Partie sans me dire qu’elle m’aimait
Elle est morte sans me dire qu’elle m’aimait
Je veux m’allonger comme un soldat vaincu
menotté par le marécage de la lune, une étoile en laisse à la main
et dans la bouche, un mot imprononçable
La journée est un bateau luisant dans l’improbable
Et la lumière se précipite dans un « je ne sais quoi »
La mort de ma mère est un mirage d’oiseaux infirmes
une terre qui émigre au pays de la sécheresse
Elle m’attend là-bas avec un sourire extravagant
Les mots sans origine
se brisent en moi
comme des nuages affolés
Il faut que je m’adresse à elle :
Tu vois, je fabrique un vent doux pour tes cheveux
et pour ton départ éternel
que des milliers de juments
veillent sur tes cendres
Tu gis à présent entre des feuilles et des soupçons de mort
Alors ne tousse pas, ne prie pas, ne meurt plus
Sache que la poussière dans ta bouche est déjà mienne
Un jour je reviendrai vers toi
portant le fardeau d’un vent léger
et j’arrimerai les bords flottant de ton attente
sans peur
je m’accrocherai à l’empreinte de tes pas
prêt à sauter à la gorge de la mort
Je ne veux pas regarder en arrière
je veux simplement
m’élancer avec toi.
// Salah Al Hamdani, Iraq, (1951 -)
/ Traduit de l’arabe par l’auteur et Isabelle Lagny
L'amitié
Il y a cette chose que je voudrais te dire
mais que je ne te dirai pas
pour ne pas te faire souffrir
Il y a cette chose que tu voudrais me dire
mais que tu ne me diras pas
pour ne pas me faire souffrir
Il y a cette chose
que je ne te dis pas et qui me fait souffrir
Il y a cette chose
que tu ne me dis pas et qui te fait souffrir
Nous restons côte à côte
sans tomber
bringuebalants sur la crête
jusqu’au bout du chemin
jusqu’au précipice
d’où nous pourrons nous relever.
(Terez Bardaine)
Lettre à ceux qui ne me liront jamais
(5)
J’ai choisi de vous écrire
pour vous tenir compagnie
C’est idiot n’est-ce pas
vous avez faim vous avez froid
tout vous manque
vous marchez droit devant
vers un quelque part
qui n’existe pas
Et je vous offre des oiseaux de papier
Un peu de mourir plié
sur la fenêtre d’un livre
C’est idiot n’est-ce pas
de passer sa vie à çà
oui
Mais j’ai besoin de vos yeux
et de mes mains pour attraper
votre regard
Qu’un peu de je
devienne nous
dans la neige
hurlante du papier
// Dominique Sampiero France (15/11/1954 -)
Lettre à ceux qui ne me liront jamais
(1)
Tandis que la lumière
remue de toutes ses forces
derrière la fenêtre
je fouille du bout des mots
le fruit noir des nuages
dans votre tête
Fermez les yeux
J’ai choisi de vous écrire
Que quelqu’un
accepte de vous lire cette lettre
à voix haute
Que quelqu’un
vous serre entre ses bras
avec sa voix
// Dominique Sampiero France (15/11/1954 -)
Lettre à ceux qui ne me liront jamais
(2)
Je parle aux vivants et aux morts
sur la même ligne
entre ma main et mon front
Du vent fermente
au fond de nos souvenirs
de senteurs gonflées de présences
et de lilas
Vous le savez :
l’enfance se souvient de nous
dans les moindres détails
Laissons-nous faire
par son regard
jusqu’au tremblement
// Dominique Sampiero France (15/11/1954 -)
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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