Tamara est moribonde. Calcinés par des décennies de tabagisme, ses poumons arrivent à bout de souffle. Avant de mourir, la vieille baronne parisienne confesse, par écrit, le secret d'un amour qu'elle a éprouvé toute sa vie pour un homme qu'elle a connu plus de soixante ans auparavant. Elle revient sur son enfance misérable dans la campagne Tchécoslovaque, entre une tante mythomane et un oncle pervers, sa fuite à Prague dans l'espoir de retrouver sa mère, puis les mois de prostitution alors qu'elle n'est encore qu'une adolescente, d'abord dans des taudis sordides puis dans un camp d'entrainement de volontaires français engagés dans la Waffen SS.
En introduction, Tamara explique comment, arrivée à Paris juste après la guerre, seule et sans ressources, elle a séduit presque malgré elle un riche et noble banquier parisien d'une timidité maladive, dont le seul acte de révolte envers un père humiliant et intolérant fut de l'épouser. L'amour inconditionnel et désintéressé qu'il éprouvait pour elle ne s'est jamais démenti, alors que Tamara, bien que respectant profondément cet époux bon et fidèle, resta sa vie durant consumée par sa passion pour un soldat SS dont elle avait laissé le cadavre à Berlin.
Ce qui suit forme un contraste saisissant avec le confort et la richesse de son existence parisienne. Les souvenirs de jeunesse de Tamara convoquent un univers glauque, dangereux et violent, où elle a perdu son innocence bien trop tôt. Confrontée dès son plus jeune age à la bestialité de l'homme, elle a appris, pour survivre, à mettre sa dignité entre parenthèses, subissant avec une étrange passivité les pires abjections.
Le ton employé par l'octogénaire est d'emblée prenant. Elle s'exprime avec une clairvoyance cynique qui parvient à mêler poésie et crudité, élégance et gouaille. La profusion d'images et de jeux de mots donne à l'écriture un rythme enlevé, rend la lecture aisée, très évocatrice. La dimension irrévérencieuse, par moments populaire, du discours de la baronne, donne vie à son histoire. Elle a roulé sa bosse -et c'est un euphémisme-, elle est de celles à qui "on ne la fait pas", et porte sur la plupart de ses semblables un regard acéré et quelque peu amer. Elle n'est guère plus tendre avec elle-même, le bilan de sa vie se révélant finalement pitoyable. Hormis le droit qu'elle se donne de considérer le monde avec cette désillusion sarcastique, et le souvenir de cet amour bref et étrange, que lui a apporté l'existence ?
Malheureusement, j'ai trouvé qu'assez rapidement, le texte tournait à l'exercice de style. La redondance d'images parfois inappropriées (les nazis "adeptes de la parthénogenèse tels de vilains triops" m'ont laissé rêveuse un bon moment) ou superflues (je n'ai toujours pas compris par exemple pourquoi elle se sentait obligée de préciser, en mangeant des escargots, qu'ils "bavent trop pour ne rien dire") amoindrit la portée et la justesse du récit, et lui confère par moments une certaine lourdeur.
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