Thierry Lentz est devenu le spécialiste incontesté de l'histoire du Consulat et du Premier Empire. A l'origine de la prise de pouvoir par
Napoléon Bonaparte, il y eut un coup d'Etat les 18 et 19 Brumaire (9 et 10 novembre 1799), qui, notons-le, et
Thierry Lentz le souligne assez, ne fit aucun mort.
Comment aboutit-on au résultat final : l'adoption d'un régime fort, celui du Consulat, qui devait profiter à
Napoléon Bonaparte seul ?
Il y eut un grand perdant dans l'affaire, celui qui avait tout organisé et espérait être le grand bénéficiaire de l'opération : SIEYES. Cet abbé sans la foi s'était illustré dès le début de la Révolution en publiant une brochure intitulée : Qu'est-ce que le Tiers État ? Il avait traversé toute la tourmente révolutionnaire en navigant à vue entre les écueils, gagnant au passage sous la plume de
Robespierre le surnom de "Taupe de la Révolution". En juillet
1794, au lendemain de Thermidor et de la cessation du régime de la Terreur, il recommença ses manoeuvres, et, profitant de ce que le nouveau régime, le Directoire, avait à s'ouvrir un chemin entre les extrêmes jacobins et royalistes, il se rendit rapidement influent, en organisant ou soutenant, chaque fois que le régime était menacé par une assemblée où l'un de ces camps dominait, des coups d'Etat qui permettaient aux autorités très contestées du Directoire de garder la main : ce furent les journées du 18 fructidor an V (septembre 1797), du 18 floreal an VI (1798) et du 30 prairial an VII (18 juin 1799). Chaque fois SIEYES gagna en importance, se rapprochant toujours un peu plus d'un pouvoir qu'il espérait pouvoir exercer seul un jour, avec dans ses cartons un projet de nouvelle constitution qui permettrait de terminer la Révolution sur un mélange de protection des grands acquis de la Révolution (défense de la propriété privée bourgeoise camouflée sous des dehors de liberté pour tous, mais ennemie de l'égalité absolue) et l'instauration d'un pouvoir personnel autoritaire. SIEYES pensait qu'un dernier Coup d'Etat destiné à renverser le Directoire était nécessaire, et il voulait pour cela s'appuyer sur un militaire pour renverser le pouvoir devenu fragile et défaillant. Il approcha plusieurs généraux mais ils se dérobèrent ou ne firent pas l'affaire. Et, faute de mieux, il se tourna vers
Bonaparte, croyant qu'il pourrait s'installer à la tête de l'Etat grâce à la courte échelle que lui ferait ce jeune général ambitieux dont il s'agirait juste de flatter la vanité. Il se trompait évidemment sur
Napoléon Bonaparte. Celui-ci, aidé par son épouse,
Joséphine de Beauharnais, qui sut gagner au jeune général le soutien des milieux d'affaires et d'influence du fait qu'elle les connaissait bien pour avoir été l'une des favorites de Barras, l'un des principaux membres du Directoire, tira facilement son épingle du jeu, malgré un début laborieux. SIEYES et Ducos démissionnèrent de leur poste de Directeurs et entraînèrent Barras par leur exemple. Moulin et Gohier firent quelques difficultés mais on les mit sous surveillance. Restait à agir sur les assemblées, Conseil des Anciens et Conseil des Cinq-Cents, instances déplacées pour la circonstance du palais des Tuileries au château de Saint-Cloud sous prétexte de sûreté.
Bonaparte engagea mal son affaire, ne réussissant pas à convaincre les Anciens et ouvertement conspué par les Cinq-Cents qui, devinant la manoeuvre, décidèrent de prêter un serment de fidélité à la Constitution menacée.
Napoléon semblait quelque peu dépassé par les événements :
Thierry Lentz le met bien en évidence. Il fallut l'intervention de son frère Lucien, alors président de séance, pour retourner la situation. Lucien se saisit d'une épée de militaire qu'il pointa sur la poitrine de
Napoléon et devant les troupes commandées par Murat, il s'écria : "Soldats, je jure de percer le sein de mon propre frère si jamais il porte atteinte à la liberté des Français !" On résolut alors de chasser du lieu où ils débattaient les parlementaires qui voulaient maintenir en place le régime impuissant des Directeurs maintenant sous contrôle. Ils s'acquittèrent magnifiquement de cette tâche, mais furent aussi chargés de rattraper tout de suite quelques-uns des élus expulsés pour qu'ils votassent l'enrerrement du Directoire honni. C'est seulement à la suite de ce coup de force rendu légitime par un semblant de respect des procédures légales que fut institué un Consulat provisoire avec SIEYES, DUCOS et
BONAPARTE. Mais ce n'était qu'une solution provisoire, et SIEYES qui espérait bien devenir le maître du jeu en se faisant désigner Grand Électeur, se retrouva bientôt le dindon de la farce. le régime consulaire et la constitution de l'An VIII sacrèrent en réalité
Napoléon BONAPARTE qui fit semblant de partager le pouvoir avec CAMBACERES et LEBRUN. Contrairement à la légende, la confiance accordée au nouveau maître de la France fut cependant limitée puisque seulement 20 % des inscrits ratifièrent par un plébiscite l'adoption de cette constitution consulaire en 1800.
Thierry Lentz fait aussi litière d'une autre légende, celle d'un complot des poignards tenté par quelques membres du conseil des Cinq-Cents contre le général
Bonaparte au moment où il se présenta devant eux. Nul n'en voulait à sa vie et les contestataires avaient juste décidé de le mettre hors-la-loi, projet qu'ils ne purent mettre finalement à exécution, car les
Bonaparte et Murat surent alors réagir dans les temps.
SIEYES n'eut plus droit après cela qu'à un os à ronger :
Napoléon, devenu Empereur des Français en 1804, fit de lui le président d'un Sénat plus ou moins à la botte du nouveau souverain, qui termina la Révolution à sa manière.
François Sarindar, auteur de :
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010).