Bon soyons clair si on dit 1492, bim
Christophe Colomb.... Découverte de l'Amérique
Un peu plus difficile, si on dit 1497, hop Vasco de Gama... Passage du Cap de bonne espérance
Et pour finir si on dit 1500, euhh Pedro Álvares Cabral.... Découverte du Brésil
Et enfin avril 2023, embarquement avec Antonio lobo antunes et son ouvrage "
Le retour des Caravelles". Alors certes je n'ai pas découvert l'Amérique, je n'ai pas découvert le Brésil.
Mais j'ai découvert mieux que ça, un auteur que dis-je un Auteur avec un grand A.
Quelle écriture, qui était pour moi inconnue, une profusion d'adjectifs, alternance du sujet Il devient je, une plume qui projette sur la page une écriture ciselée tel l'outil du sculpteur avec lequel aucun repenti n'est possible, un écriture dont la maille est si fine qu'elle laisse peu de place à la respiration.
Je le suis surpris à relire à plusieurs reprises les mêmes phrases, et vous pouvez faire l'expérience : ouvrez le livre à n'importe quelle page et lisez, relisez c'est hypnotique, on se laisse aspirer dans un tourbillon de mots qui semblent par moment incohérents, mais qui s'impriment en vous pour y retrouver une cohérence
"La première fois que Diogo Cão les a vues, c'est quand Sa Majesté a donné l'ordre d'organiser une ligne maritime régulière entre le Portugal et Amsterdam afin d'écouter en Europe les filigranes des orfèvres et la cannelle des Indes, et quand nous avons débarqué avec tous les bateaux indemnes, nous avons trouvé une ville pleine de philosophes polisseurs de lentilles qui circulaient dans les rues sur des
bicyclettes anachroniques. Nous avons vu des frégates argentines et des croiseurs turcs endormis dans le port, des petites vieilles qui regardaient d'un air étonné nos mousquets, nos parements en lin et notre façon de manger avec les mains, et la nuit, en se promenant dans la ville, le découvreur s'est retrouvé sur une avenue pavée de pentagones fluorescents et de reflets de canaux, avec des bars où l'on
buvait du genièvre à chaque porte et des vitrines éclairées qui montraient, renversées sur des fauteuils de chefs de tribus nègres, des femmes arborant des jarretières rouges qui faisaient onduler dans sa direction leurs nageoires de roussette."
D'ailleurs l'auteur le disait lui même : "Ecrire c'est beaucoup de choses, c'est comme un délire contrôlé, qu'il faut organiser d'une façon un peu rationnelle pour que le lecteur puisse entendre et vivre la même chose que vous."
Et dès les premières pages confusions des Caravelles : bateau ou avion. Et bien je vous réponds les 2 mon Amiral. Démonstration :
"Après sept mutineries sanglantes, onze assauts de baleines égarées, d'innombrables messes et une tempête qui avait tout des soupirs de Dieu dans ses insomnies rocailleuses, la vigie avait hurlé Terre, le maître d'équipage fixé sa lunette sur le gaillard d'arrière, et c'était bien la baie de Loanda, inversée par la réfraction de la distance, avec la forteresse Saint-Paul tout en haut, des chalutiers, une corvette de la flotte, des dames qui prenaient le thé sous les palmiers et des planteurs qui se faisaient cirer les chaussures tandis qu'ils lisaient leurs journaux aux terrasses des cafés, sous les arcades.
Et maintenant que l'avion se posait sur la piste à Lisebone, il restait pantois devant les immeubles d'Encarnação, les terrains vagues où se momifiaient des pianos démantelés et des carcasses rupestres d'automobiles, les cimetières et les casernes dont il ignorait le nom, comme s'il était arrivé dans une ville étrangère à laquelle manquaient, pour qu'il pût la reconnaître comme sienne, les notaires et les ambulances de dix-huit ans auparavant."
Alors soyons clairs, des allers-retours entre le livre et l'Histoire du Portugal sont nécessaires afin de replacer les personnages dans leur contexte historique, et là c'est comme les pièces d'un puzzle qui s'assemble et l'on sent s'installer ce qui semble être le retour des colons partis en héros et au final que leur reste t-il : Rien.
"Une fois passées les falaises de la Boca do Inferno sur lesquelles venaient s'empaler des bateaux de pêche égarés sous une pluie de thons et de sardines, ils abordaient à une terrasse de café paisible pour faire un repas d'octogénaires qui, étant donné leur âge, se réduisait à des crêpes, des panades et des purées, après quoi, accroupis sur un rocher, exposés à la haine des bergeronnettes des précipices, ils dissertaient sur les voyages, les talents cachés des Chinoises et les affaires du royaume. le roy Manoel, sa couronne posée sur ses genoux, se grattait le creux de la fontanelle du bout du doigt et se plaignait de cette vie de misère, Ah ! dis donc, mon vieux, tu te rends compte comme on a vieilli sans même s'en apercevoir, tu te rends compte qu'on n'est plus bons à rien, [..]
Un pays qui n'est plus que l'ombre de lui même, bien loin de l'image de ces grands découvreurs dont ils semblent endosser l'identité avec pour point de ralliement "l'Apôtre des Indes", un nom prédestiné.
J'ai toujours été un amoureux des mots et là je doit bien avouer que l'on est gâté. Parmi les mots ceux qui me fascinent sont ceux que la langue française ne parvient pas à traduire et que j'avais un temps notés comme Abbiocco (en italien), qui est ce sentiment de somnolence ressenti après avoir mangé. Beaucoup viennent des langues nordiques ou germaniques pour désigner des actions, de l'extrême orient pour ce qui concerne la spiritualité, et j'ai toujours eu un faible pour ceux qui évoque la nostalgie
Le premier qui me vient à l'esprit c'est bien sur Saudade car il y a dans de livre une nostalgie empreinte de mélancolie, à moins que ce ne soit de la mélancolie empreinte de nostalgie ;
Le second serait Hiraeth originaire du gallois et qui désigne un sentiment de nostalgie d'un endroit où l'on ne peut retourner, ou bien qui ne nous a jamais appartenu, un peu ce que ressente ces héros déchus dans le livre ;
Le troisième Mono No Aware en japonais qui renvoie à la mélancolie qu'on éprouve en prenant conscience que toute chose est éphémère.
Où Beochaoineadh de l'irlandais qui est une plainte, une lamentation douloureuse pour quelqu'un qui est vivant, mais qui est parti. Ne serait-ce pas le cas de ces personnages croisés tout au long de ce livre ?
Une chose est sûre je remercie ceux par qui au cours de cette lecture m'ont fait decouvrir Sielunmaisema, littéralement « paysage de l'âme », qui correspond à un endroit spécial que vous portez dans votre coeur, auquel vous pensez régulièrement, et dans lequel vous vous sentez parfaitement chez vous.
Car ce fut pour moi une véritable rencontre avec cet auteur, une rencontre marquante et remarquable. Qui n'aurait pas été si intense sans Mon
Virgile, dans lequel tel
Dante j'ai su mettre mes pas et franchir cette porte vers de nouveaux horizons littéraires...
Pour ceux qui ont lu ce livre il me reste une question qui me taraude : Pourquoi Lisebone ? Un N ? Trop de haine dans la Lisbonne que décrit l'auteur ?