Il reste à savoir de quelle nature sont les plaisirs de l’amour ainsi codifiés dans ce précepte. En prenant appui sur les formulations quelque peu stéréotypées des troubadours et en se référant à la soi-disant morale chrétienne de l’époque, les médiévistes ont tous insisté sur l’aspect spiritualiste de l’amour courtois, niant la réalité physique de cet amour et faisant appel à un certain platonisme revu et corrigé par la scolastique. Pour ces médiévistes, les plaisirs de l’amour ne peuvent être qu’intellectuels ou spirituels et se confondent avec un grand élan mystique vers le parfait et l’absolu.
Le baiser est le véritable signe de la joie que le parfait Amour apporte par les yeux, dont il fait une porte claire, pure et lumineuse où il se voit et se mire souvent, quand il va et vient, dedans, dehors, et pénètre d’un cœur à l’autre. Et il rend ces cœurs si pleins l’un de l’autre que chacun pense défaillir quand l’autre lui manque s’il ne le voit aussitôt dans le miroir où leur désir les fait venir s’embrasser, se baiser, s’étreindre et prendre joie si subtile qu’ils en oublient toute pensée et tout souci tant que dure leur plaisir.
Cependant, au XIe siècle de notre ère, apparaît une réalité aveuglante,
tellement aveuglante que personne ne l’avait encore vue, à savoir l’existence de la femme à côté d’un être masculin. On dira que ce n’est pas nouveau, et que l’humanité en a eu conscience depuis l’aube des temps. C’est sûr. Mais ce qui est inédit, c’est que cela se passe dans une société chrétienne essentiellement bâtie pour des mâles, par des mâles, une société qui n’admet les femmes que pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des êtres inférieurs. Le message de saint Paul, déformé par les Pères de l’Église, a été reçu, et il a été appliqué. Au début du XIe siècle, plus que jamais, la femme est la servante de l’homme en ce sens qu’elle aide l’homme à parvenir à la plénitude.
Ceux qui se vantent le plus de leurs succès auprès des femmes sont ceux qui, en réalité, en font le moins.
Le mal, c’est la violence, c’est la vulgarité, c’est le manque de discrétion. Le bien, c’est aimer honnêtement.
POÉSIE MÉDIÉVALE – Qu’est-ce que BROCÉLIANDE ? (France Culture, 1993)
L’émission « La matinée des autres », par Jacqueline Kelen, diffusée le jour de noël 1993 sur France Culture. Invités : Jean Markale, Claudine Glot, Philippe Le Guillou, Pierre Dubois, Patrik Ewen et Jean Thos.