"Have you seen Jack-in-The-Green
with his long tail hanging down ?
He quietly sits under every tree
in the folds of his velvet gown"
(Jethro Tull, "Jack-in-The-Green")
Quelques notes de la flûte d'Anderson, et on pense tout de suite à ce personnage poétique du folklore anglo-saxon, qui fait reverdir la nature au printemps.
Mais Janek-le-Vert de
Masterton est l'antithèse même du gentil Jack. Certes, il fait reverdir les près et assure une récolte abondante, mais uniquement au prix d'un sacrifice humain. Bref, c'est assez immonde...
Graham est plein de ressources, et il nous gratifie régulièrement d'histoires inspirées de légendes irlandaises, indiennes ou japonaises. Il n'hésite pas à faire un tour chez
Lovecraft, Carroll ou Wilde. Mais de quelle poche a t-il sorti cette "légende tchèque" du Voyageur Vert, ça restera pour moi un mystère éternel.
Mais peu importe. Mes recherches infructueuses sur ce Janek pseudo-slave ne m'ont pas empêchée de me délecter de l'horreur mastertonienne, ni de lancer sans arrêt un regard en biais sur les branches de la glycine ondulant derrière la vitre, tandis que je lisais "Le
sang impur".
Le mélange de Graham est assez osé. D'un côté cette légende médiévale, et de l'autre la génétique moderne, la politique et les militants pour les droits des animaux. On pourrait penser que cette mayonnaise teintée de sang, tripes et cochons génétiquement modifiés ne prendra pas, ou tombera dans le ridicule - mais Graham s'en sort en brandissant haut son fouet.
Qui (ou quoi) est donc ce Janek-le-Vert, mi-homme, mi-buisson, qui parcourt le monde en compagnie de ses répugnants acolytes : le Témoin, le Bretteur, le Docteur, le Lépreux et les jumeaux Lame et Nue ? (Ils ne sont pas sans rappeler les Cénobites de
Clive Barker.) Ses taux d'intérêt sont bien plus élevés que chez le gentil bonhomme Cetelem, et c'est pour cela que Terence Pearson décide de décapiter ses propres enfants à la serpe, afin de les épargner d'un sort mille fois pire encore. Car le Voyageur Vert peut promettre une bonne récolte aux fermiers désespérés, mais seulement en échange d'une partie molle et précise de leur corps, le temps venu. Dans ce monde, on n'a rien pour rien, et il faut bien se nourrir. Et aussi continuer sa lignée, de préférence en abusant de la femme du fermier.
Ce "
sang impur"... Terence sait qu'il l'a, ainsi que sa petite Emily, la seule qui échappe au massacre grâce à l'arrivée de la police. Mais il est trop tard, et Janek-le-Vert et sa bande puante (
Masterton a un véritable don pour décrire toutes sortes d'odeurs !) sont déjà sur le chemin, pour réclamer leur dû.
Et le fait qu'un morceau de cerveau du petit George assassiné se retrouve implanté dans la tête du plus grand cochon d'Amérique n'arrange pas vraiment les choses ! Tout le monde veut retrouver la petite Emily. Que va t-il se passer après ?!
Ah, Graham ! J'aurais pu te coller tes cinq étoiles... !! Je te pardonne volontiers cette légende slave imaginaire, car je la trouve géniale, et elle fout vraiment les pétoches. Presque autant que les modifications génétiques dans le monde réel, et les questions d'éthique qu'elles soulèvent. Je te pardonne aussi les Tchèques immigrés dans l'Iowa qui embrassent les icônes de St. Venceslas, la "région inculte de Brno" (quoique !), la confusion entre "Bohême" et "bohémiens", les mots massacrés, et même les prêtres Boii officiant en secret au temps de la Grande Moravie...
Mais ces trente deniers de Judas, fondus avec de l'argent du Temple de Jérusalem, qui portent une inscription en tchèque moderne... Graham !! C'est plus fort que la slivovitz clandestine !
En tout cas, si vos plantations se fanent, et si vous entendez quelqu'un frapper, frapper et frapper à votre porte, n'ouvrez surtout pas ! Et méfiez-vous de la couleur verte, bien évidemment...
"Juré, craché, tu te tranches les tripes, et tu fuis le buisson qui a la trique."