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EAN : 9782749211312
214 pages
Erès (22/10/2009)
4.5/5   6 notes
Résumé :

« Une fermeture ou des licenciements ne constituent pas seulement des faits quantifiables : nombre d'emplois perdus, nombre de personnes reclassées, mises en préretraite, indemnités financières, formations offertes, déménagements éventuels. Ils représentent autant d'épreuves, de ruptures, de traumatismes, de pertes - de repères, d'identité - qui s'effacent derrière les impératifs é... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
En 1993, l'usine de montage automobile Chausson de Creil (Oise) est touchée par un plan social : plus d'un millier d'emplois – sur les 2 500 du site – sont supprimés, prétendument au nom de la compétitivité. L'année suivante, près d'un demi-millier de salariés prennent à leur tour la porte. Et, en 1996, c'est l'usine entière qui ferme définitivement ses portes...

Trois ans après, à l'initiative d'un expert en gestion auprès des comités d'entreprise et de Bernard Masséra, ancien secrétaire (CFDT) du CCE, une enquête est réalisée, visant à « démontrer aux décideurs politiques qu'on pouvait reclasser dans de bonnes conditions » et à moindre coût pour les deniers publics. Les initiateurs de cette enquête, désireux de « valider (le dernier) plan social qu'ils considéraient comme exemplaire (et) pressentant que des dimensions plus sociales devaient être prises en considération », s'adjoignent les services d'une équipe de quatre sociologues, qui vont réaliser des entretiens avec plus d'une centaine de personnes qui ont vécu la fermeture de leur usine. « Mais, au lieu de leçons d'exemplarités et de recettes à suivre, (les sociologues découvrent) des vies brisées, des souffrances encore présentes trois ans après, une population profondément meurtrie et à l'identité blessée » : pour le syndicaliste précité, c'est une révélation : « il n'imaginait pas que des salariés qui avaient bénéficié d'un si bon plan puissent en sortir traumatisés à ce point ». Cependant, « avide de comprendre, de découvrir cette partie de la réalité si décisive pour les salariés et qu'il n'avait pu percevoir alors qu'il était pris dans la logique de la confrontation, puis de la négociation, avec la direction, (il va) encourager (les sociologues) à aller jusqu'au bout de (leurs) analyses ».

Des analyses, rigoureuses mais d'un accès facile, on en trouvera donc dans cet ouvrage qui décortique le drame des « Chausson » ; mais elles sont entremêlées, et surtout nourries, des témoignages – toujours édifiants, et parfois poignants – des ex-salariés, et c'est ce qui rend passionnant « ce document qui se lit comme un roman ».

La force de cet ouvrage réside donc d'abord dans son origine, c'est-à-dire dans les réflexions des salariés ; en effet, quel qu'ait pu être le positionnement de ces derniers avant la fermeture de « leur » usine (résignation, alliance avec la direction, combat individuel, action collective), ils ont eu ensuite tout le temps de réfléchir au déroulement des événements, à leur attitude passée, ainsi qu'à leur situation au moment des entretiens avec les sociologues : leur parole n'en a donc que plus de force, et, mise en perspective par les auteurs, elle permet de saisir toute l'ampleur du drame.

Au-delà de la fermeture de cette usine – programmée en fait dans le secret dès 1991... – la lecture de ce livre se révélera riche d'enseignements pour tous ceux qui s'intéressent aux « procédures massives de licenciement ou de fermeture (qui) sonnent comme autant de dévalorisations publiques de la compétence et des capacités d'adaptation des salariés. Ils ne perdent pas seulement leur emploi, leurs projets, leurs repères, l'assurance d'une vie maîtrisée, mais ils perdent aussi leur dignité de travailleurs, leur estime de soi, leur sentiment d'utilité, celui d'être à leur place dans la société ».

Ce que cette enquête sociologique met en évidence, c'est qu'une « fermeture ou des licenciements ne constituent pas seulement des faits quantifiables (nombre d'emplois perdus, nombre de personnes reclassées et mises en préretraite, etc). Ils représentent pour les personnes concernées autant d'épreuves, de ruptures, de traumatismes, de pertes dont on n'a pas toujours conscience (…). Ce livre a pour ambition de faire le lien, précisément, entre des faits d'ordre économique, industriel, et les événements d'ordre individuel, personnel, qu'ils induisent. Parce que c'est un lien qui n'est que trop oublié alors que, paradoxalement, toutes les politiques modernisatrices misent sur l'individualisation à outrance ».

Vingt ans ans après la fermeture de l'usine Chausson, PERTE D'EMPLOI, PERTE DE SOI demeure plus que jamais d'actualité ; cet ouvrage salutaire et indispensable mérite l'intérêt du plus grand nombre.
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Le récit de la fermeture programmée de l'usine Chausson de Creil, décidée en 1991 et exécutée entre 1993 et 1996, en dépit des résultats économiques de l'entreprise, est analysé dans une perspective de sociologie du travail et surtout de psychologie individuelle et de groupe, s'appuyant sur un corpus fourni d'entretiens réalisés avec les ouvriers licenciés quelques années après la suppression de leur emploi.
L'accent est posé sur la souffrance subie, par la destruction du lien social outre que par la précarisation, nonobstant l'aspect matériel (le dernier plan social avait été négocié dans des conditions étonnamment favorables, sans doute inconcevables aujourd'hui, vingt ans plus tard).

Questions méritant réflexion :
- Malgré le milieu de travail fordiste en usine, la démotivation disparaît dès lors que la menace du chômage et de la précarité de masse est brandie ; la condition psychologique nécessaire à la démotivation est qu'elle ne soit pas subie, et que le cadre de vie soit organisé en conséquence ;
- En 2002 (année de publication de cet ouvrage), la tendance dominante des psychologues du travail représentée ici penchait encore vers "la plus-value subjective que dégage le travail" en termes de "qualité du lien social", et les remises en question de Dominique Méda (1995) et d'André Gorz (1988), "la fin de la valeur travail" pouvaient encore être balayées d'un revers de main comme : "un débat [...] particulièrement inapproprié [sic]" (p. 20).
- Si la littérature et la pratique managériale a toujours conservé une grande part de contradiction sur le taylorisme, peut-être depuis son application de mauvaise foi par Henry Ford, jusqu'à son épigone qu'est le "modèle Toyota", l'exaltation de la subjectivité, de l'éthique du travailleur, bref la motivation est mobilisée à grand renfort de chartes éthiques, règles de vie, projets d'entreprises non sans faire usage de penseurs classiques (Montaigne, Socrate, Tocqueville) : ces "dispositifs participatifs" constituent même "une véritable bataille identitaire engagée en France depuis le début des années 1980" (p. 30).
Aussi, la décompensation psychologique devient-elle d'autant plus brutale lorsque l'employé est confronté à l'imposture de l'asymétrie entre son engagement vis-à-vis du travail et celui de l'actionnariat à détruire ce dernier (souvent par le truchement de la ruse du management).

En tout cas, pour revenir à la centralité de la motivation (à la puissance de la démotivation) une cit. de P. Veltz (ex: L'autonomie dans les organisations : quoi de neuf ?, L'Harmattan, 1999) :
"Pour bien fonctionner, ces schémas d'organisation ont besoin non seulement d'acteurs rationnels mais d'acteurs vertueux. Autrement dit, l'efficacité technico-économique du modèle repose largement sur des comportements, individuels et collectifs, tels que l'honnêteté, la loyauté, la capacité d'établir et de maintenir la confiance, l'aptitude à entrer dans des dialogues et des coopérations partiellement désintéressés."

Il me semble qu'un facteur générationnel ou conjoncturel pourrait faire évoluer le système, passé un seuil de démotivation qui ne permettrait plus de réunir ces conditions nécessaires... Et Méda et Gorz auraient donc raison !
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Témoignage très instructif et très touchant. Une analyse de notre relation au travail.
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