Affamée avec un E.
C'est ce que ressent Edie, jeune afro-américaine de 23 ans dans tous les sens du terme.
Affamée d'hommes,
affamée de sexe,
affamée d'amour,
affamée d'affection,
affamée comme "ayant faim",
affamée de confort , de moins de précarité, de plus de gentillesse autour d'elle, de rapports humains, de collègues gentils, de coloc' amie...
Ayant entamé une relation avec un homme marié , ayant perdu son job, n'ayant aucune ressources, mise à la porte de son appartement new-yorkais, elle va se pointer chez son amant sans prévenir, dans le New-Jersey . Et s'en suivra une étrange cohabitation avec sa femme, avec sa fille adoptive , puis avec lui revenu d'un voyage professionnel.
Eux quatre, comme une gentille petite famille... Un équilibre incertain, fragile, bizarre, glauque, étrange...
Une cohabitation aux contours flous, une "amitié" avec la femme. Une relation de " grande soeur" avec la fille adoptive (black comme elle). Une gamine black avec des parents blancs, une gamine black dans un monde blanc. D'ailleurs , n'est-ce pas pour ça que l'épouse , détachée et pragmatique, lui a demandé de rester, pour la "coacher " en black attitude ? Une baby-sitter tombée du ciel ! Une nounou d'enfer...
D'ailleurs lui-a t-on demandé de rester ? Cohabitation aux contours flous... Chambre d'amis. Relation adultère avec permission (floue) de l'épouse.
Un truc bien malaisant, bien sordide, qui ne l'est pas tant que ça quand on lit cette histoire, car l'écriture est belle.
Crue parfois, mais les passages sont si brefs. Ils arrivent aux détours d'une phrase quand on ne s'y attend pas .
Edie n'est éditrice jeunesse qu'au début, sa vraie passion étant le dessin et la peinture, qu'elle continuera chez Eric et Rebecca. et ces passages sur la création donne du charme à l'histoire, une originalité de plus.
Histoire d'une jeune afro-américaine en butte au racisme ordinaire, celui des petits regards, des petites réflexions faites parfois dans la plus grande "innocence".
Des fois , ça énerve, des fois ça glace ou ça révolte, mais parfois ( je dis bien parfois ! ), j'ai trouvé que cette dénonciation du racisme "ordinaire" n'avait pas sa place.
Si la fille adoptive black ne sait pas se déméler les cheveux, ce n'est pas une histoire de couleur de peau, c'est que sa mère est une quiche et ne s'occupe pas (bien ) d'elle. D'ailleurs , elle ne voulait pas adopter...
Si Edie se fait renvoyer de son boulot, ce n'est pas parce qu'elle est black , mais parce qu'elle saute sur tout ce qui bouge.
J'ai compté 15 relations sexuelles sur son lieu de travail, dont certaines ont duré ou recommencé après une brève interruption . Forcément ça énerve la direction ! Et si elle n'arrive pas à se lier à ses collégues, si elle n'a pas d'amies, si elle cherche ses mecs sur le site "sugardaddy" (réservé aux relations entre filles jeunes et mecs vieux) , ce n'est pas parce qu'elle est black, c'est parce qu'elle est déglinguée par une éducation de merde , des parents déglinguées par la drogue ou la guerre ... Tout n'est pas qu'histoire de couleurs dans ce livre, mais plutôt histoire de pauvreté...et j'ai trouvé que la "démonstration" de la position de victime, du coup , perdait en crédibilité. le caractère d'Edie fait que ce qui lui arrive n'est pas "un état des lieux" d'une génération afro-américaine vivant dans une société de blancs.
En ce sens , je suis déçue. C'est ce que j'étais venue chercher dans ce roman : qu'est ce qu'être une femme, jeune , afro-américaine dans l'Amérique d'aujourd'hui ?
Il n'y a pas une réponse, il y en a pleins, Edie est l'une d'entre elles.
Mais Edie est trop glauque pour moi...
C'est deux histoires qui se télescopent et fusionnent : celle d'une jeune afro-américaine et celle d'une jeune fille, paumée, ultra seule, et pauvre.
Et l'intérêt est là...
Raven Leilani tirant à blanc sur la société de son pays..Qu'est ce que naître pauvre aux USA ?
C'est la société américaine dans son ensemble, dans son modèle capitaliste qui est flippante. Edie perd son job, Edie vient d'une famille pauvre, Edie n'a pas d'économies, donc elle perdra tout . Pas d'allocations chômage , pas d'assurance maladie... Edie vit dans un quartier à NY qui a un très fort taux de viols...
Edie est seule, sa solitude est vertigineuse, abyssale.
Du coup Edie est
affamée.
Affamée avec un E...
Edie est prête à faire n'importe quoi, Edie est prête à tout accepter, Edie ne voit pas trop ce qui est bien pour elle.
Mais Edie a tout de même un grand sens de l'auto conservation. Edie tombe bien bas, et ne pourra que remonter.
Edie n'avait pas d'autres choix que cette hospitalité, mais eux, ce couple de blancs, qu'est ce qu'ils avaient à y gagner ? Eux ont le choix...
Affamé (s)?
Etrange histoire servie par une jolie plume que j'ai découverte grâce à Babelio et aux Editions
Cherche Midi dans le cadre d'une Masse critique privilégiée. Merci à eux...