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EAN : 9782889600007
304 pages
La Baconniere (17/05/2019)
3.67/5   3 notes
Résumé :
La question des drogues est une question sociétale avant tout, pour laquelle toute personne a un avis et porte un regard, qu’elle soit concernée, ou non, par cette thématique. Les « dealers » et les « toxicomanes » font partie des « personnages publics » des sociétés industrielles, les consommations de produits psychotropes existent, quant à elles, depuis des siècles et elles sont encore présentes dans certains pays sous forme de rituels et d’initiation. Le Quai 9 e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je remercie Babelio et les éditions La Baconniere pour ce livre on ne peut plus actuel.
Je suis médecin traitant, et en contact avec des personnes usagères de drogues dans ma pratique quotidienne, et c'est pourquoi j'attendais beaucoup de ce livre. Je n'ai pas été déçue.
On commence la lecture par une partie historique, éthique et législative autour de la drogue, ou plutôt des drogues.

« L'usage des plaisirs est pris en charge par une double problématique, éthique et médicale. Médicalement, comment prendre du plaisir sans se rendre malade ? Ethiquement, comment prendre du plaisir en gardant le contrôle de soi-même ? le point commun de ces deux questions est de mettre en évidence que le plaisir n'est pas que la résolution d'une tension, auquel cas il ne serait qu'un soulagement et donc un point d'arrêt facile à déterminer. le plaisir est aussi une énergie, il est cette dynamique propre qui porte à la démesure, à l'excès, à l'oubli de soi et au mépris des limites. »

« D'autre part, on pourra toujours remarquer que la législation des drogues est hypocrite, en favorisant des produits de consommation historique, comme l'alcool et le tabac, dont la dangerosité sanitaire et sociale est incomparablement plus élevée que celle de certaines drogues illicites. »

« De même, et de manière plus large encore, elles peuvent aussi être l'occasion de nous demander pourquoi n'accepterions-nous pas « la chimie pour nous stimuler, ou nous divertir », alors même que « nous acceptons d'utiliser la chirurgie pour nous embellir » (Pharo, 2017). »

« Selon Rush, la personne qui devient dépendante d'un produit perd sa faculté de jugement et son libre arbitre. Il faut donc le contraindre à revenir sur le droit chemin, par la force si nécessaire. »

Les témoignages sont pleins de vérités et de courage.

« La drogue, j'aurais voulu ne jamais la connaître. C'est pas une vie, mais en même temps elle m'a aidée à survivre. À choisir, j'aurais préféré être dépendante du chocolat ! »

« La drogue ? Je ne souhaite ça à personne. J'ai commencé pour oublier mes soucis, mais finalement c'est encore pire qu'avant. Je ne trouve pas de solution, je tourne en rond. »

Les pages où ils sont développés sont vides d'images, permettant de se concentrer sur les textes. Et à l'inverse les pages imagées contiennent des mots détachés, poétiques, importants mais discrets car les images parlent d'elles même et rendent les mots presque superfétatoires.

Au travers des seize témoignages donnés ici au fil des pages, on découvre autant de témoignages que de personnalités et d'histoires personnelles forts différentes. On a l'habitude, et je parle ici en tant que citoyen lambda, de considérer les consommateurs de drogues, ou « drogués » comme un seul groupe. Et c'est là qu'on fait une énorme erreur. Il ne faut pas oublier que chacun d'eux est avant tout un être humain à part entière. En tant que médecin traitant, je suis en charge de plusieurs patients sous méthadone. Ils ont autant besoin de leur médicament / drogue (car la méthadone est aussi une drogue) que d'écoute, idéalement bienveillante.


« ...les personnes qui sont dépendantes de produits psychotropes légaux, tels que l'alcool ou le tabagisme, ne s'associent pas au public que l'on nomme « toxicomane ». Leur dépendance est peut-être moins visible, voire moins dérangeante, mais les conséquences n'en sont pas moins délétères pour la santé. »

« De plus en plus de pays dépénalisent l'usage des stupéfiants, offrent des moyens sécurisés de consommation, remettent la santé et les droits de l'individu au centre des politiques. »

« Ainsi, un schéma commence à émerger : nous faisons systématiquement des différences entre les substances d'après qui les utilise, comment elles sont administrées, et à quelles fins, et ceci indépendamment du fait que les principes actifs des substances sont quasi identiques. »

Ce que je trouve très bien et très important, c'est le fait d'insister sur l'importance de la coopération entre les usagers et les politiques pour tenter de minimiser les problèmes et surtout les conséquences de la consommation massive de drogues.

« Nous sommes conscients que le chemin va être encore long et difficile mais intégrer les usagers dans le processus de réflexion est une évidence. le fait que les professionnels de la santé prennent en compte nos revendications ainsi que notre expertise ne peuvent qu'améliorer la situation. » dixit Mr Boris Jeanmaire, vice-président d'une association d'usagers.

La grosse difficulté fut l'installation du Quai 9 à Genève... D'abord le choix de la localisation, assez proche des consommateurs pour être justifiée, mais pas trop à l'écart pour éviter de mettre en danger autant les usagers que les travailleurs. Puis l'acceptation politique, qui aura pris plus de dix ans. Et enfin l'accord des citoyens voisins du local, commerçants et particuliers... mais on y arrive finalement, en décembre 2001, Quai 9 est ouvert.

« Seringues, déprédations, vols : les plaintes s'accumulent au fil des mois et la presse à sensation en fait ses choux gras. Les commerçants du voisinage immédiat sont en première ligne et réclament des mesures de sécurité. Christophe Mani rappelle à tout va que l'espace d'accueil n'a pas amené la toxicomanie dans le quartier, où elle était déjà. Mais le message peine parfois à passer. »

« Les chiffres sont impressionnants : au-delà d'une diminution générale, aucune nouvelle infection n'a été enregistrée parmi les personnes usagères de drogues depuis 2003 ! » dixit une étude publiée en 2004

Je crois que ce que j'ai le moins aimé dans cette lecture c'est le format du livre. Il est trop large pour être facile à transporter et à lire. Ainsi, j'ai eu quelques difficultés pour lire les essais vu la longueur des lignes. Mais dans un livre plus petit, on aurait perdu beaucoup du côté des images... donc ne changez rien.
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Ce bel ouvrage aux tons bleu sombre à noir en passant par quelques zones de couleurs intenses, jaune, verte ou rose vif et à la couverture au toucher « duveteux », « soyeux » et agréable, propose une approche différente des lieux communs habituels sur les drogues et leurs usagers.

Il nous invite au travers une préface de Frédéric Orobon, riche en questionnement sur, notamment, la liberté individuelle, l'action des pouvoirs publics (au niveau de la sécurité), la responsabilisation des usagers, la notion et le concept de « drogues et plaisirs », la dépendance, le contrôle de soi, l'usage des plaisirs comme apprentissage, la dépénalisation et la notion de « risques acceptables », le rôle de la drogue dans notre société occidentale en regard de certains continents ou pays du monde qui les considèrent comme un accès à la « connaissance » à la sagesse… il nous invite donc, à reconsidérer notre vision des choses, au-delà des préjugés usuels, à développer une vision « neuve », sans être systématiquement dans le jugement et les aprioris.

C'est aussi, une approche « artistique » au travers des « cahiers photographiques » (commande de l'association Première Ligne) de Max Jacot qui nous donne à voir des images dédoublées, fractionnées, morcelées, décalées, avec des couleurs vives, des flous et des superpositions, accompagnées de textes à la présentation stylisée : cela raconte le bouillonnement et l'agitation de notre société « moderne ».

On y voit des silhouette, des mains, des personnages de dos, pas de visages entiers par respect évident de l'anonymat des usagers. Ces images et ces textes leur redonne pourtant une « existence », une reconnaissance et une dignité en les « humanisant » (en faisant correspondre et en montrant des photos concrètes de véritables « gens » par opposition et/ou en complément des concepts énoncés et des dissertations abstraites sur le sujet).

Il rassemble aussi 16 témoignages : de ceux qui fréquentent le site « Quai 9 » à Genève, de riverains, de professionnels, de consommateurs, de proches. En donnant la parole aux habitants du quartier aussi, le livre tente de relativiser les aprioris et de réduire l'écart existant entre l'opinion générale et la réalité des usagers.

L' association « Première Ligne » (initiatrice du projet « Quai 9 »), dont l'auteur, Martine BAUDIN en fut la présidente de 2010 à 2018, propose des prestations d'écoute, d'accueil, de soutien au quotidien pour gérer la dépendance ; de prévention (hygiène et conseil techniques sur la consommation) ; des soins de santé primaire en cas d'overdose par exemple et une permanence « psy » ; du matériel stérile pour la consommation et un espace sécurisé pour la consommation sous surveillance d'un professionnel. Elle a aussi plusieurs « missions » : celui de promouvoir les comportements de prévention, d'encourager le maintien du lien social avec la limitation des situations d'exclusion ; celle de rétablir les contacts avec les personnes en rupture avec les services sociaux et médicaux (Source : premiereligne.ch).

Ce projet intéressant et ambitieux ne se lit pas comme un roman. Il mérite réflexion, retour en arrière, relecture, analyse attentive des images et de leurs interprétations possibles. Cet ouvrage questionne, nourrit la réflexion, et pousse à la recherche d'éléments complémentaires sur le net.

La combinaison des trois formes de présentations : essais, témoignages et photos artistiques, brise l'effet rébarbatif que pourrait avoir la succession des « essais » qui ne sont pas forcément à la portée du lecteur lambda, et le « montage » des trois formules compose un ouvrage artistique à part entière et à lui seul. L'originalité qui s'en dégage (par son format aussi) éveille immédiatement la curiosité et fait naitre le besoin d'en « savoir plus » sur la question et d'aller « plus loin ».

Pour finir, j'évoquerai le fait que le livre aborde le sujet des différentes drogues par le prisme de la marginalisation et l'exclusion sociale puisqu'il s'agit de la présentation du projet « Quai 9 ». Certes ces usagers doivent être « aidés » et soutenus prioritairement. Mais qu'en est-il du concept du « toxicomane « mondain » ou du « businessman » ? Est-il mieux toléré parce qu'invisible ? le « public » développe sans doute plus d'indulgence pour cette catégorie de « drogués » car « ceux-ci n'ont pas le visage de la détresse sociale généralement associée à la toxicomanie ». Je me posais cette question au passage, mais tel n'est pas l'objet de ce superbe ouvrage qui m'a « ouvert les yeux » sur un monde dont je ne suis pas familière et qui m'a fait considérer les choses sous un angle novateur loin des clichés habituels.

Merci aux Editions La Baconnière et à la Masse Critique de Babélio pour cette découverte édifiante et passionnante !

Vous trouverez plus de détails sur mon site (notamment des informations sur l'association Première Ligne et le projet "Quai 9 à Genève):
Lien : https://www.bouquinista.net/..
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" La drogue je ne souhaite cela à personne. J'ai consommé pour oublier mes soucis, mais maintenant c'est encore pire qu'avant. Je ne trouve pas de solution, je tourne en rond." Amine, résidant à Quai 9
Quai 9, situé , juste derrière la gare, à Genève. est un lieu où les toxicomanes peuvent venir consommer leur produit dans un environnement sécurisé" insistent les responsables.

L'endroit a du succès. 300 nouvelles personnes viennent s'inscrire à Quai 9 chaque année.
Ce beau livre, qui rassemble plusieurs thèses et études sur ce lieu, nous présente cet endroit assez à part et nous fait réfléchir sur la question de la dépendance aux drogues et la façon dont les pouvoirs publics la gère actuellement.. Un ouvrage un peu trop théorique et intellectuel mais qui reste interessant sur ce qu'il raconte, merci à babelio et l'éditeur première ligne pour ce masse critique !
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
 L’usage des plaisirs est pris en charge par une double problématique, éthique et médicale. Médicalement, comment prendre du plaisir sans se rendre malade ? Ethiquement, comment prendre du plaisir en gardant le contrôle de soi-même ? Le point commun de ces deux questions est de mettre en évidence que le plaisir n’est pas que la résolution d’une tension, auquel cas il ne serait qu’un soulagement et donc un point d’arrêt facile à déterminer. Le plaisir est aussi une énergie, il est cette dynamique propre qui porte à la démesure, à l’excès, à l’oubli de soi et au mépris des limites. 
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Réduire un consommateur à son strict lien avec un produit psychotrope empêche de porter un regard différent sur cette personne et de comprendre ce qu’elle vit aussi, hors de la consommation.
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La prévention est une sorte de mot magique, qui a réuni derrière lui tous les suffrages, de tous les bords politiques. Sur l’idée seulement, bien entendu.
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