Les carnets Lovecraft : Le molosse (illustré)

Le molosse, à ma première lecture, m'avait paru un peu facile. À la seconde, il me semble au contraire qu'il s'agit d'une nouvelle où l'on retrouve à la fois les constantes de l'oeuvre de Lovecraft et des traits qui lui sont bien spécifiques.

Car, à travers cette histoire de deux jeunes hommes obsédés par le pillage de tombes et la constitution d'une collection on ne peut plus morbide, on se retrouve en territoire symboliste et gothique. Pour raconter cette quête macabre teintée d'esthétisme, Lovecraft est allé puiser directement dans les tableaux et la littérature symbolistes. Ce n'est pas par hasard s'il cite Huysmans, et son texte, son style, plus flamboyant, peut-être, que d'habitude, en sont tout imprégnés. Mais il recourt aussi à ce qu'on pourrait appeler le renouveau gothique, celui de Hawthorne et de - évidemment - Bram Stoker. Autant les descriptions des paysages nocturnes sont comme des réminiscences de l'écriture envoûtante et délicate de l'un, autant l'histoire et la marche inexorable de la malédiction et de l'angoisse nous ramènent à Dracula.

C'est donc à la fois un très beau texte, poétique, macabre, morbide, terrible, mais aussi un superbe hommage, non dissimulé, à ses prédécesseurs, que nous offre ici ce - décidément - grand écrivain.

Deux amis qui, pour contrer l'ennui, profanent des tombes et en rapportent des souvenirs. Jusqu'au jour où ils tombent sur un vestige très différent des autres.
Je ne suis pas amatrice de Lovecraft, j'avais tenté Les montages hallucinées mais je n'avais pas été emportée par le récit, tout était trop flou pour moi.
Avec Les carnets Lovecraft et les illustrations apportées, j'ai trouvé cela plus intéressant et compréhensible.
J'ai beaucoup aimé l'histoire du Molosse et ai envie d'en découvrir d'autres, toujours illustrées!

Les Carnets Lovecraft, ce sont ces nouvelles de Lovecraft présentées en recueil couverture rigide, magnifiquement illustrées par Armel Gaulme, et éditées par Bragelonne. Et comme toujours avec Lovecraft, Bragelonne nous gâte. L'histoire est classique de l'auteur. Racontée à la première personne par le narrateur, elle relate les aventures de deux pilleurs de tombes qui réunissent les trophées dans un musée macabre dans le sous-sol de leur habitation. Un jour, ils exhument une amulette de jade représentant une sorte de chien ailé. Dès lors, ils sont poursuivis par des aboiements bestiaux qui se rapprochent jusqu'à la fin tragique. On pense bien sûr au Chien des Baskerville de Conan Doyle, excepté qu'ici, comme toujours chez Lovecraft, l'explication du phénomène n'est pas une priorité. D'ailleurs, nous n'en apprendrons guère plus sur ce molosse tiré du néant et sur cette amulette. Au fil des pages, Armel Gaulme magnifie l'oeuvre de l'auteur avec des dessins que j'avais pu déjà apprécier dans les rats dans les murs. Ils s'intègrent parfaitement au récit pour lui donner vie, entre crayonnés baroques et esquisses horrifiques.
Je remercie une nouvelle fois les Editions Bragelonne pour leur confiance.

Le Molosse (The Hound, 1922, Weird Tales 1924) est une nouvelle importante dans la création du « Mythe ». C'est en effet dans ce texte, fort court au demeurant, que le Necronomicon va faire son apparition officielle. En 1922, alors qu'il séjournait à New York chez Sonia Greene, sa future épouse, l'auteur visita le vieux cimetière hollandais de Flatbush (Brooklyn), visite qui le marqua profondément et dont il s'inspira pour sa nouvelle.
Il s'agit du récit d'un illustre anonyme qui, avec son ami Saint John, collectionne dans les sous-sols de sa vieille demeure des choses répugnantes : cadavres, momies, sculptures diaboliques etc. Lovecraft les décrit comme deux dilettantes, esthètes du macabre. Ils se rendent en Hollande, dans un cimetière lugubre qui aurait abrité une goule. Profanant la tombe, ils y trouvent un squelette bien conservé et une mystérieuse amulette qu'ils s'empressent de subtiliser
Mais nous y reconnûmes, nous, tout de suite, la chose dont il est question dans le Necronomicon, l'ouvrage interdit de l'Arabe fou, Abdul Alhazred, le symbole spirituel et spectral du culte nécrophage de l'inaccessible Leng, au coeur de l'Asie Centrale.

« Lovecraft nous apprend ici qu'Abdul Alhazred fut un démonologue, dont les sombres écrits lui furent chuchotés par des manifestations spirituelles. le Nécronomicon se présente alors comme l'antithèse des livres saints, non pas dicté par la parole divine mais par des êtres maléfiques ou des forces surnaturelles. le plateau de Leng, région fictive d'Asie centrale, renforce la crédulité du lecteur, qui ne sait si Lovecraft se réfère à une véritable région géographique mystérieuse ou à une pure invention. Cette région mystérieuse, berceau de cultes ancestraux et occultes, apparaît pour la première fois dans Celephaïs (1920). Lovecraft y fera à nouveau référence dans de nombreux autres textes. Ainsi dans La Quête onirique de Kadath l'inconnue, il s'agit d'une région accessible par les rêves de Randolf Carter, tandis que dans Les Montagnes Hallucinées, les scientifiques de l'expédition Miskatonic supposent l'avoir découverte en plein coeur de l'Antarctique. Toujours est-il que les cultes de Leng ainsi que leurs significations sont largement documentés dans l'ouvrage de l'Arabe fou, et que nos deux dilettantes anglais n'ont de cesse de se référer au vieux grimoire :
Nous interrogions souvent le Necronomicon d'Alhazred pour y découvrir ses propriétés particulières, en même temps que les rapports entre les âmes des fantômes et les objets qu'elle symbolisait ; et ce que nous découvrions n'était pas sans nous inquiéter.
De retour en Angleterre, nos deux comparses vont progressivement s'enfoncer dans l'horreur : bruits affreux, grognements effrayants, aboiements terrifiants autour de leur manoir. Saint John en fera les frais, et son ami retrouvera son cadavre déchiqueté. Pris de panique, il retournera en Hollande pour restituer l'amulette maudite à « son propriétaire », démarche qu'il ne pourra mener à bien, se faisant voler la précieuse relique. Ce qui ne l'empêchera pas de retourner au cimetière et de rouvrir la tombe pour y découvrir non plus un squelette, mais une créature sanguinolente qui s'agite. Il se suicidera suite à cette vision.