Si habituellement, je porte une relative importance aux couvertures des livres, celle du livre de
Yiyun Li ne m'a pas dérangée. Son titre suffit à attiser curiosité et tendresse à son égard. «
La douceur de nos champs de bataille » : comment la douceur pourrait-elle flirter avec la brutalité des champs de batailles ? La poétique plume de l'auteur a réussi à ajouter du possible à ce qui nous semblait impossible, de l'agréable au désagréable, de la légèreté au tragique… Dès la lecture des premiers chapitres, ce roman devint mon évidence. Il allait me plaire, j'allais le savourer et me délecter de ses si belles tournures de phrases. Je l'ai dévorée, en à peine une matinée. Rien d'étonnant à cela ! Il réside dans ce roman, un vrai style d'écriture. Un style « signature ». Un style reconnaissable parmi vingt, trente, quarante, des centaines d'auteurs.
Il s'agit là d'un roman complet. Il parle de deuil, de parentalité, d'enfant précoce, d'amitié… Il nous fait nous questionner sur de nombreux sujets. Il nous sort de nos sentiers battus, de nos zones de confort. C'est un roman prise de conscience mêlé à un jeu d'adjectifs, d'oxymores et de comparaisons. Nikolai, adolescent précoce, s'est enlevé la vie pour se donner la mort. Parce que vivre lui devenait trop difficile, il a choisi de s'offrir le repos éternel. Et c'est dans ce repos que nous le découvrons. Omniscient et doté d'une belle répartie, il est le personnage principal tout simplement parfait. Cette perfection même qu'il ne pensait jamais atteindre en vie… L'auteure met bien en avant les « obsessions » des enfants précoces avec Nikolai, obnubilé par la perfection et les adjectifs. Des enfants qui ont, parfois, du mal à « éteindre leur cerveau » … Ne serait-ce que pour dormir. du mal à trouver leur place dans un monde qui ne leur semble pas tourner rond. du mal à être au-dessus des autres… Parce qu'être meilleur ne signifie pas être LE meilleur.
Si pendant un moment, je me suis demandée comment cette mère pouvait entretenir cette discussion avec son enfant disparu, j'ai vite arrêté de me poser cette question. Cet enfant n'était pas disparu, il était ailleurs, quelque part qui nous est inconnu dans un espace-temps qui l'est également. Il pouvait très bien être ici, comme ailleurs, car personne ne détient les règles de cet espace-temps. Personne à part lui et sa mère. « Les gens pensent ce qu'ils veulent. Ils ont peur de la mort, ils ont peur des morts et ils ont peur des choix originaux » : j'ai choisi d'honorer leur invitation et de pénétrer entièrement dans leur monde. Sans critique, sans jugement. Une mère a le droit d'ajouter du temps au temps pour profiter de son enfant. Même si « le temps, c'est comme l'argent et qu'on dépense parfois ce qu'on n'a pas ». Parce qu'il est toujours plus doux de se disputer et de débattre avec son enfant, plutôt que de le perdre brutalement.
L'auteure n'a aucun mal à nous faire parvenir son ressenti, à éveiller nos propres sentiments, à bousculer nos certitudes, à apprivoiser nos questions … Elle n'abuse pas de lamentations pour émouvoir son public. Elle n'a fait que poser les adjectifs qu'il fallait pour que ses phrases prennent tout leur sens. C'est, à mon sens, de la vraie belle littérature. Des citations, j'en ai relevé des dizaines : une preuve de haute qualité. Oui, bien sûr, ce n'est pas un texte particulièrement simple. À son image, il faut prendre le temps de le réfléchir, de le comprendre et de l'accepter. En refermant ce roman, on a l'impression d'être grandi grâce aux côtés philosophiques et intelligents des écrits. Malgré la dureté des faits, cette histoire a la faculté d'apaiser le lecteur par sa poésie. On se sent aussi léger qu'après une méditation. La poésie de ce dialogue entre la mère et le fils m'a émue, leur amour m'a renversé, leur intelligence m'a scotché, leur écriture m'a bouleversé … Leur souvenir me marquera, à jamais, pour toujours, éternellement, indéfiniment !