, aucun uniforme, aucune doctrine. « Fignolé qui se trouve incapable de s’inscrire dans la vie. Fignolé qui traîne aujourd’hui un désespoir qui lui brûle le sang. Et Fignolé que personne n’a vu depuis la veille.

Elles ont juste une journée. Une journée pour enquêter et essayer de retrouver une trace de leur frère musicien, enragé contre le parti des Démunis, qui s’est retourné contre ses supporters.

Joyeuse, qui travaille comme vendeuse dans une boutique de luxe, est dans l’attente : « D’un homme. Un seul. Un homme ordinaire. Un homme, vœu de mes jours. Envie de mes nuits. Un homme qui mange ma vie. Un homme tapi dans la longueur de mes hanches. Un homme dont l’absence descend en pente douce jusqu’au haut de nos cuisses. » Sensuelle, elle pense qu’elle a des « fesses à emballer tous les trottoirs ». Elle n’a pas le temps, elle avale la vie par les deux bouts, mais pour la première fois elle a vraiment peur pour son frère.

Angélique, pendant ce temps s’abstrait dans la religion et fréquente notamment les Pentecôtistes, sous la férule du célère Pasteur Jeantilus qui harangue les foules et fait chanter ses ouailles. Au cours du récit elle lèvera le voile sur la naissance de Gabriel, son fils, dans un moment d’abandon.

Et leur mère qui, quelques mois après la naissance de Fignolé, retrouva sa condition de femme sans être obligée de vivre avec un homme au quotidien est celle qui tient l’édifice de la famille à bout de bras. « Mère eut un mari, beaucoup d’amants, mais aucun homme ne la posséda. Il ne lui apprirent pas grand-chose hormis certains gestes au lit. Ne lui donnèrent rien à part quelques dollars. Mère n’est pas femme à acheter la paix d’une maison en vendant son âme. »

Il y a aussi John, l’Américain humanitaire, qui a choisi la famille de Fignolé pour faire son œuvre charitable, « Venu se défaire de son ennui de gosse de riche en semant la pagaille chez les pauvres qu’il admire comme d’étranges animaux debout sur deux pattes. « John, dont Angélique dit que : « c’est tellement facile d’être gentil et bon et d’inventer des histoires de livres et de cinéma. John a un avenir. Nous n’en avons pas. Il y a des gens riches. D’autres pauvres. Nous serons toujours pauvres. John toujours riche. John n’est pas des nôtres et ne le sera jamais. »

Concentré sur une seule journée qui commence tôt le matin et va s’achever très tard dans la nuit, les trois femmes tentent d’occulter l’angoisse qui monte au fur et à mesure de la journée. Pourtant dès le matin à la radio, elles ont entendu qu’une émeute a eu lieu la veille au soir contre le gouvernement en place …

Et puis il y a surtout Port-au-Prince. Haïti vit la violence quotidienne à l’image de cette scène que vit Joyeuse où « un étudiant, blessé à mort m’a fixée de ses yeux révulsés. Celui qui l’a tué était debout, en face de moi. En guenilles, ensauvagé jusqu’à la moelle, il avait à peine seize ans : sans passé, sans avenir, sans parenté, une nature à nu, une plaie frottée à sang. »


Un style précis, condensé, qui évoque celui de William Faulkner à qui Yannick Lahens a consacré un essai. Une écriture sensuelle, sensible, poétique qui vous enveloppe comme une mélopée envoutante. Un récit poignant, vécu en « vingt quatre heures chrono », où l’auteur réussit le tour de force de ne jamais s’apitoyer sur le sort de ses personnages, qui courent tous pourtant tout droit vers le désastre.

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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