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sur 211 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C’est un portrait sous forme de longue confession – celle de la « Cheffe » –, retranscrit par un narrateur dont on saura peu de choses, mais dont on comprend vite qu’il est tombé amoureux de celle qu’il côtoie depuis de nombreuses années.

La vocation de la « Cheffe » naît un peu par hasard, lorsque, à l’âge de 16 ans, travaillant comme aide à la cuisine d’un couple basé à Marmande, les Clapeau, elle se retrouve du jour au lendemain propulsée cuisinière suite à la défection de la titulaire.
Ce jour-là, la grâce tombe sur elle, ou quelque chose d’approchant.
Après les Clapeau, ce sera la « montée à Bordeaux ». L’apprentissage d’abord, comme aide-cuisinière d’un chef misogyne et braillard autant que doué. Puis, du jour au lendemain, l’ouverture d’un restaurant dans Bordeaux. Et le succès.
Un succès pour cette cuisine inventive, rigoureuse, passionnée, ne laissant rien au hasard, toujours en quête de perfection, de nature quasi artistique, qui va régaler les Bordelais, désormais fidèles : À la bonne heure. Mais aussi une cuisine sans aucune concession, qui ne flatte jamais celui qui la déguste et vise presque à une certaine forme de purification, allant à la fin jusqu’à un véritable ascétisme.

« Elle voulait laisser dans la mémoire des mangeurs une réminiscence éblouie, et de telle nature que, tentant de se rappeler d’où pouvait bien provenir une image aussi alléchante, mélancolique aussi comme d’un bonheur qu’on ne retrouvera pas, on n’ait que le souvenir d’un plat, même du nom de ce plat seulement, ou d’un parfum ou de trois couleurs nettes et franches sur l’assiette d’un blanc opalin. »

Notre narrateur, de son côté, habité par l’amour inconditionnel qu’il voue à la « Cheffe », lui servira d’abord d’employé modèle, puis de spectateur attentif, la nuit, lorsque son esprit inventif à elle concocte de nouvelles recettes, enfin de confident, puisque c’est lui qui recueillera, nuit après nuit, le récit de son parcours.

Tout cela jusqu’à la chute. Car la « Cheffe » a un seul point faible, mais de taille : sa fille.
Une fille qui naquit au hasard d’un rencontre avec un homme dont le narrateur cherchera vainement la trace, une fille en tout point dissemblable à sa mère de caractère et de personnalité. Mais les relations mère / fille sont ainsi faites que la mère, éternellement débitrice, rendra un bien malheureux service à son restaurant en embauchant sa fille, revenue de ses études dans une coûteuse école de commerce au Canada.
S’ensuivra une stupéfiante dégringolade – les options prises par la fille s’avérant toutes plus désastreuses les unes que les autres – jusqu’à la disgrâce finale et la fermeture du restaurant.
Notre narrateur, quant à lui, privé du baume quotidien d’assister au miracle de la création culinaire, amoureux absolu sans espoir aucun de retour, sombrera dans la dépression, hébergera la fille un court moment, et ne sera plus que l’ombre de lui-même.

Il y a dans ce portrait minutieux, fourmillant de détails, portrait d’une femme solaire, comme une mise en abyme qui rapproche l’auteure de son personnage. Ainsi, le style, très étudié, avec un goût prononcé pour l’adjectif, touchant parfois à la préciosité, épouse-t-il au plus près le sujet (dans tous les sens du mot) de ce récit : Marie Ndiaye n’y suggère-t-elle pas une vision de la création artistique qui touche au sacré ?

« Oui, la Cheffe était une illuminée paisible, une fanatique réservée, son incandescence était dissimulée et profonde, seul la connaissait le pin qui l’observait derrière la fenêtre et dont la propre ardeur ascétique était enfermée sous l’écorce, dans l’épais du tronc. »

Et elle nous invite à l’hypothèse d’un récit métaphore de la création littéraire : l’auteure décrivant le narrateur racontant l’artiste aux fourneaux ne nous brosserait-elle pas là une forme d’autoportrait ? Ce serait bien d’elle, de nous parler ainsi de la grâce qui peut vous toucher dans les tout premiers temps de l’écriture, mais qui peut aussi se retirer, si l’on n’y prend garde, surtout après une récompense (l’étoile pour la « Cheffe », un Prix Femina et un Goncourt pour l’auteure ?) susceptible de compromettre celle qui veut « garder vive et haute la flamme de sa mission », pour un instant de complaisance ou de fatuité.

Je ne sais si cette hypothèse est la bonne, mais je sais une chose, c’est que ce « roman d’une cuisinière » est un grand roman. À l’opposé de la vulgarité ambiante qui entoure la médiatisation spectacle des « chefs » qu’on exhibe aujourd’hui.

Comme le narrateur tapi de nuit dans la cuisine, regardant émerveillé le miracle de la création se faire sous ses yeux, nous pouvons, nous, modestes lecteurs, nous tenir au plus près de l’écrivain, et savourer un instant le fumet d’une écriture au style ciselé, mais sans fioriture, qui traque le cliché à tout bout de page, et qui nous sert ici un grand moment de lecture.

Lien : http://www.revue-secousse.fr..
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Style à couper le souffle pour ce roman très original ; le narrateur raconte au lecteur la vie d'une cuisinière, et c'est presque une hagiographie tant il la défend bec et ongles. On finit par en apprendre beaucoup sur lui également. Je ne veux pas en dire plus pour ne pas en lire trop ; c'est un roman puissant, incroyable, une lecture à recommander sans hésiter.
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