Une critique publiée dans Télérama ( 12 avril 2006) par Olivier Pascal Moussellard :
" Somos los nietos de los vencidos ! " ( Nous sommes les petits-enfants des vaincus ) Un cri , une revendication même , lancé par Emilio Silva et Santiago Macias , jeunes fondateurs de l'Association pour la réhabilitation de la mémoire historique , en Espagne .
" Les vencidos " sont leurs grands-pères et leurs grands-mères , militants républicains ou simples sympathisants , abattus au bord d'une route et jetés dans une fosse commune voilà 70 ans .Combien sont-ils , au juste , ces " vaincus " sans sépulture , auxquels ils rendent une dignité dans leur ouvrage commun " Les fosses du franquisme " ? 30.000 au moins , 40.000 sans doute . " Désaparecidos " avant l'heure - avant le Chili et l'Argentine . Pas oubliés , mais enfouis dans une mémoire collective qui s'est réconciliée sur leur os , à la mort de Franco . Bien sur il y avait eu quelques exhumations à la fin des années 70 . Mais le mini-putsch ( raté ) du capitaine Tejero en 1980 , a réveillé de vielles terreurs . On ( la ) ferme !
Les enfants se sont tus . Il appartenait donc aux " nietos ", les petits-enfants , de piocher la terre et le souvenir . Une quête personnelle que raconte Emilio Silva dans la première partie du livre , tandis que Santiago Macias esquisse , dans la seconde partie , une histoire des fosses dans chacunes des 18 communautés autonomes d'Espagne . On reste coi devant les difficultés rencontrées .
Politiques , d'abord : l'incontestable succès de la transition démocratique en Espagne a eu un prix , le silence . Franco n'ayant pas été renversé , sa succession obligeait à des compromis ( la loi d'amnistie de 1977 , notamment ) , que les gouvernements successifs , de gauche comme de droite ont payé sans sourciller . Il fallait se taire pour alléger les souffrances , " organiser l'oubli " déclare Emilio Silva , comme dans toutes les familles soudées , en attendant le retour du refoulé . Côté administratif , ce n'était pas mieux : à la mort du Caudillo , l'armée a rapatrié ses archives à Madrid , calcinant au passage les plus compromettantes . Obstacles historiques , enfin .
Si le souvenir des morts " tombés pour Dieu et pour l'Espagne " , c'est-à dire pour Franco , a soigneusement été entretenu sous le franquisme , les années ont passé sur les fosses communes , les témoins sont morts , les repères , comme la mémoire , devenant tous les jours plus flous .
C'est presque par hasard que , sur les indications d'un témoin , Emilio Silva a découvert l'endroit où " les 13 de Priaranza " ont été abattus une nuit d'octobre 1936 . Arrêtés pour leurs idées , emmenés dans un camion bâché , tués d'un coup de revolver en rase campagne ( " fracture générale de la voûte crânienne provoquée par l'impact d'un coup de feu " dira le rapport légal ) . Douze hommes et son grand-père , républicain ordinaire , militant de coeur qui n'avait jamais pris les armes et père de 6 enfants . " Les fosses du franquisme " est donc à la fois un ouvrage personnel et collectif . Personnel , car il raconte , presque journalistiquement , les efforts d'un homme pour refermer une plaie familiale ; collectif , car Emilio Silva , en remuant la terre , a refusé l'amnésie du peuple espagnol . Grâce à lui et aux archéologues et médecins légistes qui l'ont aidé , plus tous les bénévoles , la parole s'est libérée . Et les pelleteuses , 70 ans après le déclenchement de la guerre civile , 30 ans après la mort de Franco , de sonder jusqu'aux tréfonds de l'histoire nationale ....
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Je me souviens encore d'un couple de personnes âgées qui devaient avoir plus de quatre-vingt ans . Ils s'étaient approchés de la fosse en marchant avec beaucoup de difficultés . En arrivant sur les lieux des travaux , ils ont demandé à me voir , la dame a sorti un morceau de papier de sa poche : la dernière lettre que son frère avait écrite . Sans aucune explication supplémentaire elle m'a lu la lettre puis est partie en me remerciant . Pendant qu'ils repartaient vers leur voiture j'ai entendu qu'elle disait à son mari " il était temps que quelqu'un nous prenne au sérieux " .
Cette phrase m'a submergé de colère : pendant la "transition " , la société espagnole a laissé abandonnées à elles-mêmes ces milliers de familles qui avaient perdu la guerre , qui pendant 40 ans avaient été l'anti-Espagne , et qui tout au long de la " transition " s'étaient tues afin que le processus politique qui a conduit à la démocratie puisse s’ordonner de la façon la plus paisible . Mais en 2002 , il était inacceptable que cette affaire soit encore reléguée dans l'arrière-cour de l'histoire . Discourir politiquement sur la nécessité ou pas de notre amnésie collective était une chose , mais voir les visages , écouter les vies de ces personnes et ne rien faire pour elles me semblait inacceptable .