Des clairières en attente

Il est une autre pratique que je qualifierais également de spirituelle sur laquelle je reviendrai davantage dans la suite de ce récit. Elle n'est pas sans lien avec cette expérience méditative silencieuse que je viens d'évoquer. Limportance du corps, et en particulier de la marche, y est essentielle. C'est celle de l'écriture poétique contemplative par laquelle j'ai ouvert ce livre. Deux, trois ou quatre fois par semaine, décider d'arrêter toute autre occupation, de mettre à l'écart les habituelles préoccupations et les soucis, pour tenter d'aller cueillir dans le silence de la nature les bribes d'un poème ou d'un chant, constitue désormais pour moi un exercice spirituel à part entière. II est devenu consubstantiel à mon être. Il est le témoin autant des ombres et des obscurités du chemin que des éclats de lumière et de joie qui zèbrent parfois mon ciel intérieur. Partager ensuite ces textes, par le biais des réseaux sociaux, est une pratique de pauvreté et d'humilité mais aussi de responsabilité : apporter sa petite note de beauté dans la nuit d'un monde qui doute et souvent se déchire est ma contri bution, si ce n'est quotidienne, du moins pluri-hebdomadaire à l'espérance... Ma petite goutte de colibri pour tenter d'apaiser l'incendie du monde.

Quelle aube se prépare, chère Magda,
bergère du courage,
familière de la joie ?
Au jardin de ton cœur
les arbres sont en fleurs
et les roses jubilent !
Tons ces jeunes fervents que tu as su convaincre
sont là qui te saluent.
La vie l'emportera sur les ombres tenaces :
comme toi ils se tiendront, courageux et debout,
enracinés dans la confiance,
pleins d'audace pour le jour qui vient.
Tu peux garder ton âme dans la paix,
tout ce que tu as semé germera
dans l'âme de ce monde :
ta foi et ta tendresse, le feu de l'espérance.
Tu rejoins tant d'amis, d'amies qui te devancent,
Etty dont le chant reste à jamais gravé
au fronton de nos nuits,
Christiane dont les derniers fragments
brûlent en nous d'une flamme qui ne s'éteint pas.
Nous sommes là silencieux,
nos mains posées sur les paumes de ton amour.
Nous sèmerons avec toi les graines de la vie,
nous ne lâcherons rien de l'affectueuse vigilance,
cet élan généreux que tu nous as appris.
Nous laisserons croître en nous tout ce qui ne meurt pas,
de tout notre être, nous servirons avec toi
les promesses du matin.
(poème pour Magda Hollander-Lafon)

Ma chance fut donc de rencontrer des amis qui, eux aussi, perçurent l'urgence et la nécessité de comprendre et d'accueillir de manière inédite une Parole qui ne se donne, ne se reçoit et ne s'accomplit que dans un certain souffle. La mise en œuvre d'une voie forcément singulière. La subjectivité n'est pas l'ennemie : elle devient le chemin. C'est aussi le signe d'une époque. Nul ne peut se contenter aujourd'hui d'être le sujet passif de quelque institution que ce soit pour la conduite de son existence. Dans la vie professionnele, syndicale, associative, politique ou religieuse, nous cherchons des manières nouvelles d'ètre à la fois des sujets conscients et de faire corps ensemble. Cela donne d'ailleurs une grande instabilité à toute forme de vie à sociale. Des initiatives récentes, telle celle des gilets jaunes, ne sont pas sans venir secouer la torpeur des organisations établies. Mais cela fait aussi de chacun un « auteur » : celui qui contribue à faire croître et grandir la conscience d'être de chacun. Cela, pour le bien de tous. Non pas à partir d'une place d'autorité solitaire, en surplomb. Mais au contraire, de manière participante et coopérative. (...)
En matière de vie ecclésiale, ces expériences groupales modestes dont je parle restent encore largement invisibles. Elles passent sous les radars d'une institution qui, plus que toute autre, résiste et campe sur ses positions d'une autorité fondée sur la mise à l'écart de quelques-uns : une "place d'exception" qui certes donne une forte stabilité au corps social

Il faut dire que mon entrée sur ce réseau social (Facebook) s'est faite sous les auspices d'un heureux parrainage. C'est l'amie Christiane Singer, dont je suivais régulièrement le groupe public dans lequel je partageais certains de mes poèmes, qui a constitué le premier noyau de lecteurs de ma page. J'ai gardé par la suite l'habitude de partager de temps à autre certains de ses textes, comme ceux de Christian Bobin ou d'Etty Hillesum. Voici trois auteurs qui m'accompagnent au fil de ce réseau, et m'aident à garder une ligne de poésie fidèle à l'accueil inconditionnel, à la passion l'homme, à la fidélité aux ressources inépuisables de la vie, quels que soient les obstacles et les circonstances. Tout en connaissant la grande diversité spirituelle de ceux qui me suivent, il m'arrive également de partager des témoignages particulièrement bouleversants : ils peuvent émaner des grandes traditions spirituelles humanistes, laiques ou religieuses. La référence à la culture chrétienne qui est la mienne y est présente mais sans exclusive. Surtout, elle se situe toujours dans un souci d'ouverture et de dialogue ayec toutes les autres sensibilités composant notre humanité : seule façon d'ailleurs pour elle d'être encore comprise si ce n'est toujours acceptée, tant des siècles de domination ont durablement imprimé dans les esprits, à son propos, la marque d'une redoutable revendication de suprématie.

La voix prophétique et mystique qui était celle de Jésus, n'a cessé de ressurgir au fil des siècles. Mais tant de rigidités ont fini par décourager les meilleures intentions et faire fuir le plus grand nombre. IIs avaient soif de désirs, d'espérance, de confiance et ils n'ont bientôt plus vu que jugements et condamnations. Mais, même en donnant le sentiment d'abandonner parfois le combat, ils n'ont fait au fond. pour beaucoup, que s'affranchir de tout ce qui les empèchait de retourner à la source. Ils se sentent disponibles pour écouter une parole neuve qui monte de leur propre fonds. Ils se retrouvent et se reconnaissent. Ils cherchent leur vie durant des clairières pour envisager un avenir pour eux-mêmes, pour l'humanité et pour la planète tout entière. Loin de s'arrêter au bord de la route, ils cheminent, dans la forêt des signes, en quête d'espaces fraternels où se reconnaitre. Ils savent qu' en se retrouvant là, présents. disponibles, croisant leurs doutes, leurs questions, et leur foi en l'avenir, ils constituent autant de pierres d'attente pour ce Royaume annoncé qui demeure en avant d'eux-mêmes. Ce sont les femmes et les hommes de l'archipel du sens, qui savent s'orienter d'îles en îles à la boussole du silence et de la Parole. Ou s'il leur arrive parfois de traverser un désert, ils ne négligeront jamais l'appel de l'oasis où les ont précédés des frères.