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sur 628 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Si vous cherchez un jour une définition du mot «littérature», alors sortez votre exemplaire de Marx et la poupée, car ce livre doit figurer dans la bibliothèque de tout honnête homme. Pour le résumer, il suffit d'une phrase: c'est l'histoire d'une famille iranienne contrainte à l'exil et qui doit s'inventer une nouvelle vie en France. Mais ce qui fait sa force, c'est qu'en le refermant, il vous restera des images fortes, des épisodes inoubliables, des émotions intenses. Bref, ce qui constitue l'épine dorsale de la bonne littérature.
L'un de ces épisodes marquants arrive dès les premières pages. Nous sommes en 1980 à Téhéran et la narratrice n'est pas encore née. Ella même failli ne pas naître car sa mère, enceinte, se retrouver au coeur de la répression qui a suivi l'arrivée des ayatollahs, pourchassée par les gardiens de la révolution. « Ma mère porte ma vie mais la Mort danse autour d'elle en ricanant, le dos courbé ; ses longs bras squelettiques veulent lui arracher son enfant ; sa bouche édentée s'approche de la jeune femme enceinte pour l'engloutir. »
Elle finira par s'en sortir et accoucher, mais ni elle, ni sa famille ne voudront renoncer à leur liberté. La maison familiale, dans le quartier de Tehranpars sert aux réunions politiques clandestines. On y discute de Marx et d'une autre révolution, on parle de liberté. Vu par les yeux de la petite fille qui grandit dans cette ambiance, ce monde d'adultes est absurde. On y cache les tracts dans des couches-culottes, on enterre les livres signés Marx, Lénine, Che Guevarra dans le jardin ou on met en prison des gens dont les cheveux volent au vent. L'oncle Saman, qui a pris l'habitude de lui offrir une Golé Maryam, la belle fleur qui embellit son jour d'anniversaire, ne viendra pas. Il a été arrêté porteur de tracts et jeté en prison à Evin.
C'est là qu'un détenu passe son temps devant la télévision, regardant un stupide dessin animé. On se dit que l'intellectuel est en train de perdre la raison avant qu'il n'explique qu'il écoute la voix de son épouse, chargée de doubler l'un des personnages.
La répression est de plus en plus forte. Les participants à des fêtes privées sont impitoyablement poursuivis. Il est temps de songer à fuir. Les jouets sont répartis entre les enfants pauvres du quartier, achevant de briser le moral de la petite fille : «Je me sentais si seule au monde. J'étais convaincue que je vivais avec deux monstres qui me déposséderaient de tout.»
La vocation littéraire de l'auteur – double de la narratrice – date sans doute de ce moment où elle a dû monter dans un avion partant vers la France en laissant derrière elle sa grand-mère chérie et son pays natal : « Je voudrais semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres. Je veux que ça fleurisse, qu'il en sorte des fleurs embaumantes à la place de toutes les fleurs manquantes, absentes, de toutes les Golé Maryam qui auraient dû être offertes et qui n'ont pas pu l'être. »
Si dans les chapitres suivants il n'est pas question de violence ou de répression, la tension ne faiblit pas pour autant. Car Maryam Madjidi dit la souffrance née de l'exil. Elle raconte, par exemple, comment son père doit subvenir aux besoins des famille en acceptant tous les petits boulots qui se présentent. Pour cela, elle nous raconte comment les mains de son pères changent. Grâce à un Iranien d'origine turque, il est d'abord tôlier-peintre dans un garage, avant que ce dernier ne ferme. Au chômage, ses mains devaient trouver quelque chose d'autre rapidement. Elles vont alors devoir travailler le bois, le béton, les briques, le ciment, le gravier, la peinture, les tuiles, la moquette, les enduits, le carrelage. « Puis un jour ses mains ont commencé à moins travailler, elles étaient fatiguées, ridées et craquelées par endroits. Il y avait aussi la marque d'innombrables blessures laissées par la matière et l'outil. La peau était devenue aussi dure que du cuir. »
Il passera alors à la calligraphie, dessinant de belles lettres persanes et cherchera dans l'opium de quoi soulager son vague à l'âme.
Sa fille ne va guère mieux. Elle ne retrouve pas les saveurs de son enfance, la musique de la langue de son pays. Elle va refuser de manger, refuser de parler. Fort heureusement pour elle, l'arrivée d'un couple de réfugiés iraniens et leur fille Shirin va lui permettre de retrouver le moral. Avec cette compagne de jeux joyeuse et pleine de vie, elle trouvera la complice qui lui permettra de trouver une place dans cette société parisienne. Comme un bouchon de champagne qui explose, elle accepte de lâcher les mots qu'elle a patiemment appris, sans toutefois vouloir les dire. « Les mots se pressaient pour sortir, impatients qu'ils étaient, ça fusait dans le petit studio, ils volaient, ils dansaient, ils butaient contre les meubles, ils s'élançaient de ma bouche comme des flèches et touchaient le plafond et les murs, ils virevoltaient eux-mêmes, soulagés d'être enfin libérés de ma bulle intérieure, enchantés de pouvoir enfin communiquer avec les autres. Tout l'espace était rempli de mes mots français. »
N'allez toutefois pas croire que ce premier roman si sensible devient alors une ode à l'intégration. Tout au contraire, il est question de rentrer au pays, de retrouver les parfums qui manquent tant à la famille, les amis et les proches qui souffrent en silence. Une image de plus suffit à faire voler en éclats ce rêve. En voyant sa petite fille faire du vélo en short et débardeur, son père comprend que ce retour est impossible : « On ne peut pas partir. Je ne peux pas lui enlever cette liberté si innocente. »
Il faudra attendre 2003 pour que la jeune femme retourne à Téhéran. Mais ne pourra pas y rester car son passeport ne suffit pas à faire d'elle… une iranienne.
Voilà sans doute le plus authentique des témoignages sur la condition des migrants. Ici foin de considérations politiques ou économiques. C'est le coeur, la chair, les sens qui parlent. C'est poignant, ironique, vrai. C'est de la grande littérature.

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Voilà un nouveau roman qui marque ! Maryam Madjidi nous raconte son enfance d'exilée, ses douleurs, ses rancoeurs et ses années de doutes sur cette binationalité qu'elle n'a pas choisie. Ce livre est très actuel même si l'histoire a commencé il y a 30 ans. L'intégration à l'école, les migrants, ..., tous ces sujets évoqués par les candidats aux présidentielles et qui divisent la France sont évoqués de façon simple et très poétique. Je garderai un très bon souvenir de ce livre et regarder le passage de l'auteure à la grande librairie maintenant que je l'ai lu ! Merci les filles des 68 premières pour cette découverte.
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C'est un peu par hasard que j'ai choisi ce livre, je viens de le terminer et ce fut un coup de coeur ! Cette autobiographie est un roman à l'écriture magnifique semée de poésie, riche en émotions, une histoire racontée par Maryam Madjidi depuis le ventre de sa mère qui, enceinte, saute du second étage pour échappe à la mort administrée par les hommes habités par la haine. Les anecdotes s'inscrivent dans l'histoire, dans l'exil, dans la difficile cohabitation de deux cultures. La petite fille, la narratrice nous dit ses parents qui, communistes en pensées et en actes l'obligent à donner ses jouets auxquels elle adresse, en discours d'adieu, des histoires, et en particulier une histoire symbolique. Elle nous raconte sa grand-mère, aimante, réconfortante, protectrice qu'elle soit présente ou éloignée et à laquelle toujours, dans la proximité, dans le doute et dans l'adversité, elle se raccrochera. Elle raconte l'Iran, la peur, la mort, la prison, les personnes de son entourage victimes du régime ; elle raconte l'exil à Paris, l'école où elle se sent différente, pauvre, misérable, son mutisme dans un pays où personne ne comprend ce qu'elle dit, hormis ses parents. Parler la langue française, est-ce une trahison ? Réapprendre le persan avec son père, est-ce rouvrir les blessures. Elle raconte l'Iran de son enfance et la France où elle se sent humiliée, où la nourriture est fade. Par bonheur, sa grand-mère est là qui veille dans le lointain et l'aide à surmonter les obstacles. Elle retournera en Iran, reverra son oncle, sa tante, fera connaissance avec ses cousins, et surtout, pour elle, sa grand-mère se lèvera, sans l'aide de ses béquilles, pour la prendre dans ses bras :"nous sommes toutes les deux debout, et c'est toi qui me soutiens.", elle retrouve la petite fille qu'elle fut et se réconciliera avec elle même, son pays de naissance et son pays d'adoption, d'autres territoires encore. Elle reviendra en France, retournera en Iran,pour des séjours plus brefs et plus sereins, reviendra en France. À travers son récit elle apparaît, dans sa dualité, sa multiplicité et son unité au coeur de sa famille et de ses amis de tous pays.
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Un patchwork... Oui. Un somptueux patchwork, c'est la première image qui me reste en mémoire après la lecture du premier roman de Maryam Madjidi. Roman ? Pas roman ? Quelle importance ? Pour moi, "Marx et la poupée" plonge ses racines dans l'origine du mot "texte" : une "chose tissée, tramée" et l'image du patchwork ou de la tapisserie prend alors une puissance inouïe. Souvenirs, courtes fables, contes, portraits, poèmes... s'esquissent, se déploient et appellent d'autres images, tissées entre elles par les fils dorés des langues. La langue originelle, le persan, et celle de l'exil, ce français né d'un silence où s'engloutissent l'enfance et les liens familiaux, procèdent par vagues douces et violentes, se superposant parfois, luttant souvent, et se juxtaposant enfin en épaisseurs fertiles. C'est si beau que l'envie m'a prise de lire à haute voix, de faire résonner haut et clair ces strates de chagrin, de peur, de nostalgie et de déracinement.
Déracinée. Il y a dans ce mot toute la violence de l'arrachement à tout ce qui a nourri et fait croître, à la tendresse d'une grand-mère et à la complicité avec un oncle. Il y a la maison qu'on abandonne à jamais, les jouets que l'on est contraint de donner, la sensation de tomber inexorablement au creux d'un cauchemar où l'inconnu ne peut être que funeste. L'exil est cet arrachement brutal à un lieu, à des proches aimés, à une langue, à une mémoire commune. Maryam Madjidi exprime toute la douleur qui en résulte pour une petite fille de 6 ans. Avec un humour tendre, qui voile de pudeur cette souffrance brûlante, qui la met à distance pour évacuer toute possibilité de pathos, elle raconte ces moments à la fois dévastateurs et fondateurs. Car les racines mises à nu le temps du déchirement sont artificiellement implantées dans un autre terreau, pas forcément accueillant, un terreau étranger où l'étrange est d'être persan.
On l'oublie bien trop souvent mais une langue ce n'est pas seulement un vocabulaire qu'il suffit d'apprendre et de référer aux choses réelles, ce n'est pas seulement une syntaxe et une conjugaison. Une langue c'est aussi (surtout ?) le vecteur d'une culture et d'un imaginaire collectifs, formés d'images mentales, de catégories intellectuelles, psychologiques et affectives, d'une connivence entre mode de vie et constructions langagières. Comment le vécu antérieur d'un enfant, d'un adulte peut-il assimiler et accommoder cet ensemble qui ne paraît cohérent qu'à ceux dont les générations successives en ont fait la langue maternelle ? Faut-il que ce soit forcément au prix de l'oubli, de la relégation de tout ce qui fait une vie commencée ailleurs ? S'intégrer à une culture, dans une société, est-il forcément le corollaire de désintégrer la culture d'origine ? le roman de Maryam Madjidi soulève avec une force bouleversante chacune de ces questions-pièges, de ces questions-pierres en les plaçant au niveau de l'enfant blessée qu'elle fut probablement et de l'adulte recomposée qu'elle est sans doute.
Oui un patchwork coloré, chatoyant, qui tisse étroitement langues, cultures, espoirs, émotions, rêves et chants. Une étoffe fabuleuse qui épouse les pleins et les déliés d'une vie trois fois naissante. Un roman magnifique qu'il faut lire et relire et relire encore jusqu'à s'en imprégner pour le porter toujours.
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Trois décennies : 1980 - 2 014. Maryam, née à Téhéran, fille de militants communistes, doit quitter son pays et son régime islamiste . Elle a six ans.
C'est la révolte d'une enfant qui refuse d'abandonner sa maison, ses jouets, qui voit, sans tout comprendre que la situation est dramatique : son oncle « est dans une cage gardée par des gens dégoûtants ». Pendant six ans.
Sa « mère parle peu. Des rêves tournent autour de sa tête comme des oiseaux au-dessus des tours du silence ».
Cette enfant a entendu « le murmure de toutes les mères qui répètent chacune leur mot, leur mot de douleur, leur mot écorché vif, leur mot d'injustice ».
« Ce pays massacre ses meilleurs enfants ».

C'est donc le départ pour la France, Paris où le père les attend.
Au bonheur des retrouvailles succèdent la pauvreté, le déchirement de l'exil, le traumatisme de la langue étrangère, incompréhensible, la honte de ne pas être comme les autres.
Ce sera l'écartèlement entre deux langues, deux nationalités, deux personnalités . Inconciliables.

« C'était le premier voyage, le premier retour à la terre-mère, la première descente vers l'origine. Une descente ou une chute, je ne sais pas. J'ai failli perdre la tête. J'ai glissé sur mon identité. Je suis tombée ».

Ce livre, autobiographique est dédié à Abbâs « qui est prêt à mourir pour tous ces bébés qui sont nés sous la révolution ».
« Abbâs, c'est une étoile filante : il n'aura pas une longue vie parce que son coeur, un jour, ne pourra plus contenir tout cet amour à donner ».

Un grand coup de coeur.
L'écriture est maîtrisée, la construction également.
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Attention : coup de coeur ! IMMENSE coup de coeur !
Ce roman, je l'ai savouré tout doucement, je l'ai dégusté, redoutant le moment où la dernière page pointerait le bout de son nez.
Ce mélange de tranches de vie, de souvenirs si perceptibles, de combats contre les autres et soi même, d'amour et de rejet pour ces deux pays que sont l'Iran et la France, de « je » et de « ils » nous bouleversent. Jusqu'aux tréfonds.
En fait, je n'ai pas de mots pour dire à quel point ce livre m'a touchée.
Je les cherche, les palpe. J'aimerais les poser, juste là.
Parce que c'est un raz de marée d'émotions, d'intériorité et de justesse.
C'est un déchirement qui, lentement, se résorbe.
C'est une voix qui pourrait porter celle de tant d'exilés. Et une voix d'enfant qui parle à l'adulte devenue.
Et au delà de ce magnifique récit, c'est une plume qui éclot sous nos yeux.
Une plume qui virevolte, prend vie, pique, emporte.
Une grande, très grande autrice est née !
Faites-vous ce précieux cadeau : lisez « Marx et la poupée » !
Lien : https://livresetbonheurs.wor..
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La douleur de l'exil

En 1979 à Téhéran c'est l'époque de la révolution iranienne, du départ du Shah, de l'arrivée de Khomeini et du rêve brisé pour beaucoup d'iraniens.
Maryam est encore dans le ventre de sa mère et c'est de ce cocon qu'elle commence à nous raconter son histoire et celle de sa famille. La révolution iranienne vue par une petite fille qui va fuir cet enfer avec ses parents à l'âge de 6 ans, la famille s'installe alors à Paris.

Maryam Madjidi exhume ses souvenirs "Je déterre les morts en écrivant. Je me retrouve avec tous ces morts qui me fixent du regard et qui m'implorent de les raconter.", elle évoque le militantisme de ses parents, les réunions politiques clandestines à leur domicile, les documents compromettants passés aux camarades cachés dans ses couches, son oncle emprisonné, les corps mal enterrés dans les fosses communes qui réapparaissent lors des fortes pluies... Une vie de peur, de mort, de dénonciation et de torture.

Puis ce sera l'exil forcé en 1986, le jardin où on enterre les livres et les rêves avant de fuir, les jouets donnés aux enfants pauvres du quartier. L'arrivée à Paris dans une chambre de bonne, les angoisses, les cauchemars, les fantômes qui la hantent, une mère qui s'éteint peu à peu, qui s'enferme dans un "monde sans vie de lettres, de mots, de fantômes." " Tu n'osais parler cette langue étrangère, à la place des mots, tu souriais. le sourire qui s'excuse, le sourire gêné de ceux qui ne parlent pas la langue du pays."

Maryam Madjidi parsème son récit de flashs sur des retours qu'elle a effectués à Téhéran dans les années 2000, elle parle de l'ambivalence des sentiments de son père tiraillé entre l'envie de se joindre aux cris des manifestants et le désir de ne pas mourir pour des idées, ce qu'il ne veut plus en vieillissant. Elle insère l'histoire de ses cousines restées en Iran, nous raconte avec quelques anecdotes bien choisies le sort des femmes à Téhéran.

Maryam Madjidi trouve les mots pour parler de la question de la double culture, de la barrière de la langue qui fait se sentir invisible, des mots français qu'elle comprend rapidement mais sans pouvoir les prononcer "elle couve sa nouvelle langue comme une poule son oeuf.", de sa solitude dans sa bulle face à l'indifférence et aux moqueries de ses camarades d'école. Elle est une petite fille qui ne joue pas, puis ne parle pas, puis ne mange pas la nourriture qu'on lui propose, si différente de celle de son pays.

Elle souligne la distance qui se creuse peu à peu avec son père qui voudrait qu'elle maintienne un lien avec ses origines par le biais de la langue. "Nous construisions ensemble un mur entre nous, chacun posant sa brique. Ta brique du persan et des racines. Ma brique du français et de l'intégration"
Elle comprendra plus tard qu'elle a subi un grand nettoyage, que la volonté d'assimilation à tout prix est passée par la négation de sa culture, de son identité, de sa langue.

"Étrange façon d'accueillir l'autre chez soi j'accepte que tu sois chez moi
mais à condition que tu t'efforces d'être comme moi. Oublie d'où tu viens, ici ça ne compte plus."

Constitué de courts chapitres où l'auteure mêle à merveille le "je" et le "elle" de la petite fille puis de la femme, ce roman décrit des petites tranches de vie, de lutte et de peur dans la première partie. Ensuite la nostalgie du pays, la douleur refoulée transpirent à chaque page. En peu de mots extrêmement bien choisis, Maryam Madjidi m'a énormément émue, le très beau chapitre sur les mains de son père puis sur la disparition de sa langue maternelle et sur la lutte des langues pour ne citer que ceux-là, sont de pures merveilles. Sa plume est très belle et son récit est délicieusement poétique.
Je n'avais jamais rien lu d'aussi profond sur l'exil, sur la nostalgie du pays, sur la difficulté à se construire dans une double culture " Je ne suis pas en guerre avec ça, je suis en colère contre ces hypocrites qui s'extasient sur une blessure" elle qui "vacille tout le temps, d'un bord à l'autre."
Ce premier roman à forte composante autobiographique est une vraie réussite.
Bravo aux Editions du Nouvel Attila pour la très belle couverture.

Ce roman est sélectionné pour le prix des libraires 2017 et pour le Prix Ouest-France Étonnants Voyageurs 2017.
Lien : http://leslivresdejoelle.blo..
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Lu dans le cadre des 68 premières fois

Ce récit est celui de trois naissances : la mise au monde, l'exil puis la naissance de l'apaisement.
Si j'ai d'abord été désarçonnée par une utilisation mélangée de la première personne puis de la troisième, j'ai fini par occulter cela pour me laisser porter par l'errance des mots, des maux que Maryam Madjidi nous confie avec tendresse, délicatesse et douleur aussi. Elle met à nue la fragilité d'une petite fille, d'une jeune femme dans sa quête identitaire, dans sa quête de paix intérieure également.
Mi-fable, mi-journal ce livre est un double hommage extrêmement touchant. Un hommage d'abord à une mère dont elle dit probablement embellir le portrait (je soupçonne un peu de pudeur dans ces mots), à un père, à une grand-mère pour qui sa petite fille est la prunelle de ses yeux. Grand-mère restait au pays mais qui ponctuera de visite l'esprit de Maryam pour l'aider à avancer, à trouver le bon chemin dans ces endroits où elle n'a la sensation de n'être personne, de ne jamais être chez elle. Puis un hommage aux langues, à la danse du persan et du français à travers notamment le poète Omar Khayyâm.

Bien sûr le conflit géopolitique, religieux, révolutionnaire est omniprésent et nous amène à réfléchir : années 80, 90, années 2000 … rien n'a véritablement changé et c'est bien là toute la tragédie de ce monde.
Mais ne vous méprenez pas, ce roman, car il est ainsi nommé, n'a rien de plombant bien au contraire, Maryam Madjidi a su savamment doser les souvenirs douloureux aux moments d'humour et de gaieté pour nous offrir sous une écriture vive et poétique un tableau d'émotions.
Nul doute Marx et la poupée touche son lecteur en plein coeur.
Lien : http://livresselitteraire.bl..
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Décidément… "Marx et la poupée", le premier roman de Maryam Madjidi, quatrième ouvrage lu dans le cadre des 68 premières fois, est un… je n'ai pas de mots… coup de coeur, j'ai l'impression que ce serait trop banal, coup de poing… trop violent, uppercut… trop combattif. Alors je ferai simple. Je l'ai trouvé prenant, percutant, touchant, émouvant, dramatique et tellement attendrissant.

L'auteur nous raconte son histoire, elle qui est née à Téhéran, au début de la révolution, elle qui a manifesté dans le ventre de sa mère, elle qui a servi à cacher des tracts dans ses couches, elle qui a dû donner ses jouets au nom du communisme, elle qui a suivi ses parents dans leur exil en France, qui a quitté son pays, sa famille.
Aux confins du journal et du recueil de nouvelles, voire de contes, par touches légères, par petites notes, elle mêle le présent et le passé, son pays natal, sa langue d'origine, et ce pays qui les a accueillis. Elle nous explique avec une tendresse infinie cette guerre que se livrent son avant et son après, ce tiraillement entre ses deux cultures au point de vouloir enterrer la première au profit de la nouvelle. Surtout oublier le Persan, ne pas le parler, préférer le français. "Il était une fois… Une petite fille qui cherchait sa langue…Où était passé le Persan ? se demandait-elle ." Pourtant, un jour, elle accepte une loi : "le persan à la maison, le français dehors". "Il y avait désormais notre langue et leur langue, nous et eux. Et moi je passais d'un monde à l'autre, d'une langue à l'autre, échangeant mes rôles, jonglant tant bien que mal avec ces deux identités." Rien n'est simple quand on ne sait plus qui on est. Mais le Persan, lui sert et notamment pour séduire les hommes, elle leur récite des poèmes, les envoûte.

L'écriture d'une immense beauté, poétique, légère et imagée sert à merveille ce désir de mémoire, le récit des difficultés mais aussi de la richesse, liées à une double culture, les pages magnifiques qui décrivent ses parents, sa grand-mère ou son oncle, les poèmes, l'incommensurable optimisme qui transforme les obstacles en opulence.
Je me suis embarquée aux côtés de cette petite fille et ne l'ai plus quittée. J'ai aimé l'enfant, la femme et j'ai refermé le livre avec au coeur une admiration infinie pour la romancière. Ce fut un voyage d'une insondable richesse.
Un roman sans doute nostalgique mais tellement enchanteur.

Comment terminer sans parler de la magnifique couverture proposée par les Editions "Le nouvel Attila", que je ne connaissais pas, et du bandeau, aussi bien pour le recto que pour le verso et ses vingt-neuf titres potentiels... mais "Marx et la poupée"… une manière de les garder près de soi, ne sont-ils pas restés là-bas, enterrés ensemble au pied d'un arbre ?
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Voilà ! C'est pour tomber sur ce genre de divine surprise que je lis des livres ! Pour éprouver ce délicieux frisson à la découverte de pages pleines de grâce. Car c'est sans doute le terme qui convient le mieux pour qualifier ce premier roman d'une jeune auteure française d'origine iranienne.

J'avais pourtant quelques craintes en l'ouvrant. Car sur le thème de l'exil provoqué par la révolution iranienne et la découverte de la langue et de la culture françaises qui en découlent, une certaine Abnousse Shalmani avait précédé Maryam Madjidi avec un époustouflant Khomeiny, Sade et moi, faisant ainsi de l'ombre à Negar Djavadi, qui s'aventurait à son tour sur les mêmes terres avec un Désorientale (ne cherchez pas de billet, je n'en avais pas écrit) qui, malgré le battage médiatique, ne m'avait pas franchement convaincue...

Mais Maryam Madjidi possède une voix bien à elle. Elle nous propose un récit original, à la fois tendre et incisif, plein d'humour et de sensibilité, offrant un éclairage subtil sur le rapport ambivalent qu'un individu contraint de quitter son pays entretient avec ses racines et avec sa culture d'accueil, l'écartèlement entre un monde resté derrière lui et celui au sein duquel il essaie de se faire une place.
En choisissant de juxtaposer une ribambelle de souvenirs - réels ou imaginaires, peu importe - elle compose un tableau plein de vie et empreint d'émotion. Par la brièveté de ses saynètes qui finissent par dérouler le fil de toute une existence, elle donne à voir la complexité des sentiments et touche son lecteur en plein coeur.
Elle alterne souvenirs graves et anecdotes légères, elle se glisse dans la peau de la petite fille qu'elle a été avant de retrouver sa voix d'adulte, elle mêle récit et dialogues, passé et présent avec maestria, imprimant ainsi à son texte un rythme virevoltant par lequel on se laisse prendre avec délices.

Avec des mots qui frappent comme des coups de poing, elle dit la peur, atroce, qui habite les opposants au régime, qui n'ont d'autre choix que de fuir pour échapper à la torture et à la mort.
Mais partir n'est pas une libération : elle dit le désarroi, le désespoir de qui a le sentiment d'avoir abandonné les siens et, peut-être plus encore, d'avoir renoncé à lutter pour ce à quoi il croyait.
Elle trouve de très jolis mots pour dire aussi la manière dont un exilé se définit par une forme de sentiment de nostalgie qui ne cesse de l'habiter, se projetant constamment dans un ailleurs idéalisé.
Elle dit tout ce qu'une langue nouvelle, qui reste à apprendre, cristallise de rêves et d'espérances, le talisman qu'elle constitue pour entrer dans un monde mystérieux et plein de promesses, mais qui renvoie aussi implacablement à la différence que l'on porte.
Elle dit enfin le chemin parcouru pour s'affirmer comme une femme libre de construire sa vie.
Elle dit tout cela et bien plus encore.

Mais lisez plutôt son livre ! Car ce sont les mots, les très beaux mots qu'elle a choisis qui font le charme et la fraîcheur de ce puissant récit.

Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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