Pourquoi ceux qui ont renoncé à changer la société veulent-ils tellement changer l'école? Parce que c'est plus simple? Plus économique? Plus raisonnable? Plus consensuel? Hélas, rien n'est simple, justement. Sauf peut-être l'écriture de J-C Milner. J'ai pour ma part tendance à croire qu'il y a deux types de penseurs: ceux qui vous font vous sentir stupide et vous enfoncent dans votre ténébreuse ignorance, et ceux qui soutiennent votre désir de reflexion et, vous transmettant leur savoir, vous font ressentir qu'il est possible de penser par soi-même. Milner appartient je pense à la deuxième catégorie. De surcroît, ce livre écrit en 1984 est d'une actualité brûlante. Sa lecture, en contrepoint des actuels projets de réforme, vient avantageusement compenser l'indigence des commentaires politiques de tous bords. Tous.
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Aussi n'y a-t-il rien de plus déplacé que la question qui fleurit sur toutes les lèvres:"A quoi sert-il d'enseigner telle chose?" , parce que cette question implique qu'il peut être inutile de la savoir.Or, ce n'est pas là le bon point de vue: il peut se faire qu'il ne soit pas utile de savoir une chose, mais ce qui est sûr, c'est qu'il est toujours et sûrement inutile de l'ignorer.(…)Il suffit que nous ayons à rencontrer ce que Flaubert appelait le "pédantisme de l'ignorance", le mépris à l'égard de tout ce qui se présente comme savoir, à quoi l'on préfère une disponibilité polyvalente, nommée souvent intelligence.Il y a le mépris des savoirs que l'on maîtrise, lequel naît de la modestie, il y a le mépris des savoirs que l'on ne maîtrise pas, lequel vient de la vanité.
Il y a aussi le mépris des savoirs que l'on ne maîtrise pas au nom de sa propre absence de savoir: c'est l'ignorantisme militant.Il se déploie largement aujourd'hui dans les cercles qui s'occupent de l'école.
Est juste, aux yeux des peuples, une législation qui permet à chacun d'inscrire sa singularité, c'est-à-dire justement ce qui le fait distinct de tout autre.(…) une politique digne de ce nom doit garantir à chaque sujet le droit et les moyens d'accomplir, autant qu'il est en lui, le désir qui l'anime.(…) dans notre sociéte qui calcule et mesure, il incarnera volontiers l'instant de son propre accomplissement sous les espèces de l'excellence.(…) Or les excellences sont incommensurables les unes aux autres. Cela signifie qu'aucune ne blesse aucune autre(…)
Toute loi qui, organisant l'école, bafoue le droit à l'excellence et borne, en fait et au principe-l'exercice de la faculté de savoir est donc sans fondement politique: elle est, eût dit Robespierre, essentiellement tyrannique et injuste.(…) il faut être clair:le principe de l'école, le seul qui lui donne un sens est le suivant:
aucune ignorance n'est utile.
Quelle puissance jugera , dans l'ordre des ignorances, ce qui est utile ou inutile? L'Etat?On retrouve alors la pire des choses: l'ignorance érigée en soutien d'un pouvoir. Une telle figure a un nom dans l'histoire: c'est l'obscurantisme.
12 août 2021, dans le cadre du banquet du livre d'été « toute lecture est un parcours » qui s'est déroulé du 6 au 13 août 2021, Jean-Claude Milner tenait la conférence : Droits sans pouvoirs, pouvoirs sans droits.
La démocratie politique repose sur une réversibilité : pas de pouvoir sans droit qui l'établisse, pas de droit dont l'exercice ne garantisse une parcelle de pouvoir. Or cette réversibilité se rompt.La pandémie y contribue. Sans abolir les droits, elle a suspendu le pouvoir de les exercer : droits sans pouvoirs. Mais la rupture s'était déjà produite en sens inverse. Les gilets jaunes ont porté des revendications qui se résument à ceci : pouvoirs sans droits.Doit-on en rester là?
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