"...after I count down three rounds, in hell I'll be in good company."
(The Dead South)
Il serait de bon ton de placer symboliquement "
Le Trône de Satan" en tant que ma 666ème critique.
hélas, le chemin à parcourir est encore long, et, entre nous, je ne suis pas certaine que cet opus mastertonien mérite ce privilège tropologique. J'ai même un peu peur que d'ici quelques mois, il risque de disparaître complètement de ma mémoire dans un petit nuage de soufre.
Le roman date des années 80, une période de grande effervescence créative de Graham (qui a vu apparaître des merveilles comme "
Tengu", "
Le Miroir de Satan", ou "
Le Portrait du Mal"), mais on peut difficilement le compter parmi ses plus grandes réussites.
Ce n'est pas particulièrement bien écrit, le scénario est parfois bancal, les dialogues prêtent à sourire, et la fin est tellement tirée par les cheveux qu'on a du mal à réprimer une furieuse envie de se gratter la tête, après avoir refermé le livre.
Et pourtant... c'est tout de même diablement efficace !
Une fois n'est pas coutume, Graham ne nous ménage aucun languissant moment de détente avec des saynètes torrido-érotiques qui tombent toujours comme un cheveu sur la soupe en plein milieu d'un passage fabuleusement terrifiant (sage décision !), il n'a pas peur de recourir aux pires clichés du genre (ce qu'on peut difficilement lui reprocher, dans un roman classé "horreur") et tout s'enchaîne tellement vite que la moindre pause dans la lecture semble être un sacrilège.
Dans ses histoires, l'auteur ne dissimule pas sa fascination pour les légendes et les objets maléfiques : miroirs, lampes, tableaux... et cette fois-ci il a mis la barre très haut, avec une pièce de mobilier qui représente une porte vers le Mal Suprême en personne - "le plus savant et le plus beau des anges", comme l'appelait
Baudelaire, qui n'a malheureusement pas pu profiter de l'oeuvre littéraire de Graham pour s'instruire.
"
Le Trône de Satan" est donc primairement un roman d'horreur. Mais c'est aussi un livre plein de sagesse, car il ne fait que confirmer sans réserve le dicton populaire "quand c'est gratuit, c'est toi le produit".
L'antiquaire Rick Delatolla n'a jamais voulu de ce hideux fauteuil tentaculaire en acajou sculpté : un beau jour, un gars avec un camion bourré d'antiquités s'arrête devant sa porte, et déballe tout un tas d'objets hétéroclites au prix dérisoire. le temps que Rick se renseigne par téléphone chez l'ex-propriétaire de cette satanée chaise (seul objet qui vaut quelque chose dans le lot), l'homme est déjà parti.
Si, comme moi, vous pensez que Rick va désormais passer tout son temps assis sur le Trône afin de s'imprégner de ses pouvoirs et libérer le Mal en lui, vous vous trompez. Rick est un homme heureux qui tient à préserver son bonheur, et il va tâcher de se débarrasser de ce fauteuil par tous les moyens. Il n'a pas tort, car depuis qu'il est devenu l'heureux propriétaire de l'antiquité tant convoitée par certains, sa vie est devenue - excusez le clic
hé ! - l'enfer sur terre. Je vous laisse découvrir le reste...
Tout compte fait, c'est une lecture qu'on ne regrette pas. L'histoire est rapide et efficace, l'Enfer mastertonien présente quelques agréables similitudes avec celui de
Dante, c'est amusant (sans oublier deux, trois authentiques frissons), et on peut même en tirer quelques utiles leçons de vie.
Par exemple, que même les objets incroyablement moches peuvent avoir une grande valeur pécuniaire, et qu'on trouvera toujours quelque snob désireux de les acquérir à cause de leur provenance. Que ce soit le peigne d'Elvis ou
le Trône de Satan. Il se pourrait que leur véritable pouvoir soit identique.
Mais aussi, comme je disais plus haut, que les choses se compliquent encore davantage quand on vous fait miroiter gratuitement quelque objet "de valeur". Vous pouvez être sûrs et certains qu'il y a toujours quelque diablerie cachée là-dedans... toujours ! 3/5, pour le bon moment passé avec le livre.