Le livre des brèves amours éternelles/
Andréi Makine
On ne présente plus
Andréi Makine, ce grand écrivain russe de langue française.
Né en Sibérie il a obtenu le prix Goncourt et la prix Médicis avec «
le testament français » (que j'ai commenté).
C'est toujours avec le même style élégant traduisant une grande sensibilité que
Makine va nous conter au travers de la vie de son héros, Dmitri Ress, de belles histoires d'amour tout en nous décrivant la déréliction liée au léninisme puis au stalinisme.
L'histoire dans l'Histoire se déroule au cours des années 60-70. le jeune Dmitri, orphelin endoctriné, rêve lui aussi d'une Russie idyllique, « où tous les hommes deviendraient enfin dignes de leur nom, au sein d'une société fraternelle au mode de vie excluant la hargne et l'avidité, avec un projet qui fédérerait toutes les bonnes volontés, enchaînées pour le moment dans la petitesse de l'individualisme, le tout grâce à une doctrine éternellement vivante, créatrice et révolutionnaire… ». Utopie … !
Plus tard il deviendra un farouche dissident et vouera sa vie à la propagande antisoviétique avec les conséquences que l'on peut imaginer, multiples condamnations et souffrances qui ne feront que renforcer son insoumission.
Son premier amour, fugace, il le connaitra à l'âge de dix ans et la tourmente de l'Histoire va rapidement l'emporter vers d'autres rivages de l'amour avec la jeune Vika qui va lui ouvrir les yeux lui disant que « la seule vraie doctrine… c'est le fait de s'aimer ! » Prémonitoire puisqu'il reconnaitra plus tard que « le pays de notre jeunesse a sombré en emportant dans son naufrage tant de destins restés anonymes. »
Pour lui, être amoureux c'est « oublier sa vie précédente et n'exister que pour deviner la respiration de celle qu'on aime, le frémissement de ses cils, la douceur de son cou sous une écharpe grise. »
Ce furent ensuite les amours torrides avec Léonora à l'époque où le règne de Brejnev épandait une chape de plomb sur la société russe. Brejnev « ce vieux potentat qui présidait alors aux destinées d'un immense empire, régissant la vie de centaines de millions d'hommes… C'était une époque où le statut d'amoureux libres s'apparentait à celui de vagabonds, de voleurs, de contestataires. »
Sur fond de dictature communiste à travers les décennies jusqu'à l'effondrement du système à la fin du XXé siècle,
Makine nous dépeint non seulement des rencontres souvent éphémères qui sont peut-être autobiographiques, mais aussi l'évolution de la société russe sans qu'il y ait de véritable changement : « Les régimes changent, restent inchangé le désir des hommes de posséder, d'écraser leurs semblables, de s'engourdir dans l'indifférence d'animaux bien nourris. »
« Notre erreur fatale est de chercher des paradis pérennes. »
Un très belle écriture toute en nuances et subtilités : « Plus encore que ce pointillé doux-amer de notre brève séparation, c'est la légèreté planante qui m'enivre, l'apesanteur d'une matinée de mai brumeuse, l'aquarelle transparente des premiers feuillages encore pâles. »
En définitive, au sein de ce désenchantement si bien décrit par
Makine, les femmes demeurent l'ultime rempart contre la misère morale et l'asservissement, elles restent parées de tout leur mystère et leur beauté en dépit de la tristesse lancinante qui émane de ce récit. C'est ce que Vika voulait faire comprendre à Dmitri : une passion brève et intense et une jouissance, partagées ,elles resteront éternellement de douces réminiscences dans les pires moments de l'existence.