Dans ce roman poétique et onirique, le narrateur, avec des yeux de petit garçon, nous raconte le lieu d'où il vient, Cuba, son enfance, son adolescence, ses premiers émois amoureux. La dictature et la comédie qui en découle, les mille pourquois des enfants, restés intacts dans un monde où les adultes, en particulier les gouvernants, semblent eux-mêmes de grands gamins gesticulants.
Par fragments, il nous déroule l'histoire de plusieurs générations ; les personnalités marquantes de sa famille sont les femmes, sa grand-mère, sa mère, qui, toutes, se battent pour fuir la première des dictatures, archaïque et intemporelle celle-ci, le patriarcat. Avec brio, il fait revivre à nos sens l'île magnifique, écrin cerné du bleu mouvant des Caraïbes, les carnavals populaires rythmés par la conga, les rites mystérieux de la santeria, les recettes traditionnelles dont le fameux aliñao, sorte de liqueur pour laquelle le petit garçon se damnerait et dans laquelle, symboliquement, il retrouvera les clés tant recherchées en vue d'une évasion soigneusement programmée.
L'ironie mordante (trait de caractère typiquement cubain, selon Navarrete, et dont il rend le destin de Cuba responsable) côtoie la tendresse et l'émotion, le récit est porté par une écriture alerte et vivante et servi par une traduction excellente.
L'évasion, la fugue, accompagnées en filigrane par la poésie et orchestrée par la musique de Bach. Celle de l'exil pour échapper à l'absurdité, à l'humiliation, à la souffrance d'un pays à la dérive où tout le monde se surveille, où l'amie la plus chère peut aussi être votre délatrice, à bout, de désespoir.
Une fugue dans la construction littéraire aussi car Navarrete a choisi le mode de la variation pour imaginer plusieurs scénariis de fuite, tous aussi improbables et rocambolesques les uns que les autres.
Dans l'avion qui l'emmène hors de son territoire connu et pourtant si inconnu, cette belle île qui se dévoile d'en haut, pour la première fois entière, le soulagement le dispute au chagrin. « Je ne crois pas qu'il existe beaucoup de situations de ce genre, où les sentiments éprouvés sont si forts. » le passé, les souvenirs de lieux, de personnes, d'anecdotes défilent dans sa tête comme au seuil de la mort.
Je laisse les mots de la fin à son amie pleine de paradoxes – comme Cuba – Garcilasa : « Il n'y a pas d'autre moyen de te faire comprendre que la vie est plus importante que tout, y compris la société dans laquelle nous vivons, les gouvernants, les lois, aussi asphyxiantes semblent-elles. La liberté est intérieure. Un jour, tu me diras si je me trompe. Pour l'instant, bon voyage. »
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Superbe roman. On comprend bien le choix de l'auteur de s'installer en dehors de son pays. Les passages de l'enfance du personnage sont remarquables, d'autant plus qu'on raconte une partie de l'île (la province d'Oriente) dont peu d'auteurs parlent. J'ai beacoup aimé le grand defilé sur la place de la Révolution. Ironie assurée dans ce roman tendre et sincère. Bon voyage !
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Je percevais pour cette raison l'île comme un corps de femme maltraitée, un corps résigné et supplicié, condamné à toujours fuir l'excès de virilité, sa cruauté implicite, obligé de contenir la violence des hommes, y compris dans l'entourage familial. Une île sous le joug du machisme le plus irrationnel et de l'impulsion primitive de prouver sa masculinité aux dépens de la terre, en la martyrisant, en la soumettant à d'infinies tortures, en se moquant de son extraordinaire sensualité, de sa douceur, de tout ce qui aurait pu rappeler à ces super-mâles qu'ils n'étaient que les fils d'une femme.
Une chaleur légère et réconfortante me parcourut le corps. Je frissonnais de plaisir en devinant la saveur ténue de la prune, séparant le goût de la pomme-cannelle de celui du fruit du sapotier, le canistel de la manque, le pitahaya de la nèfle. Je mâchais lentement les morceaux de fruits. Je me fichais de me faire prendre.
Peu importe qu'après, à force de pleurer, l'île soit encore plus une île parce que, avec toutes ces larmes, la mer qui la sépare d'autres terres ne fait que grossir davantage.
Holguin, berceau de notre histoire, chef-lieu du village de Banes. La spirale sans fin.Bienvenue au kilomètre zéro, les extrémités se rejoignent, tu n'es personne pour l'éviter, la matière se défait et pendant ce temps retourne à l'état qui l'a créée : le néant.
Un nuage masqua le soleil, nous manifestâmes tous deux notre soulagement. Ici, même le soleil est une tyrannie.
"Des livres gourmands qui vous plongent dans l'histoire populaire de la tradition culinaire française ! de l'humour, de l'histoire... Pour les gourmets et amoureux d'histoire ! de purs moments de bonheur !" - Gérard Collard.
- Une histoire populaire des bistrots, de Laurent Bihl chez Nouveau Monde.
https://www.lagriffenoire.com/une-histoire-populaire-des-bistrots.html
- Histoire du paris gastronomique, de Patrick Rambourg chez Perrin
https://www.lagriffenoire.com/histoire-du-paris-gastronomique-du-moyen-age-a-nos-jours.html
- le tour du monde en 80 saveurs, de William Navarrete et Pierre Bignami.
https://www.lagriffenoire.com/le-tour-du-monde-en-80-saveurs.html
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