Cletus, jouisseur mondain de l'entourage de Néron se tourmente du sort qui lui est fait et s'afflige de l'impermanence et de la fragilité de toute chose, dans une geôle romaine qui lui offre des conditions carcérales épouvantables et désespérantes. Il y craint une mort douloureuse et crasseuse en compagnie des rats.
Pourquoi ? Lui qui avait connu une existence pleine de plaisirs, d'éclat, de gloire, s'était autorisé à être meilleur poète que son maître. Sa petite étoile qui semblait vouloir étinceler davantage que le soleil impérial a donc été éteinte par les ténèbres arbitraires et jalouses de l'empereur.
Dans sa ténébreuse geôle, il fait la connaissance d'Ostanès, Adiabénien, qui lui déclare, dans une amorce de conversation, vite interrompue par celui-ci, ne pas craindre la mort. Etonnement de Cletus car, selon lui, tout le monde craint la mort.
Un jour, à l'acmé du désespoir de Cletus, arrive un vieux prisonnier accompagné d'un décurion respectueux qui l'installe du mieux qu'il peut en ce lieu privé de lumière et d'espérance. Ce vieil homme, si bien traité par le geôlier, va bouleverser les certitudes de ses nouveaux compagnons d'infortune.
Pour l'heure, il suscite la curiosité d'Ostanès qui, jusqu'à présent, n'a marqué qu'un mépris silencieux envers Cletus. S'instaure entre l'Adiabénien, à la spiritualité ombrageuse, et celui qui se révélera être un Juif dénommé Shimon, d'une étonnante équanimité, un dialogue empreint de sodalité. En effet, ils ont en commun un Dieu à l'origine de toute chose.
Pas le même, cependant ; car si le royaume d'Adiabène s'est converti au judaïsme au début du premier siècle de notre ère, reniant ainsi le culte mazdéen de l'empire parthe, Ostanès lui demeure fidèle et rappelle que l'eschatologie zoroastrienne annonce la venue d'un Sauveur (un saoshyant, ou çoshyant) qui naîtrait d'une vierge. Shimon y voit une correspondance étonnante entre la prophétie de Zarathoustra et le messianisme des Juifs.
Cletus, à la fin de sa vie, se souvient, dans une longue lettre qu'il adresse à son fils (spirituel) Titus Flavius Clemens (martyr appartenant à la tradition judéo-chrétienne, sous Domitien), que ces échanges entre Ostanès et Shimon, ont conduit ce dernier à leur conter une histoire qui devait changer le destin du Romain désespéré qu'il était dans cette geôle, l'histoire de Yeshoua.
Il s'agit d'un roman historique et non d'une énième paraphrase du nouveau Testament ou vie de Jésus, comme il en a été écrit beaucoup. Le parti pris de l'auteur nous fait pénétrer de façon plausible, la réalité de la vie de l'époque, de ses moeurs, de sa mentalité.
Il prolonge la narration elliptique ou sommaire du texte biblique en développant de manière tout à fait vraisemblable, par des dialogues réalistes, l'état d'esprit de ces disciples tellement désorientés et hésitants face à la parole absconse de Jésus.
Denis Marquet décrit avec la précision d'un historien-archéologue (il s'est rendu sur place pour respirer cette atmosphère) l'univers de ces pêcheurs qui pêchaient nus, en lançant de leur barque, sur le lac Tibériade, leur tramail, celui des religieux influents, celui des zélotes remuants, etc. ; ce qui nous permet de comprendre la diversité des origines des disciples de Jésus, des hommes frustes et modestes, des savants versés dans la loi, des profiteurs à la solde de Rome, des Nazaréens prétentieux, etc.
Une communauté assez indocile, traversée par l'envie, la jalousie, la vanité, le manque de foi, bref, traversée par les faiblesses humaines de tout un chacun, contrastant avec l'amour que leur manifeste Yeshoua. D. Marquet insiste aussi sur le rôle et la présence des femmes dont la compagnie a toujours été agréable à Jésus, au grand dam de ses disciples.
Il nous fait mieux comprendre, enfin, le malentendu né entre Yeshoua et le peuple juif dont une partie voyait en lui, ce Messie des prophètes qui devait délivrer Israël de Rome et asseoir ici et maintenant la domination de Dieu sur l'ensemble des nations par l'intermédiaire d'une nouvelle Jérusalem dominatrice.
Il donne ainsi de l'épaisseur, de la chair, de la vie au récit biblique que nous connaissons, de l'enseignement de Jésus à sa passion.
L'auteur propose également un autre regard sur Judas, ce disciple traître (de nécessité ?), qui a semblé, en définitive, un pion sur l'échiquier de Dieu dont le plan le dépassait et pour qui le Roc exprime une compassion absente du nouveau Testament. La situation de Judas m'a toujours rendu perplexe…
A la fin de l'histoire, Ostanès perçoit la présence de Yeshoua à ses côtés. Il mourra serein, dans la lumière du Christ. Le Roc sera délivré de sa prison, mais pour marcher vers son martyre. Cletus, ou Anacletus, après la mort de Néron, retrouvera la liberté. Il abandonnera son ancienne existence dont la rencontre avec le Roc, trois ans plus tôt lui avait fait comprendre la vacuité. Il serait devenu, selon la tradition catholique, le troisième évêque de Rome.
Enfin, ce beau roman est une source d'érudition philologique autant que théologique, car il apporte des précisions sur la signification de mots ou d'expressions que les traductions d'une langue à l'autre (araméen, hébreux, grec, latin, puis français – cela fait beaucoup) ont pu faire varier, parfois jusqu'au contresens, sans que le lecteur d'aujourd'hui de la Bible en soit conscient.
L'on comprend ainsi pourquoi l'auteur préfère surnommer Shimon, le roc, plutôt que pierre ; pourquoi il nous invite à ne pas confondre, éternité (souvent citée dans la Bible) et indétermination du temps (dont on ne connaît précisément pas le terme, car il nous demeure caché), pourquoi, il faut se méfier de la phrase des béatitudes, «heureux les pauvres d'esprit», et saisir son sens véritable à savoir, heureux ceux qui ont conscience de leur pauvreté spirituelle et qui mendient la présence de Dieu, etc.
Tout à fait passionnant, vraiment …
Pat
Commenter  J’apprécie         72
Parce que j'ai entendu parler de ce livre durant mes heures de théologie ou d'aumônerie, parce qu'il m'a été conseillé lors de mon voyage en Israël et Palestine.
J'avoue que le style d'écriture n'est pas toujours simple à comprendre et à digérer, rien que par la mise en forme: il faut ainsi savoir quand est-ce que l'on est dans du récit (les témoins de Jésus et le début de ses Paroles en tant que Messie, vus par les 12 apôtres) et quand est-ce que l'on est dans l'échange entre les prisonniers (pour revenir sur le 1er récit)… Pour moi, il faut de la concentration.
Le rythme est là mais rapidement les paroles de Jésus sont nommées telles qu'elles ont été retranscrites par les Evangiles et peut parfois donner l'impression que l'on veut tout aligner: pour montrer la complexité de cette période ou pour montrer son "savoir" de la part de l'auteur?
Le point positif est que beaucoup de lieux me parlent pour y avoir été durant mon voyage en Terre Sainte et ainsi, l'intrigue me touche un peu plus.
Livre tout à fait intéressant mais qui mérite de prendre le temps de le lire pour bien tout comprendre.
Commenter  J’apprécie         40
Un roman passionnant !
Claudius Cletus est romain et écrit son testament à son fils. Il lui raconte cette rencontre incroyable, trente ans auparavant avec Shimon, disciple de Yeshoua le Nazaréen alors qu'ils étaient enfermés ensemble dans une geôle de Néron. Shimon, appelé aussi le Roc, raconte avec passion sa rencontre avec cet homme Jésus le Nazaréen qui changea sa vie et celle des disciples. Par ce récit, nous sommes plongés au coeur des relations entre Jésus et ses disciples. Nous percevons leurs hésitations, leur doutes, leur avancées et leur recul. La confiance petit à petit s'imposera à eux quand ils auront pris la mesure de ce Don que Dieu leur a fait…
Tout simplement magnifique ! Merci pour ce cadeau !
Commenter  J’apprécie         60
En vérité, partout sur cette terre, la vie devrait être belle. Mais l'homme s'acharne à la gâcher. Ni l'appétit de domination des puissants ni la rage de possession des possédants ne se satisfont d'aucune limite. Et c'est toujours un petit nombre qui, faute de savoir être heureux du trop qu'il a, prive du nécessaire ceux qui ne demandent, pour rendre grâce à Dieu, que de quoi subsister.
"Tu es un homme instruit, mais rien de ce que tu as appris ne t'as approché de Dieu. Si tu étudie pour te remplir de savoir, quel espace trouvera en toi Le Souffle Saint ? N'étudie que pour creuser ton âme, comme on évide une roche pour y tailler la jarre qui recevra l'eau de la purification. Si tu cherches la connaissance pour te grandir, tu n'y trouveras pas Dieu, car sa voix de silence ne murmure qu'aux tout petit. Les savants croisent la vérité sans jamais la rencontrer, parce qu'ils ne cherchent et ne voient que ce qu'il ne peuvent posséder. "
Tu veux dire, suffoquai-je, que Yeshoua a révélé être le messie... A une femme, et, de surcroît, de Samarie ?
- Eh oui, se réjouit Iohanan... Je crois qu'il n'a pas fini de nous surprendre.
- Est-il le messie des Juifs ou des Samaritains ? grondai-je.
- Je crois que ces distinctions n'ont pas de sens pour lui. Rien de ce qui sépare ne semble avoir de sens à ses yeux. Lorsque Philippos et Nathanaël sont revenus avec des provisions, ils ont jeté à la Samaritaine un regard de méfiance et elle s'est éclipsée. Un peu plus tard, nous l'avons vu revenir. Elle que les siens avaient rejeté, elle avait réussi à en ameuter des dizaines ! Nous sommes restés deux jours à Sychar, au milieu des foules. Il n'a donné aucun signe, il leur a juste parlé. Avec quelle ferveur ils l'écoutaient, hommes, femmes, même les enfants... Quand nous les avons quittés, plusieurs ont dit : "C'est le Sauveur du Monde."
- Du monde ?
- C'est ce qu'ils ont dit. Il semble que le messie qu'ils attendent n'est pas celui des Samaritains, mais un Sauveur universel. C'est sans doute pour cela qu'ils ont accepté d'écouter un Juif..."
"Mais nous, questionnai-je, n'est-ce pas le messie des Juifs que nous attendons ?"
Iohanan, regard dans le vague, demeura sans répondre un long moment. Puis il reprit :
"II l'a dit. Mais non que celui-ci était à leur seul usage [...]
"Vous attachez tant d'importance à ce qui pénètre en vous, et si peu à ce qui en émane, nous sermonna t-il. Comment ce qui entre dans l'homme pourrait il le souiller ? Seul ce qui sort de l'homme peut le rendre impur ! C'est à l'intérieur de vous, dans votre coeur, que naissent les pensées de séparation qui vous conduisent aux tentations de débauche, de vol, de meurtre, d'adultère, de cupidité, de malveillance, de ruse, d'orgueil... C'est cela qui vous coupe de Dieu. Mais il est plus facile de vous protéger du contact avec les païens que de veiller sur vos pensées !"
Éléments de philosophie angélique
Patrice van Eersel nous parle du dernier livre de Denis Marquet : "Éléments de philosophie angélique", éd. Albin Michel.