Citations sur Le livre des brèves amours éternelles (116)
Grâce à elle, je compris soudain ce que signifiait être amoureux : oublier sa vie précédente et n'exister que pour deviner la respiration de celle qu'on aime, le frémissement de ses cils, la douceur de son cou sous une écharpe grise. Mais surtout éprouver la bienheureuse inaptitude à réduire la femme à elle-même. Car elle était aussi cette abondance neigeuse qui nous entourait, et le poudroiement solaire suspendu entre les arbres, et cet instant tout entier où se laissait déjà pressentir le souffle timide du printemps. Elle était tout cela et chaque détail dans le tracé simple de sa silhouette portait le reflet de cette extension lumineuse.
C'est alors qu'avec perplexité je compris qu'une chose manquait à ce sublime projet.
"L'amour ...", murmura en moi une voix incrédule. Tout était prévu dans la société idéale : le travail enthousiaste des masses, les progrès fabuleux de la science et de la technique, la conquête spatiale menant l'homme vers des galaxies inconnues, l'abondance matérielle et la consommation raisonnable liée au changement radical des mentalités. Tout, absolument tout ! Sauf ...
Les papillons de nuit se jetaient sur toute source de lumière, se cognaient, se brûlaient, tombaient épuisés, reprenaient leurs forces, se précipitaient de nouveau vers l’incandescence. Devant l’absurdité de leur entêtement, il fallait imaginer un éros sublime dont l’intensité rendait dérisoire le risque de mourir.
Cette année-là, pendant le mois d’août, nous voyions une nuée d’insectes kamikazes cribler, chaque soir, les lumignons des restaurants et les réverbères. Et des foules de vacanciers qui, avec une obstination semblable, cherchaient la chaleur d’une étreinte, l’aveuglement d’une liaison.
La conscience d’en faire partie créait en nous un sentiment ambigu : la joie d’appartenir à une tribu bronzée, festive, avide d’amour et, en même temps, la déception de n’être qu’un jeune couple de plus, une union estivale, éphémère et fiévreuse, parmi tant d’autres dans cette station balnéaire de la mer Noire…
Les régimes changent, reste inchangé le désir des hommes de posséder, d'écraser leurs semblables, de s'engourdir dans l'indifférence d'animaux bien nourris.
A cet âge, la vie paraissant infinie, j'aurais donné la moitié de ce qui me restait à vivre pour avoir la certitude,exprimée par un mot doux,d'être aimé.
"Il y a aussi ceux qui ont la sagesse de s'arrêter dans une ruelle comme celle-ci et de regarder la neige tomber, de voir une lampe qui s'est allumée dans une fenêtre, de humer la senteur du bois qui brûle. Cette sagesse, seule, une infime minorité parmi nous sait la vivre. Moi, je l'ai trouvée trop tard, je commence à peine à la connaître....La beauté était là, dans cet instant égaré au milieu des saisons. Elle n'avait besoin que de ces coloris éteints, de la fraîcheur intempestive de la neige, de la poignante mémoire, soudain éveillée, de tant d'hivers anciens. Cette beauté se confondait avec notre respiration, il suffisait juste d'oublier ceux que nous croyons être."
Nous entrions, mon amie préparait un thé, les paroles venaient ou non, le silence de la maison nous suffisait. Parfois, nous écoutions, mais d’une sonorité presque inaudible, un fragment des Saisons de Tchaïkovski. C’était toujours le même, « Le mois de juin », que mon amie retrouvait avec une précision de prestidigitatrice sur un grand disque fatigué. Nous n’augmentions jamais le son, la mélodie ne devait être qu’un simple écho, ainsi elle semblait plus secrètement inaccessible à la vie qui continuait au loin, avec son fracas, sa vitesse inutile, sa surdité.
Les papillons de nuit se jetaient sur toute source de lumière, se cognaient, se brûlaient, tombaient épuisés, reprenaient leurs forces, se précipitaient de nouveau vers l’incandescence. Devant l’absurdité de leur entêtement, il fallait imaginer un éros sublime dont l’intensité rendait dérisoire le risque de mourir.
Cette année-là, pendant le mois d’août, nous voyions des nuées d’insectes kamikazes cribler, chaque soir, les lumignons des restaurants et les réverbères. Et des foules de vacanciers qui, avec une obstination semblable, cherchaient la chaleur d’une étreinte, l’aveuglement d’une liaison.
Reste ce paradis fugace dont l’éternité n’a pas besoin de doctrines.
Les emblèmes dépeignent , en trompe-l’œil de propagande, une voie à suivre, un sens de la vie, un avenir. Oui, des anxiolytiques existentiels, des antidépresseurs métaphysiques. Enfant, j'étais loin de m'en douer et pourtant ces drogues symboliques agissaient déjà sur moi. Elles camouflaient le dénuement dans lequel nous vivions et qui serait difficile à décrire aujourd'hui, face au trop-plein d'objets complaisants, jetables.