Anecdotes et tranches de vies d'un taximan.
Si on y réfléchit, choper un taxi et lire un livre c'est pas mal de points communs.
1. Soit tu sais avec qui tu montes et dans ce cas-là tu y va un peu les yeux fermés, soit celui qui est aux commandes est tout nouveau et y'a cette curieux mélange de curiosité mâtiné d'excitation avec une petite pointe d'appréhension : Comment ça va se passer, est-ce que ça va rouler ?
2. le voyage. Tout peut s'y passer. Dialogue classique ou intérieur, bonnes ou mauvaise rencontres, péripéties, longueurs, accidents de parcours, perte du fil rouge, nids de poules et rebondissement. le voyage peut être tout confort ou au contraire chaotique. Trop court ou longuet. Parfois on aimerait qu'il s'éternise et d'autres fois on aimerait arriver au bout le plus vite possible.
3. Et puis arrive la digestion de ce voyage. Elle peut-être rapide, voire instantanée, prendre plusieurs jours, se faire rétrospectivement. Une fois la dernière page ou la porte refermée on peut se sentir esseulé, tourneboulé, groggy, ou alors libéré, ragaillardi ou impatient de passer à autre chose c'est selon.
Ici
Dege Legg, zikos sans contrat, choisit d'conduire à travers la Louisiane, en service de nuit pour la faune en ayant besoin. 5 ans derrière le volant avec des oiseaux de nuits de tout genre, du rapace aviné à la colombe surmaquillée. Mais restons honnêtes, on tombe rarement sur la crème de la crème sans grumeaux aux heures tardives.
Ici donc les passagers sont souvent des crackhead, de la viande saoule, de la prostituée, des humains fous ou en passe de le devenir. Armé de sa cible, il reste en lien avec les régulateurs qui lui refilent les courses qu'il doit honorer chaque nuit. Les humains défilent et si les visages deviennent flous, comme pour tous ceux qui en rencontrent à la pelle, lui imprime pour l'éternité – ou jusqu'à ce que son dernier lecteur l'ait oublié – certaines rencontres. Tout ça grâce à un calepin qui lui permet de sauvegarder l'exactitude de ces tranches de vies. Alors y'a du beau, du sale, de l'émouvant, du gerbant, de l'excitant, du craignos, du somnolant.
On y trouve un peu ce qu'on veut mais surtout son comptant de misère humaine et pourtant par son oeil et son coeur plein de bonté les rencontres une fois passées à l'eau forte de la plume de Dege se révèlent lumineuses catalysées par un optimisme qui pointe toujours le bout de son nez dans la lucidité désabusée ambiante.
Ca reste léger malgré le côté dramatique de l'intoxication manifeste de la plupart des voyageurs, ça se croque avec envie et c'est difficile à lâcher autant que plaisant à temporiser pour pouvoir mieux y revenir. Une vraie lecture sui transporte dans les bas fond d'une Louisiane qui n'invite pas au voyage.
Ravi d'avoir découvert l'bonhomme, son lyrisme, son taco et sa clairvoyance de l'âme humaine malgré les nuits poisseuses qu'il traverse à bord de taxis aussi à bout de souffle que ses passagers. Un témoignage vibrant.