« Je suis malade comme le chantait de sa voix puissante une Dalida dévorée par la dépression. Une myopathie dégénérescente, et non un chagrin d'amour dévastateur qui vous plongeait le bec dans le whisky. Une maladie sauvage, indomptée, qui s'organisait des repas orgiaques de muscles pour, à terme, laisser sans énergie, aussi athlétique qu'un mollusque. La myopathie dépiautait ma vie de ses folles extravagances et de sa jeunesse tonique. (…) Rien n'allait : la forme ne m'attirait pas, la qualité ne me convenait pas, les finitions laissées à désirer, l'emballage ne correspondait pas à la valeur du produit. Contrefaçon made in China. Arnaque existentielle. »
Le narrateur, petite vingtaine, est donc atteint d'une myopathie. L'auteur est lui-même myopathe et c'est sans doute pour cela que la première chose qui frappe dans ce roman, c'est l'authenticité avec laquelle le sujet - rare en littérature - du handicap est traité. Sans aucun tabou et avec une lucidité féroce,
Ferdinand Laignier-Colonna évoque la frustration sexuelle, la tentation du suicide, la profonde solitude, la peur de ne jamais trouver une compagne, l'avenir angoissant sous le spectre de la dégradation physique et de la dépendance physique.
Pourtant,
Marche ou rêve n'est pas une autobiographie type témoignage de vie mais un récit autofictionnel, la narration s'inspirant de faits vécus à partir desquels se greffe sur une vraie trame fictionnelle. le handicap devient alors un vrai thème romanesque qui se nourrit d'autres – et vice versa – comme l'amitié, l'amour, l'identité. Les émotions, doutes, interrogations, dilemmes, errances, espoirs du personnage principal peuvent résonner en chacun, d'autant qu'il n'est jamais nommé ou prénommé, ce qui renforce l'aspect universel de son « je ». Valide ou non, on a tous des prisons à vaincre.
Surtout,
Ferdinand Laignier-Colonna est un écrivain. On le sent particulièrement lors de certaines scènes singulières et fortes, dérangeantes même, comme celle de la première visite à la prostituée Bernadette, femme courageuse et généreuse, au bord de la misère, qui telle une Fantine, est prête à vendre ses dents pour son fils ( beaucoup plus lourdement handicapé que le narrateur ). Cela pourrait être terriblement glauque et malaisant, sous la plume de l'auteur, c'est juste bouleversant de vérité et d'humanité.
L'auteur trouve le bon équilibre pour désamorcer le tragique des situations sans chercher pour autant à les édulcorer ou à mettre la poussière sous le tapis. Si
Marche ou rêve n'est pas un roman qui revendique ou cherche à régler des comptes, le ton est souvent insolent , porté par à un humour incisif qui dégaine à tout va contre le manque d'empathie des médecins, contre l'hypocrite compassion des valides, contre les vendeurs profiteurs de fauteuils roulants hors de prix, ou encore contre le Téléthon « la fashion week de la myopathie », « l'impudeur de la célébration et la glorification de ces corps dégénérés donneraient presque l'envie d'épouser les thèses d'un eugénisme libéral ». Ça punchline de partout, au point qu'on a envie de relever plein de phrases. On rit beaucoup mode décomplexé.
Le roman se situe en Corse, mais une Corse loin des clichés, une Corse morne, hivernale, bétonnisée, la métaphore géographique de l'insularité accentuant l'enfermement du narrateur dans une solitude de plus en plus pesante. Si l'ancrage territorial est très bien inséré à la trame narrative, j'ai été moins convaincue par l'assise temporelle, ayant eu beaucoup de mal à me situer dans le temps, ne parvenant pas à bien repérer deux des marqueurs temporels forts : l'irruption du COVID et la "bascule" dans la prise du traitement thérapeutique expérimental ne m'ont pas semblé assez défini ni assez lisible pour me repérer totalement dans le dernier quart.
Un premier roman réussi et alerte qui a su me toucher par sa sincérité.