"
Ils vivent la nuit" ou le crépuscule de deux écrivains jadis brillants :
Dennis Lehane et
Stephen King.
Commençons par
Lehane.
Il reste l'auteur de romans policiers remarquables comme "
Mystic River" ou la série des Kenzie/Genaro et d'une relecture enthousiasmante de l'histoire des Etats-unis, avec "
Un Pays à l'aube".
Mais depuis, il faut reconnaître qu'il accumule les romans moyens.
"
Moonlight Mile" mettait un point final indigne à la série précitée et aujourd'hui, "
Ils vivent la nuit", ne rassure pas davantage. Ce n'est pas un mauvais roman en soi, mais il déçoit les attentes et c'est peut-être pire.
Au début, on est pourtant rassurés de retrouver comme personnage principal, le petit Joe Coughlin qu'on avait quitté au sein de sa famille dévastée, à la fin d' "
Un pays à l'aube" (précisons quand même que si le lecteur habituel de
Lehane y trouve un point de repère, ce roman se lit très bien de manière indépendante).
On s'attend donc logiquement, à un roman de la même veine, passant l'histoire au travers des grilles de lecture politique, sociale et économique.
Mais non, à peine, paresseusement.
Nous sommes toujours à Boston, en 1926 et la prohibition enrichit la pègre.
Joe, fils et frère de policiers a choisi en grandissant, la voie des "hors-la Loi", vivant de hold-up moyennement ambitieux, louvoyant entre les intérêts des parrains locaux..
Le hasard d'une rencontre avec une femme qui l'obsède (et qui accessoirement, est la maîtresse d'un de ces parrains), le fera tomber dans le cycle de la violence qui le conduira à gravir presque malgré lui, les marches du pouvoir mafieux. L'enchaînement des circonstances, accéléré par un passage à la "case prison" va lui faire franchir la frontière ténue entre le monde romantique du voyou quasi gentleman cambrioleur et celui du gangster avec du sang sur les mains.
Et c'est là que le bât blesse.
Ce livre souffre à mon avis, de deux défauts principaux.
En premier lieu, si
Lehane conserve un style qui le place facilement au dessus de la mêlée, il a quand même du mal à donner du souffle et de l'originalité à un récit qui accumule, les poncifs du genre vus et lus cent fois, des "Affranchis" au "Parrain", de manière totalement prévisible. Même l'apparition de Lucky Luciano et Meyer Lansky sonne dans ce contexte, comme un aveu de manque d'inspiration.
Là où
Ellroy sur des sujets équivalents a su, même avec excès, s'approprier l'époque et les personnes et les triturer jusqu'à l'os,
Lehane ne délivre qu'un parcours de truand désabusé, assez fade, parsemé de quelques références obligées. Son roman a pour héros un truand malgré lui, mais qu'on sent malgré tout, rarement déchiré. C'est une sorte de Michael Corleone velléitaire, un centriste du crime organisé.
Ensuite, le découpage en trois périodes adopté, est bancal.
Autant la partie bostonnienne (1926-1929) est rythmée et intéressante, autant la période consacrée à son ascension dans la petite ville de Tampa en Floride (1929-1933), souffre de longueurs et d'invraisemblances (le vol d'armes à la Marine des EU ou l'épisode inutile de la "Madone" d'Ybor !).
Quant à la troisième partie (1933-1935), elle semble curieusement accélérée, comme si
Lehane souhaitait conclure rapidement une histoire qui ne l'intéressait plus, pour nous mener vers une fin que tout le monde avait anticipée, tant elle était prévisible.
Et j'en arrive maintenant au 2ème écrivain qui semble tout aussi perdu.
Mais à quoi pensait
Stephen King cité en 4ème de couverture pour affirmer que "
Ils vivent la nuit, c'est le Parrain pour ceux qui savent penser" ?
Compte tenu de ce que j'évoque plus haut, je m'interroge : si le roman de Puzzo -pourtant autrement plus puissant, était destiné aux imbéciles, à qui donc s'adresse celui-ci ?
Reste quand même un bon livre avec par moments, le retour de la magie "
Lehane, au détour d'une phrase, comme celle ci, retraçant un dialogue entre Joe et Dion, son bras droit (et peut être le personnage le plus intéressant) :
" La nuit. On ne s'en lasse pas. Si tu vis le jour, tu suis les règles de la société. Nous on vit la nuit et on suit les nôtres.
Le problème, Dion, c'est qu'on a pas vraiment de règles."