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L'Île des esclaves" est une pièce courte, en un acte et 11 scènes, tout à fait accessible, même si certains mots ont des sens un peu différents d'aujourd'hui -
Marivaux utilise encore le langage classique de la comédie, mais épuré par rapport à
Molière, par exemple, qui peut être difficile à lire maintenant si on n'en a pas l'habitude.
Cette courte comédie en prose a pour lieu une île antique, où les esclaves se sont réfugiés et ont instauré une République : d'abord livrés à la vengeance, ils ont tué les maîtres, puis ont décidé de mettre en place des lois pour les corriger, leur faire voir qu'ils ne devaient pas abuser de leur situation sociale, leur condition au sens classique. Comment ?
L'idée est de renverser les rôles, de mettre pour un temps les serviteurs à la place des maîtres, pour faire comprendre à ceux-ci qu'une fois à la place de leur esclave, leur vie n'est pas facile. On se doute bien que le propos est d'ordre égalitaire, et qu'un valet comme Arlequin, issu de la tradition italienne, fera de cette situation une occasion en or pour le discours sur les inégalités, ainsi que pour le comique, du reste. Cléanthis, la servante, n'est pas de reste, et le passage où il jouent à se faire la cour en imitant leurs maîtres, sur un mode précieux décalé et un peu bouffon, est un grand moment.
L'émotion est également présente, car sous les apparences de la hiérarchie sociale, peut-être la jeunesse peut-elle tout changer, car maître et valet, comme maîtresse et servante, se vouent une véritable affection, et chacun fait au mieux avec la situation. On passe du rire aux larmes, de l'ironie piquante aux sentiments affectueux.
C'est aussi un peu du
théâtre dans le
théâtre, car les personnages échangent véritablement leurs costumes, mais il n'y a pas de méprise, chacun(e) sait qui est l'autre. Trivelin, le chef de cette île, distribue les rôles et en quelque sorte, les "bons points", lorsque maîtres, mais aussi serviteurs, progressent dans leur prise de conscience et respect de l'autre.
J'ai goûté le style enlevé de cette pièce, mais j'ai finalement été un peu déçue, car je m'attendais à un discours plus incisif sur l'inégalité ; or, on peut dire que
Marivaux joue avec la situation, mais ne révolutionne pas la société, même si certaines répliques ont un accent anti-esclavage. On est sans cesse conscient que c'est "pour jouer", et non un vrai projet utopique.
Par ailleurs, je ne me suis pas vraiment sentie partie prenante des sentiments des personnages, je suis restée un peu en dehors. Sans doute que sur scène c'est différent. Il est vrai aussi qu'en
théâtre,
Marivaux n'est pas mon préféré - à la même époque, je préfère
Beaumarchais (mais il vient après
Marivaux chronologiquement, les temps avaient changé).