Eric Maurin nous propose trois leçons sur l'école républicaine : trois sujets de controverse, trois études fouillées dans un périmètre établi et précis, trois conclusions et ouvertures sur l'éducation en France.
Le première question est probablement la plus épineuse, puisqu'elle revient sur la circulaire de 1994 sur l'interdiction du port de signes religieux au sein de l'école.
Eric Maurin avance avec précaution ses hypothèses, selon lesquelles on peut distinguer deux groupes de jeunes filles concernées par cette circulaire : celles qui portent le voile et le revendiquent comme un droit, et celles qui le subissent ou qui subissent l'image qu'elles renvoient en le portant. L'étude porte donc sur les bienfaits et les méfaits que la circulaire a pu engendrer sur ces deux groupes.
Les conclusions sont sans appel : la circulaire de 1994 a permis une amélioration notable du niveau scolaire des jeunes filles concernées et une insertion sociale et professionnelle accrue (avec une hausse importante de mariages mixtes). Ces chiffres sont d'autant plus parlants que lorsque l'on se penche sur les statistiques propres aux homologues masculins des jeunes filles touchées par la circulaire, on remarque qu'aucune amélioration notable du niveau scolaire ou de l'insertion n'a été remarquée chez eux.
Eric Maurin souligne donc les avantages de la circulaire, et précise que la loi de 2004 n'a eu que peu de répercussions par rapport à la circulaire déjà mise en oeuvre.
Le deuxième sujet d'étude porte son regard sur la tradition franco-française d'inspecter les professeurs et de les noter ; franco-française, vraiment ? L'auteur nous signale que cette pratique est aussi courante dans d'autres pays, mais moins bien organisée et surtout bien plus chère pour le contribuable. Ici, les conclusions d'
Eric Maurin sur les données analysées signalent une hausse du niveau des classes l'année suivant l'inspection, une hausse plus marquée en mathématiques qu'en français. L'auteur prône donc l'inspection qui est aussi l'occasion d'échanger des conseils sur l'enseignement, et qui a avant tout l'avantage d'être une mesure extrêmement bon marché par rapport à d'autres mises en place pour l'école républicaine, et dont les résultats seraient moins probants.
Le troisième sujet, que je connais le mieux puisque j'y suis passée, m'a un peu plus fait grincer des dents, puisqu'
Eric Maurin s'attelle à démontrer que les classes préparatoires et la pression qu'elles génèrent sur les élèves contribuent à aggraver la sous-représentation des filles et des classes modestes au sein des grandes écoles.
Le périmètre de son analyse est circonscrit aux classes préparatoires scientifiques, et à une de leurs particularités : les classes étoiles, qui consistent à répartir les élèves en fin de première année en classes distinctes en fonction de leurs résultats ; les élèves des classes étoiles prépareront les concours les plus ardus, tandis que les élèves des classes "normales" se concentreront plus sur les épreuves moins élitistes. Notons d'ailleurs que le programme en tant que tel reste identique dans les deux classes.
Sur cette question, j'ai trouvé les conclusions et propositions de l'auteur moins solides que sur les précédentes : les boursiers et les filles accédant moins aux classes étoiles que les autres, et ayant pourtant des résultats tout aussi excellents au bac, leurs chances d'accéder aux meilleures écoles s'en retrouveraient dès lors minorées dès les classes préparatoires...Je trouve l'argument des résultats au bac peu pertinent : je ne pense pas que ces derniers permettent de prendre réellement la mesure des différences qui existent dès le lycée entre les élèves modestes et aisés, et qui se soulignent en classes préparatoires sans y être créées.
L'étude concernant le redoublement est à mon sens bien plus intéressante : il est vrai que bon nombre d'élèves des grandes écoles sont des "5/2" ou des "cubes", c'est-à-dire des élèves ayant décidé d'effectuer une troisième année pour maximiser ses chances au concours. Les statistiques d'HEC sont d'ailleurs révélatrices puisque près de 30% des admis seraient des cubes. Et passer une troisième année n'est pas donné à tout le monde, matériellement et psychologiquement parlant.
La proposition de l'auteur de fournir une bourse aux élèves modestes qui voudraient tenter une troisième année prend donc tout son sens, contrairement aux autres mesures suggérées : une admissibilité conservée briserait la logique des concours et des classements, et réduirait mécaniquement le nombre de places disponibles pour les 3/2 (élèves passant les concours en 2ème année), tandis qu'augmenter le nombre de classes étoiles les supprimeraient de facto.
Au-delà des avis de chacun, ce court et édifiant petit essai a le mérite de se pencher avec sérieux sur des sujets souvent débattus sans être proprement et sérieusement étudiés et chiffrés, et de proposer une analyse fine et explicitée pas-à-pas, où l'auteur détaille ses hypothèses tout en les confrontant avec d'autres explications : un vrai souci du travail bien fait, et un bouquin que l'on rêverait d'envoyer au ministère de l'éducation et à tous les politiques qui prennent position sur ces sujets !