J'ai toujours eu un doute sur la qualité des oeuvres auxquelles on attribuait des prix littéraires et cette règle n'échappe pas à l'univers du polar avec cet Edgar 2013 du meilleur roman décerné à
Dennis Lehane pour son dernier roman
Ils Vivent la Nuit. On est en droit de se demander si ce n'est pas pour ses ouvrages précédents comme
Gone Baby Gone,
Ténèbres Prenez-moi la Main, Shutther Island,
Mystic River et
Un Pays à l'Aube que Dennis Lehanne a été récompensé cette année. Mais alors n'aurait-il pas été plus judicieux de lui donner l'Edgar « Grand Maître » qui récompense l'ensemble d'une oeuvre plutôt que lui octroyer une distinction pour un roman qui est certes assez bon, sans toutefois atteindre le niveau que l'on peut attendre de la part d'un des grands auteurs du polar américain.
Avec
Ils Vivent la Nuit,
Dennis Lehane se penche à nouveau sur la fatrie Coughlin qu'il nous avait présenté dans
Un Pays à l'Aube. En 1926, période faste de la Prohibition, la ville de Boston est gangrénée par la corruption et les luttes de pouvoir intestine de la pègre. C'est dans ce milieu qu'évolue le plus jeune des frères Coughlin, prénommé Joe qui décide d'embrasser la carrière de gangster au grand dam de son père, officier de police respecté bien que corrompu. Après un séjour en prison où il fait ses classes auprès d'un vieux parrain de la Mafia, Joe va se rendre à Ybor en Floride pour mettre en place tout un empire
clandestin qui prendra de plus en plus d'essort. Au gré des alliances, des trahisons Joe Coughlin va se faire une place dans ce monde interlope des trafiquants et découvrir, en toile de fond historique, par l'entremise de la belle Graciella, les prémices des remous révolutionnaire qui vont secouer l'île de Cuba.
Avec l'annonce très rapide du rachat des droits du livre afin de l'adapter au cinéma on est en droit de se demander si ce roman, contrairement au trois adaptations précédentes (
Mystic River,
Gone Baby Gone et
Shutter Island) n'a pas été rédigé en prenant en compte les canons d'Hollywood. Car
Ils vivent la Nuit est un roman extrèmement prenant sur le plan de l'intrigue et très percutant au niveau des dialogues admirablement bien ficelés qui se lit d'une traite sans que l'on ne s'en rende compte. Mais pour y parvenir, on ne peut s'empêcher d'avoir cette sensation de lissage qui se traduit notamment au niveau du personnage principal. Car Joe Coughlin est certes bien un truand, mais pour un gangster d'envergure le personnage est emprunt d'une morale et d'une éthique qui ne colle pas avec le cadre dans lequel il évolue. Joe bien trop noble, tue parfois des hommes, mais ceux-ci sont de tels véritables salauds que son honneur reste sauf et c'est bien dommage. Pas de dilemme ou de choix cornelien pour ce jeune héro qui n'aura donc pas l'envergure des nombreux personnages qui ont habité les histoires de
Dennis Lehane. Où sont donc passés ces âmes torturées comme Jimmy Marcus ex-truand et père ravagé par la perte de sa petite fille dans
Mystic River ou Teddy Daniels habité d'une sombre folie dans
Shutter Island et même Patrick Kenzie contraint de prendre une décision douloureuse dans
Gone Baby Gone ?
Cette sensation de lissage on peut également la retrouver sur le plan historique où les heures sombres de la Prohibition sont abordées d'une manière plutôt édulcorée. le récit y gagne peut-être en clarté au détriment de sa dimension dramaturgique. Tout y est trop simple, presque manichéen. Pour un peu l'auteur, plutôt que de déconstruire le mythe à la manière d'un
James Ellroy, nous présenterait même les trafiquants d'alcool comme des gens ayant oeuvrés pour la santé public du pays. Un roman plus simpliste donc qui tranche avec son précédent opus,
Un Pays à l'Aube habité d'une part obscure et d'un souffle épique que l'on peine à retrouver dans ce dernier roman. On le ressent particulièrement lorsque l'auteur évoque les personnages réels qui peuplent son récit à l'instar d'un Lucky Luciano assez terne qui manque singulièrement d'envergure.
De belles images de carte postal, de « braves » gentils et de « vilains » salopards,
Ils Vivent la Nuit s'attache à respecter les codes des histoires de gangters et sera donc un roman facilement adaptable au cinéma, mais est-ce que cela sera suffisant pour en faire un bon film ? A force de côtoyer les sirènes d'Hollywood,
Dennis Lehane n'est-il pas en passe de céder son âme au diable. Gageons qu'il n'en sera rien. Il ne reste plus à Ben Affleck, acquéreur des droits de
Ils Vivent la Nuit, qu'à nous séduire comme il l'avait fait en réalisant
Gone Baby Gone
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