Les marronniers de Boulogne

"Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache : un misérable petit tas de secrets."
André Malraux, in "Les noyers de l'Altenburg"

Des noyers aux marronniers, de l'oncle-père au neveu-fils, d'un Malraux à l'autre…
Cet ouvrage n'est pas une Nième biographie d'André Malraux.
Dès le sous-titre, ce "Malraux père introuvable" qui coupe le souffle, on le sait, on est prévenu.
C'est un portrait en creux. Alain Malraux parle de ces quelques vingt-trois ans qu'il a passés dans l'ombre du monument.

Il y est question de l'autre Malraux, celui qui ne se montrait pas, celui qui ne voulait pas voir son "misérable petit tas de secrets" étalé, disséqué, potiné avec gourmandise par les mauvaises langues, avec compassion par les bonnes. Celui qui avait eu à faire face à la disparition de ses deux frères, Roland et Claude, durant la Seconde Guerre mondiale, de sa compagne Josette Clotis, de ses deux fils, celui dont Madeleine, sa belle-soeur puis seconde épouse, disait qu'il avait "toujours vécu avec la mort"…

Caché derrière son personnage, qu'il aura su réinventer au fil du temps, de l'aventurier au résistant (tardif en regard de l'engagement de ses deux jeunes frères, mais flamboyant), de l'écrivain primé au tout premier ministre des Affaires culturelles de France (une fonction créée de toutes pièces pour lui mais dont les limites l'auront rongé), de l'homme engagé dans la guerre d'Espagne à l'irréductible gaulliste (s'il ne devait en rester qu'un…), Malraux a imposé un profil, une stature.
Il a pu faire taire les échos d'une histoire familiale et personnelle douloureuse et compliquée, qui explicite pourtant fort bien les embardées successives de cette intelligence remarquable excluant trop les sentiments pour ne pas faire de dégâts.
Pas question de prêter le flanc, pas question de donner dans l'aveu de faiblesse.
Pas de compassion, pas de complaisance, laisser le "misérable petit tas de secrets" où est sa place, dans les profondeurs inaccessibles à autrui et, malheureusement, souvent à lui-même aussi…

André Malraux ne voulait pas avoir d'enfant. Il en a eu trois : Florence, avec sa première épouse Clara, puis Gauthier et Vincent avec sa compagne Josette Clotis. Il a partagé, plus ou moins, le quotidien de ses deux fils et de son neveu Alain, le fils de son frère Roland et de Madeleine, sa deuxième épouse.
Il a rompu avec chacun de ces quatre enfants, à un moment ou à un autre, toujours pour une mauvaise raison (mais y a-t-il de bonnes raisons pour rejeter un enfant ?), poussé dans ses extrémités, acculé, dans l'urgence d'avoir à préserver son personnage et croyant y parvenir par ce biais.

C'est cela que raconte ce livre, ces relations difficiles mais passionnantes, cette impossibilité à être un père "ordinaire".
Malraux disait :"Je suis en art comme d'autres sont en religion", ce qui laisse peu de place à la vie de famille. Il ne se préoccupait pas des contingences matérielles, le quotidien ne l'intéressait pas. Il était tout entier dévolu à son oeuvre puis/et à son rôle dans le sillage de De Gaulle, à charge pour Madeleine d'assurer la bonne marche de la maison et pour les enfants de raccrocher les wagons sans jamais encombrer le grand homme.
Et il était terrible, le grand homme. Orgueilleux, colérique, blessant. Mais parlant d'égal à égal avec ces gamins qui se devaient "d'avoir le niveau", injonction induite ô combien ardue et injuste mais à laquelle tous se sont appliqués à se plier, avec ou contre lui, dans l'obéissance comme dans la révolte.

Alain Malraux parle du quotidien dans cette maison de Boulogne, de son regard d'enfant sur cet oncle devenu son père, sur sa mère, sur sa soeur la douce Flo et ses frères Gauthier, écrasé par sa filiation, et Vincent le révolté. Une soeur et des frères si doués, si souvent inconscients de l'être.
Il dresse un portrait d'une famille à l'histoire heurtée, confrontée à des drames insupportables sur lesquels Malraux ne mettait jamais de mots. Il dit également quelles personnes remarquables les ont accompagnés, ont su montrer un soutien sans faille, ont accueilli, recueilli, soigné, aidé, supporté, autant que possible.
Il les évoque tous avec infiniment d'amour, d'égards et d'humanité. Il dit les joies, la détresse, les incompréhensions, les découvertes fabuleuses, l'invasion de la politique dans le déroulement des jours, les pannes d'inspiration, les silences, qui vibraient entre ces murs que Malraux a eu tant de mal à quitter.
Il dit comment il s'est construit dans cet environnement si spécifique.

Malraux un père introuvable, comme bien des parents. Qui peuvent offrir beaucoup sur le plan intellectuel, encourager la curiosité, l'ouverture d'esprit, mais sont incapables de démonstrations d'affection et dont les sursauts en ce sens surprennent trop pour que leurs enfants puissent simplement s'en réjouir.

Ce beau livre rend justice à cet homme blessant d'avoir été tellement blessé, et à la valeur inestimable de ce qu'il a pu donner à ses proches malgré cet enfermement progressif dans une forteresse qui ne l'aura préservé d'aucune souffrance, d'aucune épreuve.

Après son divorce avec Clara, André Malraux épouse la femme de son frère décédé, la mère d'Alain. le couple s'installe en 1945 avec leurs trois enfants dans une maison à Boulogne où il reste jusqu'à l'attentat perpétré en 1962 par l'0AS contre Malraux.

Alain Malraux revient sur cette période qu'il a vécue dans l'intimité d'un homme qu'il admire profondément et dont il n'occulte pas les faiblesses ; son appétit de pouvoir, sa prétention, ses mensonges, et surtout aux yeux de l'enfant qu'il a été « son infirmité affective ».

Un témoignage passionnant et évidemment partial qui révèle une part de l'ambiguïté du grand personnage.

Une lecture très lointaine, qui m'avait captivée. Témoignage, récit d'Alain Malraux, plus fils adoptif que neveu (ce qu'il était dans la parenté). Une histoire familiale complexe et le portrait fascinant ,tourmenté d'un homme de génie mais intimidant..
"Tout de même, mon père était mort mystérieusement, et mon oncle avait épousé ma mère-c'était bizarre.
mais l'oncle, c'était papa", et je n'avais pas à m'en plaindre, car il me laissait idolâtrer ma déesse, préposée à la distribution du Bien " (p.37)

"Comme tous les adultes, Malraux m'est apparu immense. Impossible de devenir aussi grand que lui, même quand je serais grand." (p.28)

Le récit d'une enfance singulière auprès d'un père adoptif, flamboyant mais aussi avec des failles et des faiblesses.Un texte passionnant, d'hommage qui offre un portrait nouveau, différent du Grand Malraux...

Alain Malraux nous dévoile la vie personnelle de ce grand écrivain qu'était André Malraux. Cette homme qui a perdu ses deux frères à la guerre, et qui a vécu avec 4 femmes, demeure bien mystérieux. Après la mort de ses deux frères et de sa seconde femme, il se mariera avec sa belle-soeur. le fils de cette dernière, Alain, deviendra le fils adoptif d'André. Lequel aura perdu ces deux premiers fils lors d'un accident de la route. Alain vivra un certain nombre d'année avec André Malraux. On y découvre un homme imbu de lui-même et pas très aimable. Il y a beaucoup de bémols dans ce livre : une écriture pas simple, des phrases tarabiscotées et pour couronner le tout, on se demande si on ne lit pas la biographie de Alain Malraux, plutôt que celle d'André Malraux.

Indispensable pour qui veut en savoir plus sur Malraux