Je n'ai jamais lu un livre aussi triste. Envoyé par feedback que je remercie, je devais écarter mon ipad pour que mes larmes ne tombent pas dessus. Cette tristesse m'habite encore, deux jours après la fin de la lecture, même après avoir lu la conclusion de
Jack London, qui m'a quand même calmée. Il explique son idée que les animaux ne réagissent pas seulement par instinct, les animaux supérieurs comme les chiens et les singes comprennent, apprennent, agissent en conséquence.
Buck est un magnifique chien, monarque absolu d'un royaume de jardins, compagnon inséparable du juge chez qui il règne avec douceur et intelligence, compagnon des enfants, qu'il porte sur son dos, des jeunes filles et des jeunes gens avec qui il se baigne, dans un petit paradis où il est respecté car porteur d'une dignité vraiment royale. Tel un aristocrate blasé, parfaitement satisfait de soi même et des autres, il chasse, il pêche, il fait du sport. Mais, nous dit
Jack London, il n'a pas pu lire les journaux et savoir que
la ruée vers l'or allait faire basculer sa vie, tant les beaux chiens étaient recherchés par les chercheurs.
Et, oui, catastrophe, il est vendu en l'absence de son maitre, on le frappe, et le monarque trahi ne comprend rien à ce sort nouveau, pour lequel il n'est pas préparé. A demi mort, on lui fait traverser les Etats Unis d'Est en Ouest, jusqu'à San Francisco, il se défend bien entendu, mais tourmenté, étranglé, au fond d'une cage, il attend le juge, mais non, le juge ne viendra pas, exit le juge ; le calvaire ne fait que commencer, sa colère et sa faim ne pouvant rien contre les cordes l'étranglant, le fouet le cinglant, et les coups destinés à casser son orgueil. La malheureuse bête sent son coeur généreux prêt à se rompre de douleur, lorsque l'Homme , avec une majuscule pour rendre le récit plus pathétique, froidement, délibérément l'assomme et l'achève par un coup de gourdin sur la truffe.
Un Homme, ce minable pitoyable, qui torture un animal ? N'est il pas le véritable animal de l'histoire ?
Voilà le génie de London : Buck est notre héros, c'est lui l'humain, qui subit ses douleurs, se révolte, mais ne peut tout comprendre ni parler. La souffrance d'un animal racontée par London m'a paru pire que la souffrance subie par un homme ( un homme, un vrai, pas un minable qui cogne, et n'aurait nullement droit à être nommé Homme, avec ou sans majuscule ). Buck ne peut ni parler, ni penser le pourquoi de ces coups qui lui tombent dessus sans qu'il ait rien fait, ni non plus fuir. Un peu comme un enfant que l'on frappe, le petit innocent peut juste mesurer la douceur de sa vie passée qui rend plus douloureuse sa condition présente.
Il souffre longtemps, la fureur gronde en lui et peu à peu il comprend ce qu'on attend de lui quand on l'attache pour remorquer des traineaux vers le Nord, le Klondike, là où il y a de l'or. Il apprend vite, le petit père. Son intelligence le sauve de tous les malheurs, les humiliations, les attaques des autres chiens, les ventes et reventes à différents conducteurs de traineau. Car, dit London, la loi de la jungle, manger ou être mangé, vient d'un lointain passé où les meutes de loups respectaient ceux qui sont les plus forts.
Alors, notre Buck sur lequel je pleure et je prie, comprend que s'il ne vole pas sa nourriture il mourra de faim. La moralité est définitivement inutile et nuisible dans cette lutte pour l'existence de ce monde sans pain, ni repos, ni sécurité. Sa patience des temps primitifs lui fait supporter plus que nous ne supporterions, parce que ce qui est son destin, c'est d'être le dominant de la meute, celui que l'on attache en tête.
Il devient « une bête fauve », il se défend, il vole, il tue pour ne pas être tué,.
Parallèlement, une passion incompréhensible lui fait aimer le trait, les harnais , qui dit
Jack London, » fait tirer les chiens jusqu'à leur dernier souffle, et les pousse à mourir joyeusement. »
Puis il connaît l'amour inconditionnel pour, enfin, l'homme qui lui sauve la vie et avec qui il communique par delà les mots, l'amour qui lui fait se mettre en péril, l'amour attentif à son maitre, l'amour qui lui fait obéir aveuglément à ses ordres, amour partagé par l'homme sans majuscule mais tellement humain et proche de la pensée de Buck.
Dernier conseil : surtout que les enfants ne lisent pas ce livre, je pensais l'envoyer à ma petite fille, mais, non, j'ai trop pleuré et mis du temps à penser à autre chose qu'à ce calvaire subi par un être intelligent et fier, qui nous fait revoir la différence homme et animal. Génial mais vraiment trop triste. Ou bien est-ce cet isolement forcé qui nous met les nerfs à vif ?
Qu'il n'y ait plus de ces innocents dont l'histoire nous broie le coeur, martyrisés juste pour le profit et la bêtise humaine.