C'est une histoire sur les histoires.
Italie, hôtel Barba - comme son nom ne l'indique pas : un camp de réfugiés. Là commence l'histoire de
Dina Nayeri, celle qui hante ses mille et une nuits. le témoignage de son exil, inextricablement enchevêtré au sort des êtres humains dont elle se fait la messagère : une vieille qui vole des briques, une roumaine qui fuit avec son amant ou encore, un enfant.
C'est un livre à double-fond écrit par une brillante universitaire, une armoire avec un tiroir-secret qui, lorsqu'on le trouve, dévoile toujours plus d'autres compartiments emplis de mots qui glacent : persécution, peur, faim, folie, désespoir, naufrage, solitude. Un requiem à la mémoire d'un homme qui préféra brûler vif que continuer à n'être personne, nulle part, jamais.
C'est un méta-récit qui met au jour une réalité cruelle : ce n'est pas tant ce que les personnes réfugiées ont traversé qui leur ouvrira les portes d'un pays d'accueil, que la manière dont elles le racontent. Certain·e·s seront sauvé·e·s, doté·e·s qu'ils·elles sont d'un talent de conteur·ses (ou d'un·e bon·ne avocat·e) ; d'autres échoueront sans relâche, ne prononçant pas les mots magiques attendus par le fonctionnaire blasé assis de l'autre côté de la table : cette femme, par exemple, qui devrait expliquer qu'elle a été violée, puis répudiée, puis exploitée sexuellement, mais qui n'y arrive pas, qui n'y arrive plus.
C'est un conte persan où les bonnes fées existent, prenant parfois des formes inattendues : bénévoles dévoué·e·s, avocat·e·s militant·e·s, dont le téléphone sonne en continu, remuant ciel et terre pour tenter d'enrayer un tant soit peu la détresse ; nourrices aux mains teintes au henné, qui réconfortent quand on sature du cadre de fer de l'école iranienne et des disputes de ses parents.
C'est la vie de
Dina Nayeri, née en Iran, dans une famille moderne et aisée, mère médecin et père dentiste, couple explosif jamais d'accord sur rien et aussi celle de son petit-frère qui changera de prénom en même temps que de religion. La description de leur existence dorée à Ispahan, avant l'éclatement de la cellule familiale et l'exil, avant le combat pour le droit d'exister qu'elle mènera corps et âme, se transformant en championne de taekwondo s'il le faut (ou faisant raboter son “nez iranien”).
«
Faiseurs d'histoires » est un document qui sera utile aux lecteurs.trices qui souhaitent s'informer sur ce qui est couramment appelé « la crise des réfugiés », au moyen de récits et non de statistiques désincarnées. C'est un récit qui résonnera profondément dans le for intérieur des personnes issues de familles déracinées, mettant des mots sur ce qu'ont vécu leurs grands-parents ou leurs parents et qu'on leur a peut-être tu. C'est un essai qui, je l'espère, atterrira dans les mains de ceux et celles qui persistent à penser qu'on ne peut accueillir toute la misère du monde.
J'ai apprécié ce livre pour la manière sans complaisance avec laquelle l'autrice aborde son sujet, décortiquant aussi bien les injustices dont sont victimes les héros.ines (pourtant bien réel.les) de son livre, que leurs contradictions, s'égratignant elle-même au passage. Car elles sont légion, les questions existentielles qu'elle se pose : en fait-elle assez pour aider les personnes en exil ? S'adresse-t-elle aux exilé·e·s dont elle croise le chemin d'une façon digne ou cède-t-elle aux réflexes qui s'emparent de nombreux anciens réfugiés : la méfiance envers les nouveaux arrivants et la propension à l'interrogatoire pour tester leurs motivations ? Reste-t-elle avec cet homme pour ce qu'il est ou pour ce qu'il représente (une vie confortable, un certain statut social) ?
J'ai cependant trouvé l'ouvrage un peu long et parfois répétitif, donnant l'impression que
Dina Nayeri ne veut rien omettre, pas le moindre petit détail. Ce n'est pas un livre que j'ai dévoré avec appétit, plutôt picoré par petites doses en prenant des respirations entre chaque séance de lecture tant le contenu est foisonnant et parfois étouffant.
C'est une histoire sur les histoires.
Une histoire sur des gens qui espèrent être accueillis par un nouveau pays et qui ne veulent surtout pas se faire remarquer, ne pas faire d'histoires, mais qui pourtant devront répéter indéfiniment la leur. Ou plutôt, la réécrire pour qu'elle plaise aux oreilles qui l'écoutent.
C'est l'histoire de l'irréductible noyau d'humanité qui brille en tout être humain, parfois volcan, parfois faible flamme qui ne demande qu'à être réactivée.