Détachez-vous même de la bonne opinion du monde ; fuyez votre propre succès ; dites-vous que la génération pour laquelle vous écrivez, ou vous peignez, ou vous composez de la musique, n'est pas encore née, – et que peut-être le temps finira avant qu'elle ait pu naître. Ne cherchez aucune satisfaction en dehors de votre ouvrage, qui seul est digne de vos soins, et seul doit compter pour vous, puisqu'il est vous-même. Pour lui, rendez-vous libre de tous liens. Alors, quelquefois, du milieu de votre obscurité et de votre solitude, il vous arrivera d'entendre, au moment où vous mettez un point final, l'applaudissement des anges.
Dans le silence de nos cabinets, dans le climat privilégié des bibliothèques, les diablotins idiotisme et modisme nous défient, et les démons faux-sens et contresens, qui profitent du moindre relâchement de notre vigilance pour nous faire trébucher, nous replongent en des crises de doute et de découragement, à peine moins épuisantes que les ivresses et les douleurs de l'invention.
Quatre mots de Shakespeare, deux mots de Racine, comme une aumône des Muses, et voici tout un peuple qui dans la profondeur de ses ténèbres esthétiques reconnaît soudain une voix céleste et s'ouvre à la grâce poétique. Il y a bien là de quoi nous émouvoir, à notre tour, jusqu'aux larmes : devant cette pauvreté, devant cette espérance.
[…] et dans vos heures de découragement et de doute, ou de remords, pour reprendre confiance en vous-même ou pour expier quelque péché contre notre exigeante Muse, remettez-vous humblement sous le joug, et humblement traduisez ; dans un esprit de charité et de justice, et pour la gloire d'un de vos frères, traduisez […]
Il est malaisé, pour qui suit à la trace les lignes d'un autre, de ne pas s'en écarter en quelque endroit, et difficile de faire en sorte que les choses qui sont bien dites en une autre langue gardent la même beauté (ou la même grâce : eumdem decorem) dans la traduction.
[Rentrée littéraire 2022]
Entre 1942 et 1944, des milliers d'enfants juifs, rendus orphelins par la déportation de leurs parents, ont été séquestrés par le gouvernement de Vichy. Maintenus dans un sort indécis, leurs noms transmis aux préfectures, ils étaient à la merci des prochaines rafles.
Parmi eux, un groupe de petites filles. Mireille, Jacqueline, Henriette, Andrée, Jeanne et Rose sont menées de camps d'internement en foyers d'accueil, de Beaune-la-Rolande à Paris. Cloé Korman cherche à savoir qui étaient ces enfants, ces trois cousines de son père qu'elle aurait dû connaître si elles n'avaient été assassinées, et leurs amies.
C'est le récit des traces concrètes de Vichy dans la France d'aujourd'hui. Mais aussi celui du génie de l'enfance, du tremblement des possibles. Des formes de la révolte.
Cloé Korman est née en 1983 à Paris. Son premier roman, "Les Hommes-couleurs" (Seuil, 2010), a été récompensé par le prix du Livre Inter et le prix Valery-Larbaud. En 2013, elle a publié, toujours au Seuil, "Les Saisons de Louveplaine", puis "Midi" en 2018, et "Tu ressembles à une juive" en 2020.
Lire les premières pages : https://bit.ly/3wVw2Tu
Découvrir tous les romans de la rentrée littéraire des éditions du Seuil : https://bit.ly/3NQpKeq
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